Contenu du sommaire : Le VIH/sida vu par les sciences sociales
Revue | Revue internationale des sciences sociales |
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Numéro | no 186, décembre 2005 |
Titre du numéro | Le VIH/sida vu par les sciences sociales |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Le VIH/sida vu par les sciences sociales
- Résumés - p. 651
- Editorial - p. 657
- La lutte contre l'épidémie de vih/sida en Afrique subsaharienne : les politiques à l'épreuve de la pratique - Anita Hardon p. 661 Cet article illustre le tournant opéré dans les politiques de lutte contre le vih/sida en Afrique subsaharienne au cours des dix dernières années. Une approche préventive a tout d'abord prévalu, le coût des traitements antirétroviraux, capables de prolonger la vie des patients atteints du vih ou du sida étant jugé trop élevé pour les populations pauvres d'Afrique. En 2000, sous l'effet des campagnes internationales pour la baisse du prix des antirétroviraux, et de l'inquiétude quant aux effets de l'épidémie de sida sur la stabilité politique en l'Afrique, on a commencé à privilégier l'accès au traitement. Si la définition et la mise en œuvre des politiques de prévention ont avant tout obéi à des arguments de rentabilité, ce sont des considérations relatives aux droits de l'homme et à l'équité qui inspirent à la mise en place des programmes thérapeutiques actuels. Quoique différant par leur contenu, les politiques préventives et thérapeutiques ont ceci de commun qu'elles ne prennent guère en compte les réalités socioculturelles propres à l'Afrique subsaharienne dont dépend, en dernière analyse, leur réussite. À partir d'une étude de cas, celui de l'Ouganda, cet article invite à pousser les recherches plus avant, pour mieux comprendre les facteurs de réussite et d'échec des programmes préventifs et thérapeutiques. Cette compréhension pourra permettre d'adapter les politiques mondiales aux réalités locales.
- La thérapie antirétrovirale hautement active, voie de passage vers l'éducation pour tous en Afrique subsaharienne - Gilbert Kombe p. 671 Les deux campagnes en faveur de l'Éducation pour tous (ept) et des Objectifs du millénaire pour le développement (omd) ont fait de la scolarisation primaire universelle pour les garçons et les filles une priorité pour les pays en développement. L'épidémie de vih/sida a touché des millions de personnes en Afrique subsaharienne et ravagé le corps enseignant. Elle a, du même coup, rendu les objectifs de l'ept et les omd encore plus difficiles à atteindre pour nombre de pays où la prévalence du vih est moyenne ou élevée. Toutefois, l'introduction de la thérapie antirétrovirale hautement active (haart) dans les pays en développement a donné de l'espoir aux milliers de personnes qui n'avaient pas accès au traitement. La Commission des droits de l'homme a confirmé en 2001 et à nouveau en 2002 que l'accès aux médicaments contre le sida est un élément essentiel du droit de jouir du meilleur état de santé possible, droit qui est consacré dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et la Convention relative aux droits de l'enfant. Le présent article examine comment un plus large accès des enseignants au haart peut permettre d'atteindre les objectifs de l'ept et des omd, grâce aux importantes économies sur les indemnités de maladie, le coût de formation de nouveaux enseignants et les frais d'obsèques qui peuvent en découler, même dans des contextes de forte prévalence du vih.
- « Initiative gouvernementale, soutien social et entraide » : un nouveau modèle social de prise en charge des patients atteints du vih/sida à Suizhou (Chine) - Xiaodong Tan p. 685 Cet article présente un modèle social de prise en charge du vih/sida, appliqué en Chine avec succès. Suizhou, une ville chinoise de moyenne importance, a mis au point un modèle social intitulé « Initiative gouvernementale, soutien social et entraide » qui a donné des résultats significatifs. Ce modèle se compose de quatre réseaux, spécialisés respectivement dans la gestion, la promotion sanitaire, le financement, les centres de soins et la prise en charge à domicile. Il s'appuie sur un large éventail d'organisations et d'administrations plus certaines entreprises, qui concourent à diverses fonctions allant de la direction aux finances. En même temps, un soutien de proximité est apporté aux malades du vih/sida au niveau des soins personnels, d'appui aux familles et de promotion de la santé. En quatre ans, ce modèle a permis d'améliorer la situation sociale et financière des patients. Il mérite de retenir l'attention au-delà des frontières de la Chine.
- Pour une approche de la protection des personnes vivant avec le vih/sida en Angola fondée sur les droits de l'homme - David Flechner p. 691 En 2002, la fin officielle d'une guerre civile qui aura duré plusieurs décennies a permis au Gouvernement angolais de consacrer enfin son énergie et ses ressources aux graves difficultés sociales de la nation. Il s'agit en priorité d'enrayer la propagation du vih/sida tout en apportant un soutien aux personnes atteintes du virus. Si la guerre civile a rendu difficiles les déplacements à l'intérieur du pays et la mobilité transfrontière – ce qui a eu pour conséquence de ralentir le taux de transmission du vih/sida – la situation de post-conflit pourrait aboutir à une progression rapide du taux d'infection jusqu'à atteindre les proportions catastrophiques que connaissent les pays voisins, qui voient leur population décimée. Or, afin d'atténuer l'impact du vih/sida, le recours aux mécanismes de défense des droits de l'homme afin de protéger les personnes vivant avec le virus constitue une stratégie essentielle qui donne déjà des résultats positifs. Le présent article analyse en premier lieu le contexte dans lequel l'épidémie a commencé à se propager à un rythme accru depuis la fin de la guerre civile. Dans un deuxième temps, nous verrons comment les instruments internationaux, régionaux et nationaux relatifs aux droits de l'homme auxquels l'Angola a adhéré garantissent la protection des personnes vivant avec le vih/sida et comment, à condition d'être appliqués de façon plus systématique et plus générale, ils se révéleront être de puissants outils face à l'épidémie.
- Les interventions de prévention du vih/sida dans les pays à faible prévalence : le cas de l'Albanie - Maria Roura p. 703 Cet article analyse la façon dont évolue actuellement le vih dans un pays en transition à faible prévalence – l'Albanie – et propose six domaines complémentaires d'intervention visant à maintenir ce faible taux de prévalence.À travers l'analyse d'un cas précis, on fera valoir que dans les régions à faible prévalence mais forte stigmatisation, caractérisées par des changements sociaux rapides, les interventions ne devraient pas cibler uniquement certains groupes particulièrement vulnérables, comme les victimes de la traite des Blanches ou les personnes qui pratiquent la pénétration anale.Dans un contexte de profonds changements sociaux et culturels, on ne peut partir du principe que les codes comportementaux traditionnels perdureront, notamment chez les jeunes générations. Il apparaît nécessaire, compte tenu du manque d'informations précises et de la faible utilisation du préservatif, ainsi que de la difficulté d'atteindre les plus vulnérables, de lancer des interventions médiatiques culturellement adaptées, qui devront s'accompagner d'activités d'information-éducation-communication (iec) plus ciblées visant à atteindre des groupes spécifiques. Cibler certains lieux précis – centre des grandes villes, voies de communication et villes situées près des frontières, quartiers étudiants, hôtels, motels, boîtes de nuit, bases militaires, ports et aéroports – pourrait se révéler plus efficace que chercher à atteindre des groupes spécifiques difficilement accessibles du fait de la stigmatisation et de l'illégalité associés à certains types de comportements.
- Violence sexuelle et vulnérabilité des femmes à la transmission du vih au Malawi. Les droits des femmes - Maggie Chipasula-Banda p. 715 Les auteurs de cet article analysent les relations qui existent entre la violence sexuelle, l'inégalité des sexes et la transmission du vih. Partant de l'idée que la pandémie de vih/sida est liée à l'état des relations intersexuelles, ils montrent comment les différents types de transmission du vih sont structurés par les inégalités intersexuelles et sociales. Les choix des femmes en matière de santé sexuelle et procréative sont en particulier déterminés par leur position sociale subalterne et par les attentes socio-culturelles. Sur la base d'une étude de cas effectuée au Malawi, les auteurs de l'article décrivent l'influence de la nature et de l'étendue des violences sexuelles sur la vulnérabilité des femmes à l'infection par le vih et sur leurs droits en matière de santé sexuelle et procréative. Ils examinent en particulier la conceptualisation de la violence sexuelle, la place des prestations sexuelles négociées dans l'économie locale et notamment dans l'industrie de la pêche, ainsi que l'influence de la construction du sexe et de la sexualité sur les pratiques culturelles et sur la vulnérabilité des femmes à la transmission du vih. Ils constatent que les femmes du Malawi vivent dans un contexte socio-juridique et politico-économique qui maintient un rapport de forces inégal entre les sexes, perpétue les violences faites aux femmes et accroît leur vulnérabilité à l'infection par le vih et aux violations de leurs droits en matière de santé sexuelle et procréative.
- Construction sociale des homosexualités masculines au Viet Nam Quelques clés pour comprendre la discrimination et ses implications pour la stratégie de prévention du sida - Marie-Ève Blanc p. 729 Le présent article traite de la construction sociale des homosexualités masculines et de la discrimination à l'égard des homosexuels dans le contexte de l'épidémie de sida au Viet Nam. Il a principalement pour but d'apporter des éclaircissements sur la culture homosexuelle vietnamienne, entre traditions et mondialisation, la terminologie ethnocentrique occidentale utilisée pour décrire les « homosexuels » au Viet Nam manquant de précision. Les contacts entre la société vietnamienne et les cultures occidentales ont modifié non seulement les modèles d'homosexualités mais aussi le statut social des homosexuels. Ceux-ci ont perdu leur position sociale élevée et subi stigmatisation et discrimination tout au long du XXe siècle, et la situation s'est aggravée avec l'épidémie de sida. Une meilleure compréhension de la culture sexuelle au Viet Nam et en Asie du Sud-Est contribuera à réduire la stigmatisation et la discrimination dont les homosexuels font l'objet dans la région. En outre, elle aura des incidences sur les stratégies ultérieures de prévention du sida et la défense des droits des minorités sexuelles. L'auteur explorant le rôle de la « culture sexuelle » telle que Herdt l'a définie, en tire quelques éléments qui expliquent les processus de discrimination et suggère quelques pistes à suivre pour lutter contre cette dernière.
- Mythes relatifs aux préservatifs et au vih/sida dans les zones rurales du nord de la Namibie - Pempelani Mufune p. 745 Le gouvernement namibien s'efforce de lutter contre le vih/sida en encourageant l'utilisation de préservatifs. Bien que ceux-ci répondent à une nécessité et soient distribués gratuitement dans beaucoup d'endroits, il est fréquent qu'ils ne soient pas utilisés correctement. L'étude sur le terrain avait pour but d'étudier les connotations que les hommes et les femmes du nord de la Namibie attachent aux préservatifs et au vih/sida en général, et les mythes entourant les préservatifs en particulier. Quels sont les facteurs socioculturels qui font obstacle à l'utilisation des préservatifs ? Si ceux-ci sont synonymes de pratiques sexuelles moins dangereuses, quelles sont leurs autres connotations parmi leurs utilisateurs ? Quelles significations implicites leur sont associées s'agissant des relations entre hommes et femmes ? Pour tenter de répondre à ces questions et évaluer le rôle des préservatifs dans la lutte contre la transmission du sida, des entretiens avec des informateurs principaux, des groupes ciblés de discussion avec des Owambos des deux sexes ont été organisés, et les observations des participants recueillies dans les régions rurales du nord de la Namibie. L'étude a révélé que la sensibilisation à la maladie est grande et que dans les zones rurales du nord de la Namibie, le préservatif est un mode de protection connu contre le vih/sida. On observe plusieurs différences entre les deux sexes, les femmes étant mieux disposées que les hommes à son égard. Hommes et femmes expriment des appréhensions au sujet de l'emploi du préservatif, mais ces appréhensions sont différentes. Les femmes s'inquiètent des raisons pour lesquelles les hommes y ont recours. Les conclusions sont interprétées à la lumière des idées de Barthes concernant les mythes.
- Contexte familial, comportement sexuel et vulnérabilité au vih/sida des marchandes ambulantes de la métropole de Lagos, au Nigeria - John Lekan Oyefara p. 759 Le présent article traite du comportement sexuel, des connaissances sur le vih/sida et de la vulnérabilité à cette pathologie des marchandes ambulantes de la métropole de Lagos, au Nigéria. Nous avons procédé à une enquête transversale portant sur un échantillon de 126 marchandes des rues âgées de moins de 18 ans et six discussions de groupes ciblés (focus groups) ont été organisées pour obtenir des données auprès des répondantes. Les données sur le comportement sexuel révèlent que 79,4 % des répondantes étaient sexuellement actives, 62,6 % d'entre elles ayant commencé à avoir des rapports sexuels à 11 ans ou moins. Les données concernant les connaissances sur le vih/sida montrent que toutes les répondantes avaient entendu parler de la pandémie. Plus précisément, 64,3 % et 35,7 %, respectivement, ont mentionné les rapports sexuels et le contact avec le sang comme étant les principaux modes de transmission du vih. Seules 7,1 % des répondantes utilisent des préservatifs pendant les rapports sexuels. Les données issues des discussions de groupe font apparaître des relations significatives entre le comportement sexuel et l'emploi de préservatifs, d'une part, et le niveau de pauvreté des familles, la négligence parentale et une mauvaise communication parents-enfants, d'autre part. Dans la mesure où les marchandes ambulantes au Nigéria sont extrêmement vulnérables à l'infection par le vih, le gouvernement et les ong travaillant à la prévention du vih/sida devraient prêter une attention particulière aux enfants, et tout spécialement à ceux qui vendent dans la rue.
- Mettre en place une gouvernance démocratique dynamique et des sociétés en mesure de résister au vih - Lee-Nah Hsu p. 773 L'épidémie de vih continue de se répandre dans le monde. Bien que la plupart des réponses apportées aient privilégié les approches médicales, la situation en matière de vih et sida pourrait s'améliorer encore si l'on appliquait des principes de bonne gouvernance. Si l'on étudie les efforts nationaux pour faire face au vih et sida dans des pays comme le Brésil, la Thaïlande et l'Ouganda, on peut y trouver des facteurs communs compatibles avec les principes de gouvernance démocratique. Ces facteurs sont une conception stratégique chez les responsables politiques, des réponses apportées en temps opportun, une participation massive et réelle de la société civile, la mobilisation multisectorielle, l'équilibre entre approches préventives et approches thérapeutiques, le respect des droits de l'homme et la transparence. En établissant des bases de données, en recommandant des améliorations aux politiques et en prenant des mesures stratégiques en vue de réponses programmatiques, des pays d'Asie du Sud-Est ont mis en place un système d'alerte avancé et de riposte rapide qui applique les principes de bonne gouvernance aux initiatives multisectorielles visant à renforcer la résistance au vih. En amenant le secteur du bâtiment et des travaux publics à prévenir le vih on peut garantir un rendement durable sur les investissements économiques. En mobilisant des secteurs autres que celui de la santé tels que l'agriculture et les travaux publics, on peut concevoir des programmes d'action stratégique plus vastes qui complètent les efforts du secteur de la santé en vue de remédier aux crises socioéconomiques qu'aggravent le vih et le sida. Le présent article conclut que l'approche par la gouvernance démocratique représente un choix essentiel à faire parce qu'elle apporte une contribution sensible aux efforts pour arrêter l'expansion inexorable de cette pandémie.
- Le droit contre la morale ? L'accès aux médicaments contre le sida en Afrique - Fred Eboko p. 789 La question de l'accès aux antirétroviraux (arv), molécules associées pour les polythérapies contre le sida a mis au jour un débat international important, du point de vue tant économique que politique et philosophique. Ce texte propose de déconstruire les questions morales que les ong internationales ont permis de poser face aux logiques économiques et juridiques des laboratoires pharmaceutiques. Le continent africain, qui paye le plus lourd tribut à la pandémie du sida, avec 70 % des cas de contamination, sera le prisme par lequel ces questions seront appréhendées. Après une brève chronologie du processus par lequel les arv sont passés du monopole commercial des firmes pharmaceutiques à celui de « biens publics » prônés par les ong, la question de l'État africain se pose ici. Dans un champ aux multiples dynamiques, les États subsahariens jouent avec les normes internationales (ou les déjouent) suivant des circonstances où l'épidémiologie compte moins que les rapports de force ou les manifestations de faiblesse politique dans ce contexte multipolaire. Entre l'économique et le politique, entre la morale et le droit, la « biopolitique » qu'incarne la pandémie du sida montre une Afrique très éprouvée. Les responsabilités « morales » des uns comme l'acuité des mobilisations collectives des autres, une fois décrites, incitent aussi à mettre en exergue celles des États africains face au drame le plus abrupt que l'Afrique ait jamais connu en un temps aussi court.
Débat
- Connaissance et réseaux - Anthony Holiday p. 799 L'auteur s'interroge sur la pertinence de la notion de réseau en tant que forme d'organisation sociale adaptée à la production de recherches de haut niveau. Cette métaphore a beaucoup de succès auprès des chercheurs en sciences sociales et des responsables des équipes de recherche, car elle évoque à leurs yeux tout ce qu'il peut y avoir d'organique, de flexible et de libératoire dans la communication et la philosophie du langage. L'auteur s'élève contre cette idée reçue, montrant en particulier que si la philosophie de Wittgenstein s'inspire effectivement des valeurs que les partisans de la mise en réseau des chercheurs font profession d'admirer, ils ont tort de se réclamer de son autorité pour justifier l'emploi qu'ils en font. S'ils s'imaginent pouvoir le faire, c'est qu'ils n'ont pas prêté suffisamment attention à certains aspects du développement de ses idées sur le langage, et en particulier à son anti-scientisme virulent. La conclusion est qu'à trop filer la métaphore, on finit par en occulter les limites.
- Connaissance et réseaux - Anthony Holiday p. 799
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