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Titre La poignée de main de l'étameur (Paris, 30 janvier 1887) Une histoire des relations sino-occidentales à hauteur d'interaction
Auteur Clément Fabre
Mir@bel Revue Revue historique
Numéro no 708, octobre 2023
Page 661-706
Résumé Le 30 janvier 1887, avenue Victor Hugo à Paris, le général Chen Jitong, attaché militaire de la légation chinoise en France, refuse la main que lui tend l'étameur Ferdinand Laporte, qui l'injurie alors. Le procès qui s'ensuit pour injures publiques met au jour, derrière cette affaire anecdotique, un mauvais tour alors répandu à Paris, résumé par le chroniqueur judiciaire qui, sous le pseudonyme d'Argus, rend compte de l'affaire dans les colonnes du Figaro : « Il paraît que c'est une espèce de sport, parmi les loustics des faubourgs extérieurs, d'accoster les Chinois dans la rue et de leur tendre la main en les tutoyant avec une aimable familiarité. » Faire l'histoire de cette plaisanterie devenue incompréhensible impose d'entremêler trois histoires de mains. Celle, déjà, des imaginaires qui se greffent à partir du XVIIIe siècle sur le décalage des gestes de politesse chinois et occidentaux et constituent les salutations chinoises en antipodes mêmes de la poignée de main occidentale et égalitariste. Celle, ensuite, de l'attention continuelle que doivent prêter à leurs mains, dans la Chine du XIXe siècle, diplomates et missionnaires pour les plier aux règles des bienséances chinoises et éviter le type de faux pas que recherche, précisément, Ferdinand Laporte. Celle, enfin, de la progressive familiarisation avec la structure des interactions sino-occidentales de franges entières de la population chinoise qui, tel Chen Jitong, apprennent entre autres, au fil du XIXe siècle, à maîtriser la poignée de main. Ces trois histoires entremêlées jettent un éclairage original sur le statut à conférer aux interactions ordinaires dans l'histoire des relations sino-occidentales, et sur les différentes temporalités qui viennent se nouer dans une banale poignée de main.
Source : Éditeur (via Cairn.info)
Résumé anglais On January 30th 1887, on the Avenue Victor Hugo in Paris, General Chen Jitong, military attaché of the Chinese legation in France, refused the handshake extended to him by Ferdinand Laporte, who then insulted him. The trial for public insults that followed brought to light that this was actually a common prank in Paris at the time. A prank summarized by the court reporter who, under the pseudonym Argus, reported on the case for Le Figaro: “It seems to be a kind of sport, among the lousy people of the outer suburbs, to accost Chinese people in the street and extend their hands to them with a friendly familiarity.” Writing the history of this prank, rather unintelligible by modern standards, requires to intertwine three distinct “hand histories”. Firstly, the history of the imaginations that became progressively affixed to the discrepancy between Chinese and Western polite gestures from the eighteenth century onwards, establishing Chinese greetings as the very antipodes of the Western, egalitarian handshake. Secondly, the continual attention that diplomats and missionaries had to pay to their hands in nineteenth century China in order to bend them to the rules of Chinese etiquette and avoid the kind of blunder that Ferdinand Laporte was precisely looking for. Finally, the history of the gradual familiarization with the structure of Sino-Western interactions of entire sections of the Chinese population who, like Chen Jitong, learned, among other things, to master the handshake over the course of the nineteenth century. These three intertwined stories shed original light on the status of ordinary interactions in the history of Sino-Western relations and on the different temporalities embedded in a banal handshake.
Source : Éditeur (via Cairn.info)
Article en ligne https://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=RHIS_234_0661 (accès réservé)