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Revue Revue historique Mir@bel
Numéro no 640, octobre 2006
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Violences et domination

    • Travailler aux mines de sel. Réquisitions, corvées, travail forcé et esclave - J.-C. Hoquet p. 779 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La production de sel a généré diverses formes de travail forcé, du servage à l'esclavage. L'État colonial au Mexique ou l'État impérial chinois ont privilégié la corvée paysanne, l'État du despotisme éclairé a transformé la saline en bagne à faible productivité (îles et péninsules méditerranéennes), l'État totalitaire a utilisé prisonniers de guerre et déportés à la production de sel minier. Dans l'Afrique subsaharienne, où il s'était constitué de puissants États sédentaires, l'esclavage avait deux sources : la cession aux tribus nomades du désert des hommes capturés à la guerre ou l'astreinte au travail forcé des débiteurs défaillants au service de leurs riches créanciers. Ceux qui détenaient le sel pouvaient acquérir tout ce qui leur manquait, les grains et le travail des autres. Les empires noirs et leur aristocratie militaire ou marchande envoyaient une main-d'œuvre fort loin (déportation) exploiter les salines dont les pasteurs leur acheminaient le produit. L'esclavage du désert aurait ainsi été un transfert de travailleurs confiés à la garde des nomades par les États de la savane qui en recevaient l'indispensable sel en retour.
      States have introduced, in salt production, various forms of forced labour, from serfdom to slavery. The colonial State in Mexico, or the Chinese Imperial State have privileged farmers'compulsory labour, Enlightened Despotism transformed salt extraction works into poor productivity hard labour penitentiaries (Mediterranean islands and peninsulas), the Totalitarian State used war prisoners and deportees to mine mineral salt. In Subsaharian Africa, where the State had assumed the shape of powerful sedentary States, slaves were provided through two sources : the handing over to nomadic tribes of men made prisoners in wars or the assignment to forced labour of faulty debtors to the benefit of their wealthy creditors. Those who controlled salt supply were in a position to acquire everything they lacked, grain or others'labour. The empires of Black Africa and their military or trading aristocracies sent a workforce far away (deportation) to work in salt works, and the pastoral tribes were entrusted the duty to bring them the salt back. Desert slavery could thus have been a transfer of labour passed on to the nomadic populations by the savannah States who in return received the vital salt.
    • Routes et modalités du commerce des esclaves dans la Méditerranée des Temps Modernes (XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles) - M. Fontenay p. 813 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'esclavage dont il est question dans cet article est une forme spécifique de servitude propre à l'espace méditerranéen des Temps modernes et qui n'a que peu à voir avec l'esclavage antique ou la traite atlantique. Trois courants principaux concourent à l'alimenter. Le premier concerne les Noirs, hommes ou femmes, achetés ou capturés au cœur de l'Afrique sahélienne et conduits par caravanes jusqu'aux ports du littoral méditerranéen d'où ils sont expédiés par mer vers le Moyen-Orient, gros demandeur de force de travail domestique. Un deuxième groupe est constitué des prisonniers de guerre capturés à l'occasion de l'expansion ottomane sur le limes continental de l'Empire, auxquels s'ajoutent les esclaves razziés en territoire slave par les Tatars de Crimée : tous contribuent à nourrir en force de travail servile (brute ou spécialisée) les bagnes et les chiourmes ottomanes. Comme le précédent, ce trafic concerne essentiellement la Méditerranée orientale. En revanche, les captifs du corso (chrétien ou musulman) en Méditerranée occidentale, relèvent d'une économie de la rançon où l'esclave devient moins une force de travail (sauf pour les galères) qu'un moyen de faire de l'argent.
      This article investigates a special kind of slavery, peculiar to the mediterranean area of early modern times, and quite different from antic slavery or atlantic slave trade. It got its supplies from three main streams. The first one consisted of black men or women, bought or captured in sahelian Africa and conveyed to mediterranean coast, from where they were shipped to Middle East, which was very greedy of servile domestic labour. Another group was composed, on the one hand, of war prisoners linked to continental ottoman expansion toward Habsburg Europe, and on the other hand, of men and women captured in Slavian territories by the Tartars of Crimea. All of them were sold on the slave market at Istanbul and employed for their power of work (specialized or not) in private or public xorks, or as oarsmen on the galleys, mainly in the east mediterranean area. On the contrary, those made captives by christian or muslim corso in the western Mediterraneana and enslaved on pretext of holy war were in fact part of a ranson economy, where a slave is less a worker than a mean of making money.
    • Droit de résistance, à quoi ? Démasquer aujourd'hui le despotisme et la tyrannie - M. Turchetti p. 831 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis trop longtemps, l'opinion internationale est plongée dans un flou conceptuel à l'égard des mauvais gouvernements, des régimes oppressifs aussi nombreux que corrompus, qu'elle ne sait plus qualifier distinctement : s'agit-il de dictatures, de despotismes, de tyrannies, de totalitarismes, d'autocraties, etc. ? Cet embarras est préjudiciable avant tout au Droit de résistance (version moderne de l'ancien tyrannicide), parce qu'avant de l'activer il faut préciser contre quel type de régime oppressif on a le droit et le devoir de l'appliquer. Les termes comme « despotisme » et « tyrannie », alors qu'ils se sont révélés efficaces à la clarté du débat politique jusqu'au début du XIXe siècle, de nos jours ont été abolis du vocabulaire politique scientifique en raison de la confusion qui en a embrouillé les sens. Ce vocabulaire s'est donc appauvri à l'avantage d'autres termes comme « autocratie » et autres, surtout « dictature », tout aussi vagues et imprécis. Cet article se propose deux choses : d'une part, démontrer que nous avons oublié une distinction entre ces deux « mots concepts » qui était claire par le passé, et, d'autre part, essayer de comprendre à quel moment de l'histoire la confusion a pu survenir et pourquoi. Quant à leur restauration dans le langage politique courant, là n'est pas la question. Ce travail voudrait encourager à réfléchir sur la terminologie politique héritée de la tradition, sur l'usage correcte des concepts et de leurs définitions, afin de réintégrer le vocabulaire politique et le rendre plus apte à décrypter la réalité contemporaine, qui demeure complexe et souvent indéchiffrable. D'après les sources les plus fiables, on peut formuler ainsi la distinction entre les deux termes – concepts : le despotisme est une forme de gouvernement qui, tout en étant autoritaire et arbitraire, reste légitime, voire légal dans certains pays et situations historiques ; tandis que la tyrannie, outre à constituer un gouvernement arbitraire et autoritaire, est dans tous les cas (pays et situations historiques) illégitime et illégale, car elle s'exerce non seulement sans ou contre le consentement des citoyens, mais au mépris des droits humains fondamentaux.
      For too long international opinion has been stuck in a conceptual flux about bad governments, oppressive regimes both numerous and corrupt, which it has been unable to distinguish : whether they are dictatorships, despotisms, tyrannies, totalitarianisms, autocracies, etc. This embarrassment is prejudicial above all to the right of resistance (a modern version of ancient tyrannicide), because before activating it one must specify against which oppressive regime one has the right and the duty to apply it. Terms such as « despotism » and « tyranny » which proved efficacious for clarifying political debate until the beginning of the nineteenth century, in our days have been eliminated from the vocabulary of political science because of a confusion that has muddled their sense. This vocabulary has thus become impoverished to the advantage of terms like « autocracy », or yet others, especially « dictatorship », equally vague and imprecise. This article proposes two things : for one it demonstrates that we have forgotten a distinction between these two « conceptual terms » which was clear in the past ; for the other, it attempts to understand at which moment in history the confusion occurred and why. As for their restoration into contemporary political vocabulary, that is not the question. This work would simply like to encourage people to reflect on the political terminology inherited from tradition, on the correct use of concepts and of their definitions, in order to reintegrate political vocabulary and render it more useful in decrypting contemporary reality, which remains often complex and even undecipherable. Following the most reliable sources, one can thus formulate the distinction between two terms or concepts : despotism is a form of government that, while remaining authoritarian and arbitrary, remains legitimate, in other words legal in certain countries and historical situations ; while tyranny, in addition to constituting an arbitrary and authoritarian government, is in every case (country and historical situation) both illegitimate and illegal, for it is exercised not only without or against the consent of citizens, but in contempt of fundamental human rights.
    • La tyrannie de l'honneur. Les usages du duel dans la France du premier XIXe siècle - F. Guillet p. 879 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Généralement considéré comme une survivance de l'Ancien Régime, le duel constitue en réalité un des traits caractéristiques de la société française du premier XIXe siècle. Loin de signer sa fin, la Révolution, en refusant de lui donner, comme sous l'Ancien Régime, un statut juridique particulier, met le duel à la portée de tous. Rituel de la haute société, le duel touche aussi une large fraction des classes urbaines, en raison notamment de la mobilisation de millions d'hommes pendant les guerres de la Révolution et de l'Empire, et constitue une pratique caractéristique de la jeunesse masculine, qu'elle contribue à définir. Le duel exprime les tensions sociales et les blocages qui affectent une société française marquée par l'instabilité des positions sociales et traversée par l'angoisse du déclin, et constitue une arme politique utilisée tant dans le cadre du jeu parlementaire que dans les manifestations de rue. Fondé sur une éthique virile, le duel s'insère dans une gamme de gestes et de paroles qui ont pour cadre l'espace public de la rue, du cabaret ou du Parlement et contribue à la définition de la condition masculine.
      Generally considered as a survival from the Ancient Regime, the duel is in fact a typical feature of French society in the early nineteenth century. Far from pitting an end to it, the Revolution, by refusing to give it a legal status, puts it within everyone's reach. Formerly a ritual in high society, it then reaches a large fraction of urban classes due to the mobilization of millions of men during the Revolution and the Empire wars and it becomes a common practice among young males who find in it a means of identification. The duel reveals the social tensions and the mental blocks which then affect the French society undermined by unstable social positions and the fear of decline. It also constitutes a political weapon which is used as much in parliament as in street demonstrations. As it is founded on masculine ethics, the duel fits into a pattern of talk and behaviour taking place in the public space of the street, the cabaret, or the parliament and contributes to the definition of the male condition.
    • Violence et politique dans la France des années 1930, le cas de l'autodéfense communiste - G. Vidal p. 901 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Au cours des années 1930, le PCF tend à jouer le jeu de « l'affrontement simulé » qui caractérise la vie politique française de cette période. L'évolution de l'autodéfense communiste est symptomatique de cette pratique relativement modérée de la violence et du refus de la direction du parti et du Komintern de voir se développer en France une organisation paramilitaire « rouge ». Le discours insurrectionnel et les démonstrations de rue sont abandonnés en 1934 à la suite de l'adoption de la stratégie de front populaire. Les communistes font alors la promotion, mais sans grands excès, d'une « défense populaire de masse » face au « fascisme ». Cette entreprise, dont l'importance reste difficile à cerner, participe de l'ambiance de guerre civile froide qui perdure avec plus ou moins d'intensité jusqu'à la fin de la décennie.
      During years 1930, PCF tends to play the game of « the simulated confrontation » that characterises the French political life of that period. The evolution of the communist self-defence organisation is symptomatic of this relatively moderate practice of the violence and the refusal of the direction of the party and the komintern to see developing in France a « red » paramilitary organisation. The insurrectionary speech and the street demonstrations are abandoned in 1934 following the adoption of the Popular Front strategy. Then the Communist make promotion, but without excess, of a « popular defence of mass » facing the « Fascism ». This action, whose importance is difficult to estimate, takes part of the atmosphere of cold civil war which perdures with more or less intensity until the end of the decade.