Contenu du sommaire : Un climat d'injustice
Revue | Mouvements |
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Numéro | no 60, octobre-décembre 2009 |
Titre du numéro | Un climat d'injustice |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
- Un climat d'injustice. Crise et inégalités écologiques - Flipo Fabrice, Domergue Manuel, Gaudillière Jean-Paul, Peyroux Jean-Louis p. 7-11
Inégalités locales, inégalités globales
- « Conserver le statut de bien commun des ressources halieutiques est vital pour l'avenir ». Entretien avec Janick Moriceau, vice-présidente (Verts) du conseil régional de la Bretagne, chargée de la mer - Peyroux Jean-Louis p. 13-22 Les conflits récurrents autour de la gestion de la pêche semblent opposer « amis des poissons » et « amis des pêcheurs ». Les ressources halieutiques et la biodiversité maritime sont en effet mises en danger notamment par la surpêche. Mais « la » pêche est un ensemble trop vaste pour être pointé du doigt uniformément, et la majorité des pêcheurs eux-mêmes sont bien souvent les premières victimes de ces pollutions, sans en être forcément responsables. Les premières victimes de ces dégradations environnementales sont au Sud : ce sont les communautés qui vivent de la pêche et pâtissent des pollutions des autres (captations de quotas de pêche, surpêche à vocation exportatrice, pollution maritime, dérèglement climatique...). Ces communautés sacrifient leur sécurité alimentaire pour assurer l'approvisionnement en produits de la mer des consommateurs du Nord, qui préfèrent importer des produits exotiques, au détriment de leurs propres pêcheurs. Janick Moriceau dénonce « un véritable hold-up sur les ressources halieutiques », des captations et échanges de quotas de pêche considérés comme de simples actifs boursiers. Entre spéculation immobilière et pêche-business, les pêcheurs artisans sont dépossédés de leur outil de travail et de leur environnement. Peu après le « Grenelle de la mer », elle esquisse des pistes pour combattre la surpêche en s'appuyant sur les pêcheurs : sortir la pêche de l'OMC, relocaliser les consommations, mettre en commun de l'expertise entre chercheurs et pêcheurs, partager l'accès au littoral, et surtout considérer les ressources de la mer comme des biens communs nationaux ou communautaires... Derrière cette question se joue donc aussi le débat de l'appropriation privée ou collective de ces richesses menacées.
- De l'exportation des maux écologiques à l'ère du numérique - Gossart Cédric p. 23-28 Les services fournis par les écosystèmes naturels aux sociétés humaines comprennent l'absorption de nos déchets (CO2, eaux grises...), les ressources naturelles (bois, pétrole, métaux...), les services vitaux (air, eau, biodiversité...), et les aménités (beauté des paysages naturels...)1. N'étant ni illimités ni répartis de manière égale sur la planète, ils font l'objet d'échanges et de conflits entre les sociétés humaines, au sein desquelles les inégalités écologiques s'aggravent au profit des plus puissantes. Au centre des nouveaux modèles de croissance, les technologies numériques de l'information et de la communication (TNIC) semblaient pouvoir renverser cette tendance. Cet article montre que rien n'est moins sûr, les maux écologiques liés à la diffusion de ces technologies pouvant bien au contraire aggraver les inégalités écologiques.
- Les écovilles en Chine. Du rêve nécessaire à la réalité marchande - Obringer Frédéric p. 29-36 La conjonction d'une croissance économique très vive, malgré un ralentissement lié à la crise financière depuis 2008, d'une relative pauvreté des ressources naturelles et de l'immensité de la population a conduit la Chine, ces dernières années, à une situation environnementale très problématique. L'explosion du monde urbain (de 430 millions d'habitants en 2001 à environ 850 millions prévus pour 2015) est un autre facteur fondamental du contexte actuel chinois, qui pose d'une façon urgente la question des choix en matière d'urbanisme. Dans ce contexte, les autorités de Pékin ne sont pas restées inactives, et ont engagé un certain nombre d'actions législatives, institutionnelles et de sensibilisation de la population. Toujours dans le même sens, des projets d'écovilles, lesquelles répondraient à l'idéal du développement durable, ont été largement médiatisés sur le plan international, sans que l'on puisse observer sur le terrain des réalisations à la hauteur des ambitions affichées.
- Mouvement des sans-terre du Brésil : une histoire séculaire de la lutte pour la terre - Estevam Douglas p. 37-44 Au Brésil, la conjonction entre inégalités sociales et inégalités écologiques est omniprésente dans la vie quotidienne et dans la vie politique où elle revêt de nombreuses figures des peuples autochtones de la forêt amazonienne aux habitants des favelas en passant par les paysans sans terre. Le Mouvement des sans-terre (MST) a progressivement intégré à ses objectifs de réforme agraire une critique de l'agriculture d'exportation des grandes plantations et la défense de pratiques plus écologiques. Douglas Estavam revient sur son histoire et cette évolution.
- L'ascension des pays du Sud dans les négociations climatiques. Entretien avec Amy Dahan, historienne des sciences, directrice de recherche au CNRS et directrice adjointe du centre Alexandre Koyré - Gaudillière Jean-Paul p. 45-51 Le changement climatique n'est plus en discussion : les prédictions du GIEC liant augmentation de la température terrestre et émissions de gaz à effet de serre font consensus. Ce qui est désormais en discussion dans les négociations climatiques est la limitation du changement et l'adaptation à ses conséquences. Privilégiant une modélisation globale qui ne posait pas la question de l'origine des émissions, les négociations des années 1990 étaient une affaire euro-américaine. Le climat est aujourd'hui un problème Nord-Sud, le cadre privilégié pour poser les questions des inégalités écologiques globales et de l'après-développement. Amy Dahan nous rappelle comment et pourquoi les pays dits en développement ont occupé l'arène climatique.
- Stratégies électroniques. Sur les usages militants des Systèmes d'informations géographiques dans les luttes pour la préservation des forêts canadiennes - Sibille Bastien p. 52-58 Les inégalités écologiques ne concernent pas seulement l'inégale répartition des ressources naturelles et des dommages écologiques. Elles reposent également sur l'inégale répartition des outils de mesure de ces inégalités, et sur l'inégale capacité à faire admettre ses propres outils comme des outils légitimes. Les inégalités écologiques recoupent dès lors des relations de domination politique. À partir de l'exemple d'un conflit pour l'usage de forêts canadiennes, Bastien Sibille illustre l'injustice subie par les groupes qui ne peuvent mesurer et représenter dans l'espace public ce qu'ils considèrent comme une dégradation de leur environnement, et les combats menés pour surmonter cet obstacle, grâce à l'usage militant des systèmes d'informations géographiques.
- Les inégalités écologiques et sociales : l'apport des théories de la justice - Flipo Fabrice p. 59-76 Parler d'inégalités revient implicitement à poser la question des origines des inégalités. La philosophie morale et politique est riche de théories expliquant l'origine des inégalités, soit pour les dénoncer, soit pour les justifier. À l'époque moderne, les inégalités sont abordées comme étant moins issues de la substance que des procédures – autrement dit, si vous êtes pauvre et peu intelligent ce n'est pas parce que vous êtes la réincarnation d'un voleur, comme le dirait le système des castes, mais parce que les règles du jeu social vous ont assigné cette place, à tort ou à raison. La perspective d'une émancipation implique à la fois une meilleure sinon une égale répartition des biens (intelligence, beauté, richesse...) mais aussi des maux. Le défi posé par l'articulation des inégalités écologiques et des inégalités sociales est complexe en ce que la discussion porte tant sur la définition de ce qui est « bien » et de ce qui est « mal » (une voiture est-elle un bien ? un vélo ?) – ce qui se traduit notamment par l'émergence de « nouveaux indicateurs de richesse » - que sur leur répartition. Fabrice Flipo tente, dans ce texte, de faire un état des lieux.
- « Conserver le statut de bien commun des ressources halieutiques est vital pour l'avenir ». Entretien avec Janick Moriceau, vice-présidente (Verts) du conseil régional de la Bretagne, chargée de la mer - Peyroux Jean-Louis p. 13-22
Positions et théories
- Inégalités écologiques, croissance « verte » et utopies technocratiques - Gaudillière Jean-Paul, Flipo Fabrice p. 77-91 La crise écologique et financière oblige les décideurs à se pencher sur les scénarios de sortie de crise verte. Mais cette prise de conscience court le risque de s'arrêter à mi-chemin. « Capitalisme vert », « croissance verte », « keynésianisme vert » et « technologies propres » constituent autant de confortables mirages destinés à nous épargner les nécessaires remises en cause liées aux limites écologiques d'une planète aux ressources finies. La prise en compte conséquente de ces limites amène à aborder de front la question des inégalités écologiques et sociales et à changer les modes de production, de consommation et donc les modes de vie les plus prédateurs. Sans autre échappatoire, dans cette redistribution des richesses à opérer, que la redéfinition collective du sens de ces richesses elles-mêmes.
- Qu'est-ce que la divergence technologique ? - Duclos Denis p. 92-97 Parmi les possibilités d'évolution des technologies dans le contexte d'une urgence écologique de plus en plus insistante, il faut sans doute distinguer trois grandes formes : -L'aménagement du système.-La rupture.-La divergence. La plupart des projections et des utopies se situent dans une controverse entre les deux premières formes. La question est de savoir, par exemple, jusqu'à quel point le système actuel, considéré comme un cadre global structurant et contraignant pour toutes ses parties, peut être aménagé de façon assez profonde pour répondre aux exigences de l'époque à venir. Notamment en matière de diminution de l'intensité énergétique, et en règle générale de l'empreinte écologique. Dans ce texte, Denis Duclos plaide pour une prise au sérieux de la troisième forme, la divergence.
- Inégalités écologiques, croissance « verte » et utopies technocratiques - Gaudillière Jean-Paul, Flipo Fabrice p. 77-91
Thèmes
- Pourquoi Cuba est-elle devenue un problème difficile pour la gauche ? - Santos Boaventura de Sousa p. 99-112 Si la singularité de la « voie cubaine au socialisme » représente un problème pour la gauche, la rénovation de cette dernière passe selon Boaventura de Sousa Santos par un nouveau type de partage d'expériences avec Cuba et par une transition ouverte à l'expérimentation.
- Les conditions de l'évaluation universitaire. Quelques réflexions à partir du cas américain - Cousin Bruno, Lamont Michèle p. 113-117 Parmi les réformes de l'université et de la recherche qui provoquent une mobilisation sans précédent, la question de l'évaluation des enseignants-chercheurs résume assez bien les enjeux du passage de la collégialité à l'externalisation de la gestion des carrières et, partant, de l'activité pédagogique et scientifique. Partant de l'expérience des États-Unis, Bruno Cousin et Michèle Lamont mettent en perspective les présupposés de la réforme.
- Des « universitaires mieux évalués » ? Les illusions croisées de la LRU et du modèle américain - Neyrat Frédéric p. 118-123 Le recours biaisé au modèle américain pour légitimer un nouveau style d'évaluation des universitaires a été critiqué par B.Cousin et M.Lamont dans ce numéro. F. Neyrat reprend le dossier en discutant deux des principales propositions : suppression du localisme et renforcement de la collégialité de l'évaluation.
- Lampedusa, terre de confins - Melot Élise p. 124-129 Lampedusa, petit morceau italien de terre africaine, est bien connue pour être la « Porte de l'Europe ». Chaque année en effet, des milliers de personnes partent des côtes nord-africaines pour tenter de rejoindre l'île. En 2008, 30 000 migrants ont ainsi transité par Lampedusa. Avec l'entrée en vigueur des accords italo-libyens, la porte est restée rigoureusement fermée et pendant trois bons mois, aucune embarcation n'a pu accoster sur l'île, symbole pour le gouvernement de l'Italie assiégée par les envahisseurs.
- Précarisation sociale : lorsque les questions de santé s'invitent dans l'analyse de l'organisation du travail - Le Lay Stéphane p. 130-137 Aujourd'hui, l'existence de la précarisation sociale ne fait guère de doute. Associée à une très forte libéralisation économique, elle est en partie liée avec une organisation du travail d'autant moins soucieuse de la santé des travailleurs qu'elle instrumentalise souvent cette dernière dans un but de rentabilité.
- Lula, le social et l'écologie - Coutrot Thomas p. 138-144 Le second et dernier mandat de Lula à la présidence du Brésil arrive à expiration à l'automne 2010. Son ancienne ministre de l'environnement, Marina Silva, après avoir démissionné du gouvernement en mai 2008, a récemment quitté le PT pour présenter une candidature socialiste et écologique sous l'étiquette du Parti Vert, et pourrait menacer la candidate probable du PT, Dilma Roussef.
- Pourquoi Cuba est-elle devenue un problème difficile pour la gauche ? - Santos Boaventura de Sousa p. 99-112
Livres
- Moishe Postone, un marxisme (enfin) débarrassé du productivisme ? - Flipo Fabrice p. 145-151
- Vérité et émancipation. À propos du livre d'Alain Badiou, L'hypothèse communiste - Khalfa Pierre p. 152-157
- Arne Naess et l'écologie politique de nos communautés - Flipo Fabrice p. 158-162
- Donna Haraway : Réinventer la nature - Charbonnier Pierre p. 163-166