Contenu du sommaire : A l'épreuve du scandale
Revue | Politix |
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Numéro | vol. 18, no 71, septembre 2005 |
Titre du numéro | A l'épreuve du scandale |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
A l'épreuve du scandale
- p. 3- Le scandale comme épreuve. Eléments de sociologie pragmatique - Damien De Blic et Cyril Lemieux p. 9 Parmi les travaux publiés depuis une vingtaine d'années au sujet des scandales, aussi bien en sociologie, en anthropologie et en histoire qu'en science politique, une voie se dégage, qui considère le scandale comme une épreuve à travers laquelle est réévalué collectivement l'attachement à des normes. Le présent article souligne en quoi envisager de cette façon les scandales conduit à être particulièrement attentif à leur force instituante ainsi qu'au fait que leur signification et leur portée « réelles », dépendant de la réaction collective qu'ils suscitent, ne sont jamais données à l'avance, ni entièrement prévisibles. Prenant au sérieux les raisons de s'indigner des acteurs, ce type d'approche a des implications importantes, que l'on détaille ici, sur la conception que le chercheur peut se faire du rôle joué dans les scandales par les calculs stratégiques, l'euphémisation de la violence, la séparation entre sphères d'activité ou encore, les médias de masse. On précise en outre pourquoi cette approche oblige le chercheur à une réflexivité de degré supérieur dans son rapport à l'objet.
- Les Bacchanales : du scandale domestique à l'affaire d'Etat et au modèle pour les temps à venir (Rome, 186 av. J.-C.) - Jean-Marie Pailler p. 39 Quinze ans après sa victoire sur Hannibal, Rome est bouleversée par ce qu'on a appelé « l'affaire des Bacchanales ». Tirant parti d'informations privées concernant un scandale familial, le consul Postumius parvint à convaincre le Sénat de consacrer toute une année (186 av. J.-C.) à la lutte contre ce « fléau ». Accusés de constituer « un second peuple dans Rome », de se livrer à des comportements contre nature, sous la conduite de « mères » initiatrices, et par-dessus tout d'organiser des associations échappant au contrôle de l'État romain, les adeptes des Bacchanales furent impitoyablement pourchassés à Rome et dans toute l'Italie. Cet article discute la vraie nature du mouvement et le degré réel des fantasmes qui ont nourri une persécution conduite pour des motifs aussi bien privés que publics, et qui visait à restaurer l'ordre traditionnel au sein de l'État comme de la famille.
- Moraliser l'argent. Ce que Panama a changé dans la société française (1889-1897) - Damien De Blic p. 61 Cet article propose une interprétation du scandale alternative aux lectures en termes de rôle fonctionnel ou de coup tactique. L'exemple historique de Panama (1889-1897) est choisi pour montrer que le scandale peut être analysé comme une épreuve au terme de laquelle est vérifiée ou non la pertinence sociale d'une série de normes et de dispositifs, qui ont trait ici au statut moral de l'argent et des pratiques financières. Dans la mesure où l'événement révèle des franchissements de barrières sectorielles jugées importantes, le scandale peut être convoqué par de nombreux acteurs pour appeler à des mobilisations visant à mettre fin à la confusion qui semble menacer le monde social. Cette dynamique contribue à la production de conventions visant à enrayer de telles pratiques transgressives en stabilisant et en professionnalisant des rôles et des identités politiques ou économiques.
- L'affaire Eulenburg. Pouvoir monarchique et dénonciation publique dans l'Allemagne impériale (1906-1908) - Nicolas Le Moigne p. 83 À partir de la fin de 1906, le polémiste Maximilian Harden lance dans sa revue Die Zukunft une campagne de presse visant à discréditer l'entourage direct de Guillaume II et notamment le prince Eulenburg et le comte Moltke, amis intimes de l'empereur. Débute ce qui va devenir l'une des plus graves crises internes du régime. « L'Allemagne, proclame Harden, est dirigée par des homosexuels maladifs et dégénérés qui pervertissent l'empereur et le poussent à la faiblesse envers la France. » La stratégie du polémiste est d'épargner le souverain (éviter absolument le crime de lèse-majesté) et de ne dénoncer que les conseillers incapables. Plusieurs procès en diffamation s'ensuivent. On peut lire, à travers leur déroulement, l'enchevêtrement et le conflit grandissant, au sein de la société wilhelminienne, entre une société de cour, fondée sur la faveur et le secret, et une société d'information, fondée sur le magistère du verbe et la production de la preuve. Le conflit entre les notions de culpabilité et de déshonneur, respectivement lavés par le procès et le duel, est le révélateur de cette tension, de même que l'opposition entre le discours et l'argumentation publics – diatribes de Harden ou plaidoyer du chancelier Bülow – et la logique du silence – silence souverain de l'empereur ou parole de gentilhomme de Eulenburg et Moltke.
- Skandalkonzerte. Arnold Schönberg ou le scandale de la forme pure - Esteban Buch p. 107 Le scandale musical typique correspond à ce qu'on appelle en allemand un Skandalkonzert : une sorte de performance collective unique, ancrée dans le rituel normal d'un concert qui, pour des raisons particulières, tourne mal. Cet article suggère que ce type très spécifique de scandale peut donner des clés pour mieux comprendre certains aspects des phénomènes scandaleux en général. Ainsi, tandis que les scandales politiques tendent surtout à attirer notre attention sur la façon dont la norme transgressée est réaffirmée, le Skandalkonzert, comme c'est le cas plus largement des scandales artistiques, nous révèle, par sa capacité à susciter une révision des règles qui régissent l'activité artistique, le pouvoir transformateur du scandale. Il apparaît en outre que, parmi les arts, seule la musique semble avoir provoqué ce qu'on pourrait appeler des scandales de la forme pure, c'est-à-dire indépendants de tout contenu verbal ou iconique. Encore faut-il souligner que si une forme artistique « pure » parvient ainsi à faire scandale, c'est en vertu du fait qu'elle est perçue comme l'expression métaphorique de traits essentiels de la vie sociale et politique. Ainsi, les réactions d'indignation manifestées dans le Skandalkonzert, comme peut-être dans tout scandale, apparaissent-elles porteuses d'un sens qui excède l'objet sur lequel elles se portent. Ce sont ces différents points qu'explore l'article à partir de la réception des œuvres d'Arnold Schönberg dans la Vienne d'avant la Première Guerre mondiale.
- L'art du scandale. Indignation esthétique et sociologie des valeurs - Nathalie Heinich p. 121 La typologie des scandales dans les arts plastiques est fonction des différents paradigmes artistiques en vigueur – art classique, art moderne, art contemporain –, qui commandent les normes et les valeurs de sens commun. Ces paradigmes sont eux-mêmes fonction des régimes de valorisation : si le « régime de communauté » limite les possibilités de transgression, il les rend vulnérables à l'indignation scandalisée, tandis que le « régime de singularité », en normalisant les transgressions, les rend à la fois plus fréquentes et moins susceptibles de faire scandale – d'où la fréquence relative des « affaires » en art moderne et, surtout, contemporain. L'examen de quelques cas particulièrement significatifs permet de spécifier à la fois les conditions du scandale – types de transgressions, de valeurs transgressées, de contextes historiques et spatiaux – et ses effets. Ceux-ci ne peuvent toutefois se comprendre qu'en abandonnant les perspectives fonctionnaliste ou stratégique au profit d'une sociologie descriptive, pragmatique et empirique des valeurs.
- De l'épreuve publique à la reconnaissance d'un public : le scandale Sun Zhigang - Isabelle Thireau et Hua Linshan p. 137 Le 17 mars 2003, Sun Zhigang, un étudiant de 27 ans, diplômé des beaux-arts, est emmené dans un commissariat de police de Canton, puis dans un centre d'hébergement pour migrants. Il y décède trois jours plus tard. Ces faits, relatés dans un quotidien du sud de la Chine, suscitent une indignation collective qui se manifeste dans la presse et surtout sur Internet. Dénoncés comme scandaleux car reflétant une réalité jugée désormais intolérable, ils révèlent la construction d'une communauté de critères éthiques. L'article analyse les manières de dénoncer l'injustice qui s'expriment à cette occasion, et qui prennent appui sur des principes normatifs partagés, tout autant que sur la façon dont chacun perçoit sa fragilité et sa dépendance par rapport à autrui, en cette période dite de « réformes économiques ». Il analyse également la gestion du scandale par les autorités nationales qui inclut, au-delà d'une réforme des « stations de détention et de rapatriement », une reconnaissance du collectif qui s'est manifesté sous la forme d'un « public » d'événements auxquels il lui est reconnu rétrospectivement le droit d'avoir réagi. En liant ainsi de façon nouvelle opinion publique, jugements d'experts et action publique, cette réponse officielle, même si elle limite l'activité du « public » à un simple rôle d'appui à la décision, crée un précédent, l'action de l'État se trouvant désormais mesurée à l'aune d'attentes nouvelles.
- (Ne pas) juger scandaleux. Les électeurs de Levallois-Perret face au comportement de leur maire - Eric Doidy p. 165 À partir d'une étude sur le rapport des électeurs levalloisiens aux « affaires » touchant Patrick Balkany (maire de la ville de 1983 à 1995, réélu en 2001), cet article revient sur l'hypothèse d'une influence de l'ancienneté de résidence dans les formes du jugement moral exprimées à propos de pratiques politiques locales. Il révèle trois évolutions, contemporaines les unes des autres : une évolution des modes d'habiter, qui marque le début d'une politique urbaine volontariste (aux anciens habitants du Levallois-Perret populaire des « passages » se substitue une nouvelle population d'un espace urbain devenu résidentiel) ; une évolution parallèle des formes et représentations des pratiques clientélistes (à la mise en valeur des relations de proche en proche par la municipalité précédente se substitue une politique tournée vers la figure économique d'un « résidant rationnel ») ; une évolution, enfin, des formes du jugement moral mobilisées par les électeurs pour traiter des « affaires » (à une condamnation civique des pratiques faisant avantage aux proches, se substituent des formes plus complexes, prenant appui sur des sources diversifiées, des plus générales et civiques aux plus contextualisées). En mettant en avant la pluralité des gestes critiques auxquels engagent ces formes complexes, on entend contribuer ici à relativiser les discours sur la perte du sens civique des électeurs (notamment des couches populaires) mobilisés par les médias lors de la réélection de P. Balkany en 2001.
- Que font les scandales ? La médecine de l'hémophilie à l'épreuve du sang contaminé - Emmanuelle Fillion p. 191 Cet article s'attache aux effets d'un scandale et d'une affaire judiciaire majeure, l'affaire du sang contaminé, sur un univers médical, la clinique de l'hémophilie. Il propose d'en étudier l'évolution sur une période relativement longue, depuis l'arrivée du virus jusqu'à aujourd'hui, en revenant sur l'expérience des acteurs directement concernés. La question est de savoir jusqu'à quel point et selon quelles modalités l'affaire a été pour eux une expérience marquante et quelles métamorphoses elle a induites au sein de leur univers professionnel. Au terme de l'analyse, il apparaît que la clinique de l'hémophilie sort reconfigurée de l'affaire du sang contaminé, qu'elle est aujourd'hui radicalement différente de ce qu'elle était avant que le scandale n'éclate. Mais cette reconfiguration a été discontinue, les transformations parfois limitées et toujours différées par rapport à une crise caractérisée par son ampleur et sa violence.
- Le scandale comme épreuve. Eléments de sociologie pragmatique - Damien De Blic et Cyril Lemieux p. 9