Contenu du sommaire : Recenser la Russie en 2002
Revue | Revue d'études comparatives Est-Ouest |
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Numéro | vol 34, no 4, décembre 2003 |
Titre du numéro | Recenser la Russie en 2002 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier : Recenser la Russie en 2002
- Coordonnatrice : Catherine Gousseff- Mutations identitaires en Russie - Alain Blum, Catherine Gousseff et Jean Radvanyi p. 5
- Le crépuscule des ethnies. Le recensement russe de 2002 en République du Bachkortostan - Xavier Le Torrivellec p. 29 Prolongeant l'idée d'un éclatement de l'URSS sous l'effet de forces centrifuges, le fait national est devenu central dans les interrogations sur l'avenir de la Fédération de Russie, tant sur le plan de son évolution politique que sur celui de l'équilibre institutionnel de ses territoires. La diversité ethnique de sa population sert à expliquer les tensions et les conflits qui parcourent une société incertaine de son identité. Vu sous cet angle, le recensement d'octobre 2002 n'a fait qu'accentuer des antagonismes déjà anciens : rivalités entre l'État central, les nationalités non russes et des groupes ethniques en quête de reconnaissance. Mais plutôt que de revenir sur le poids du passé - ce passé impérial et soviétique que l'on retrouve notamment dans la lecture substantialiste des identités et dans la catégorisation des individus par l'État -, il importe de mieux comprendre les conditions dans lesquelles s'effectue la réappropriation rétrospective d'une tradition. Or le recensement est un moment privilégié de dévoilement de la société à elle-même : par-delà les rivalités ethniques et la recherche de majorités statistiques, l'avancée du processus de libéralisation et d'individualisation a desserré les nœuds contraignants de l'appartenance ethnique. En plus de l'état des rapports de force, le recensement des identités choisies a montré la force du rapport à l'État. Après avoir resitué le débat dans l'histoire de la région Volga-Oural, cet article s'attache, en partant de l'expérience du Bachkortostan, à éclairer, derrière les instrumentalisations politiques et scientifiques de l'ethnicité, la réalité subjectiviste du rapport des individus à leur identité.In line with the idea of centrifugal forces breaking up the USSR, the question of "nationalities" occupies a central place in inquires about the Russian Federation's future, its political evolution and the institutional equilibrium of its territorial units. The Federation's ethnic diversity helps account for conflicts running through a society unsure of its identity. In this respect, the census of October 2002 has sharpened former tensions and rivalries between the central government, non-Russian nationalities and ethnic groups searching for recognition. Rather than referring to the weight of the imperial or Soviet past, which figures in substantialistic interpretations of identities and underlies the state's classification of individuals, we should try to better understand the conditions for reappropriating a tradition. A census is a special moment when a society bares itself. Beyond ethnic rivalries and the search for statistical majorities, advancing liberalization and individualization have loosened restrictive ethnicities. A census reveals not only the distribution of various groups but also the importance of relations with the central government. After describing the history of the Volga-Ural region, the case of Bashkortostan is used to shed light on the subjective reality of individual's relations with their identities, which are being used for political and scientific purposes.
- La religion dans les mouvements identitaires post-soviétiques. L'exemple du Tatarstan - Françoise Daucé p. 59 Depuis la disparition de l'URSS, la reconnaissance de la liberté de croyance a conduit à une mobilisation du religieux dans les compositions identitaires. L'introduction éventuelle d'une question sur l'appartenance religieuse lors du recensement de 2002 a été envisagée puis abandonnée, donnant lieu à d'importantes controverses scientifiques et politiques qui ont mis en évidence les différentes conceptions de l'identité en concurrence dans la Russie d'aujourd'hui. L'élément religieux est entré implicitement en ligne de compte à l'occasion de l'élaboration de la liste des nationalités. Les revendications religieuses nouvelles de certains groupes ont été reconnues dans le cadre pré-existant des nationalités. Le cas des Tatars orthodoxes (krjasen) dans la République du Tatarstan est ici analysé à travers les nombreux débats et conflits que leur revendication a entrainés, tant à l'échelle républicaine que fédérale, contraignant les autorités à prendre position sur la place de la religion dans la société actuelle.Since the breakup of the USSR, religious freedom has led to religion being used to mark identities. There was discussion about introducing a question on religious affiliations in the 2002 census, but the idea was abandoned. This spawned scientific and political controversies that have exposed the differing conceptions of identity competing in contemporary Russia. However religion was implicitly taken into account when drawing up the list of nationalities. The new religious claims advanced by certain groups were recognized within the preexisting framework of nationalities. This analysis of the case of the Orthodox Tatars (Kryashen) in Tatarstan focuses on the many debates and conflicts that their demands have aroused at the republic and federal levels. This has forced authorities to take a position on the place of religion in today's society.
- Identité fonctionnelle, identité communautaire, identité ethnique : les composantes hybrides de la revendication du "peuple" cosaque - Catherine Gousseff p. 77 Cet article rend compte de la mobilisation des Cosaques pour se faire reconnaître comme groupe ethnique dans le recensement de 2002. Il analyse les différentes facettes du débat ouvert par cette revendication en soulignant d'abord la résurgence d'une ambiguïté ancienne sur l'identité cosaque, définie soit par le statut et la fonction (soslovie), soit comme groupe spécifique, historiquement façonné par une culture et un mode de vie distincts de ceux des Russes. Cette deuxième assertion, défendue par les porte-paroles de la cosaquerie, ne lève cependant pas les ambiguïtés de la définition : groupe ethnique, communauté culturelle ou « communauté ethno-culturelle » selon la désignation par laquelle l'État russe a reconnu leur existence ? Au-delà de ces controverses théoriques, les leaders cosaques ont surtout mis l'accent sur les profits à tirer de leur reconnaissance comme groupe ethnique (obtention de compensations à titre d'ancien peuple réprimé, restauration de privilèges historiques, etc.). Cette identité « ressource » mise en exergue dans Vagit-prop cosaque n'a pas pour autant rencontré l'adhésion escomptée.The Cossacks demanded that the 2002 census recognize them as an ethnic group. Their mobilization is described as well as the various facets of the debate about this claim to an identity, which has revived an ambiguity from the past. The Cossacks have been defined either on the basis of their status and function (soslovie) or on the grounds of their history as a group shaped by a culture and way of life distinct from Russians'. The spokesmen defending the idea of a Cossack identity have adopted this second definition; but it does not do away with ambiguities. Do the Cossacks form an ethnic group, a cultural community or an "ethno-cultural community" (the official phrase recognizing their existence)? Beyond theoretical debates, Cossack leaders have emphasized the advantages to be gleaned from recognition as an ethnic group: compensation as a formerly oppressed people, the restoration of historical privileges, etc. Despite its obvious place in Cossack claims, this provocative tapping of a sense of identity as a resource has not received as much support as expected.
- Russes et Caucasiens à la fin du XXe siècle. Identités et territoires - Aude Merlin et Jean Radvanyi p. 97 Le recensement de la population de 2002 devrait permettre de mesurer l'ampleur des mutations démographiques et ethniques au Nord-Caucase, la région la plus agitée de la Fédération russe. L'article s'interroge sur les relations entre les Russes et les Caucasiens. La définition même de ces désignations n'est pas simple tant elle paraît chargée à' a priori idéologiques. Qui sont aujourd'hui les montagnards au Caucase ? Au-delà de l'image romantique du résistant à l'envahisseur, la réalité sociologique et géographique invite à prendre en compte l'ampleur des mutations (migrations sur le piémont, changements d'activités) qui font de ces peuples un ensemble beaucoup plus hétérogène qu'il n'y paraît, tant du point de vue religieux (chrétiens et musulmans) que des rapports à la puissance tutélaire russe. De leur côté, les Russes - en partie représentés ici par une forte présence cosaque - voient leur nombre se réduire dans la plupart des Républiques caucasiennes et sont invités à redéfinir leur position tant au plan local que fédéral. Or dans le même temps, la multiplication des conflits a servi d'accélérateur à l'expression de nombre de tensions bien saisies par l'analyse des désignations mutuelles révélant les phobies et les peurs d'un territoire en pleine recomposition.The 2002 census should measure the scope of demographic and ethnic changes in the North Caucasus, the most agitated region in the Russian Federation. What is the current state of relations between Russians and Caucasians? Defining these ethnic terms is not simple since they are laden with so many ideological presuppositions. Beyond the romantic image of mountaineers fighting against invaders, who now inhabits the Caucasus? Sociological and geographical trends (migrations on the plateau, changing economic activities) are making these peoples much more diverse than we might imagine — both from the point of view of religion (Christians and Muslims) and in terms of relations with Russian authorities. As for Russians, many of whom are Cossacks, their numbers are declining in most Caucasian republics; and they are repositioning themselves on both the local and federal levels. Meanwhile, tensions and conflicts have flared. The analysis of the terms that groups use to refer to each other reveals the fears and phobias in a region in the throes of change.
- Une opération hautement politisée : le recensement de la population en Ingouchie - Samuel Marie-Fanon p. 115 À la suite d'une mission d'observation effectuée lors du dernier recensement de la population en Ingouchie, l'auteur rend compte des enjeux propres au déroulement de cette opération dans l'une des républiques limitrophes de la Tchétchénie. La petite république caucasienne compte en effet un grand nombre de personnes déplacées en provenance de Tchétchénie et d'Ossétie du Nord. Le dénombrement de cette population particulière soulève des questions politique, intéressant à la fois les autorités locales et fédérales et révèle ce en quoi il a pu faire l'objet de diverses instrumentalisations par les dirigeants. En outre, le recensement permet également de souligner le caractère complexe de certains groupes sociaux ingouches, à la lumière de marqueurs identitaires (comme la religion ou l'appartenance clanique) qui ont été omis par les statisticiens.Following an assignment observing the last census in Ingushetia, the author explains the issues raised by this operation in this little Caucasian republic, which hosts a large number of displaced persons from neighboring Chechnya and North Ossetia. Light is shed on the various uses to which authorities have put the census. Counting these persons raises political questions of interest to both local and federal authorities. The census also brings to light the complex nature of certain Ingush social groups thanks to identity markers, such as religious or clan affiliations, which statisticians have omitted.
- Ethnie, nationalité ou clan : des formes d'identité rivales ? - Alain Blum et Elena Filipova p. 131 Les populations qui vivent sur le territoire de l'Altaï se configurent autour de formes identitaires multiples qui se combinent hors de toute hiérarchie. Une composante clanique, déterminée par une relation de parenté et des origines mythiques ; des composantes locales identifiées à travers des toponymes ; une identification ethno-culturelle des populations qui s'insère dans une démarche de description ethnographique ; une composante religieuse, complexe mais pas déterminante. Participe aussi à la définition de l'identité une « mémoire » élaborée, qui reconstruit le passé des tribus et leur histoire. Plusieurs découpages et rattachements administratifs de la région, qui ont été créés au cours du XXe siècle ont contribué à forger une composante politique, administrative et territoriale de l'identité, fondatrice de formes de nationalismes et de revendication identitaires spécifiques. Le facteur linguistique, enfin, défini par l'appartenance commune au monde turcophone implique la recherche d'une référence et d'une relation privilégiée aux autres peuples turcophones, extérieurs à la région. Le recensement a réactivé un débat autour de ces différentes formes identitaires. Les groupes perçus auparavant, par l'ethnologie soviétique, comme ethnies secondaires (ou « sous-ethnies ») et qui ont obtenu, récemment, le statut de petits peuples indigènes, cherchent à le garder au nom des avantages politiques et financiers garantis par ce statut. Cette revendication a rencontré une forte opposition des élites du centre de la république de l'Altaï, qui craignaient une remise en cause de l'autonomie de cette unité administrative.The peoples who live in the Altai region define themselves in terms of multiple forms of identity that enter into non-hierarchical combinations. One component is the clan, based on kinship and mythical origins. Local components involve place-names. An ethno-cultural identification of peoples fits into an ethnographic description; and there is a complex religious component, which is not a determinant however. A "memory" that reconstructs the past of tribes also enters into the definition of an identity. Several administrative divisions made in the region during the 20th century have contributed to forming a political, administrative and territorial sense of identity, which underlies nationalisms and specific claims. The linguistic component of belonging to the Turkic family implies the quest for a special relationship with other Turkic-speakers outside the region. The census has rearoused debate about these forms of identity. Some groups classified by Soviet ethnology as secondary ethnic (or "subethnic") groups have recently acquired the status of native peoples; and they are trying to keep this status with its political and financial advantages. These claims have encountered strong opposition from elites in the center of the Altai Republic who fear lest the region's autonomy come under question.
- De la colonisation russe à l'indépendance : dynamiques démographiques et renaissance de la nation kirghize - Werner Haug p. 153 L'article présente l'histoire du peuplement du territoire kirghiz et l'évolution de la composition ethnique de la population depuis la colonisation russe jusqu'à l'indépendance. L'histoire démographique du Kirghizistan a été marquée par l'expansion de l'Empire russe puis de l'Union soviétique en Asie centrale. Les structures politiques, économiques et sociales du pays se transformèrent radicalement sous le régime soviétique. La proportion de Kirghiz dans la population diminua par suite de l'immigration, forcée ou volontaire, de populations d'autres républiques. La relative stabilité d'après-guerre permit aux Kirghiz et autres populations centre-asiatiques de prendre leur « revanche » sur le plan démographique. Les traces de l'immigration européenne se sont atténuées après l'indépendance. D'après les résultats du recensement de 1999, la composition ethnique du Kirghizistan paraît beaucoup plus homogène aujourd'hui qu'il y a quinze ans. Toutefois, les tendances récentes en matière de démographie et d'emploi indiquent des disparités croissantes. Les Kirghiz se sont en partie urbanisés et s'ouvrent aux modes de vie occidentaux. Le contraire est vrai pour les Ouzbeks et les Tadjiks du Sud du pays. Ces tendances menacent la cohésion sociale et le développement équilibré du Kirghizistan indépendant.The history of Kirghizia's population is presented along with its ethnic composition from the period of Russian colonization till independence. The expansion of the Russian Empire and of the Soviet Union in Central Asia marked this land's demographic history. The country's political, economic and social structures changed radically under the Soviet government. The proportion of Kirghiz in the population decreased owing to (forced or voluntary) immigration from other republics. Thanks to the relative stability following World War II, the Kirghiz and other peoples in Central Asia were able to take "demographic revenge". The traces of European immigration are disappearing since independence. According to the 1999 census, Kirghizia's ethnic composition is more homogeneous than fifteen years ago. However recent trends in demography and employment point toward growing disparities. More Kirghiz have settled in towns and are adopting Western manners, but the contrary holds for Uzbeks and Tadjiks in the south. These trends threaten the social cohesion and balanced development of an independent Kirghizia.
Revue des livres
- Sébastien Peyrouse, Des chrétiens entre athéisme et islam. Regards sur la question religieuse en Asie centrale soviétique et post-soviétique - Sophie Hohmann p. 203
- Christian Lequesne, Jacques Rupnik, L'Europe des Vingt-Cinq, 25 cartes pour un jeu complexe ; Patrick Michel (dir.), Europe centrale, la mélalncolie du réel - Elsa Tulmets p. 205