Contenu du sommaire : Le numérique dans les humanités américaines

À partir d'une réflexion générale et poétique sur l'expérience de l'histoire, cet article cherche à raconter trente ans d'évolution des écritures numériques à la lumière d'un cas précis, celui du romancier et poète Michael Joyce qui en est généralement considéré comme l'un des pionniers. Il s'agit en outre d'étudier la manière dont la littérature numérique modifie notre compréhension de ce que signifie écrire sur des supports autres que virtuels, notamment le papier. À la fois méditation sur différents types d'écriture fictionnelle et réflexion sur les modalités très anciennes de la narration que sont la politique et la prophétie, cet article examine la fluidité narrative de l'ordinateur considéré comme un espace performatif de lecture. Le propos vise à suggérer que l'intertextualité illimitée permise par les médias numériques, jointe à leur pouvoir prophétique, crée un espace où chaque histoire singulière prend place parmi toutes les histoires que nous partageons, qu'elles soient publiques ou privées; ainsi, la polis et l'individu s'avèrent à nouveau coextensifs au sens où l'entendait le poète Charles Olson.

Cet essai porte sur une problématique d'histoire culturelle. Il vise à décrire l'état stationnaire nouvellement atteint par une discipline sujette, au fil de son histoire, à une dynamique complexe. On peut le lire comme une “critique du média pur,” autrement dit de la médiation redéfinie comme un objet épistémologique soumis à l'autorité triomphante d'une discipline; c'est cela que désigne le néologisme “remediafication.” Je formule l'hypothèse que, pensées sur le modèle américain, les études littéraires et les cultural studies appliquées aux médias numériques révèlent une division profonde aux sein des disciplines relevant des “humanités”; en effet, elles ont dès le départ attiré deux tempéraments critiques très différents et tout à fait inconciliables, dont l'un se vante de sa capacité à renier l'autre, quand il ne va pas jusqu'à prétendre l'avoir vaincu, comme c'était le cas récemment.

Aux États-Unis, les changements sociaux entraînés par l'essor des médias numériques ont encouragé dernièrement les universités à imaginer de nombreux cursus d'un type nouveau, à cheval sur les digital media studies et les études anglo-américaines. S'il est clair que bon nombre de ces cursus formeront des diplômés d'un genre nouveau dotés de compétences inédites, il n'en reste pas moins que la perspective de débouchés professionnels en rapport avec les attentes du marché ne saurait être considérée comme le seul facteur qui explique l'intérêt dont les nouvelles technologies font l'objet. Celles-ci ont donné naissance à des environnements dans lesquels il est possible de façonner et de construire des objets différents de tout ce qui a existé jusqu'à présent. La création d'objets animés d'un genre nouveau invite à élargir le périmètre de la notion d'écriture non moins que celui de l'ontologie.

Le Topological Media Lab est à la fois un atelier et un centre de recherche ; il a pour objectif de procéder à l'étude expérimentale des modalités gestuelles, performatives et corporelles de l'expression dans un environnement numérique interactif. Fondé à Atlanta en 2001 et transféré à Montréal en 2005, il fédère divers types de pratiques collectives, dont un atelier de création artistique, une compagnie de théâtre et un laboratoire de recherche sur les nouvelles technologies. Depuis six ans, au prix de nombreux tâtonnements, le Topological Media Lab permet un échange fragile entre des disciplines très différentes qui évoque peut-être la conversation cosmopolitique chère à Isabelle Stengers. Les expériences qui y sont menées ont pour but d'aborder, sur le mode empirique, des questions éthico-esthétiques, par exemple les problématiques relatives au mouvement corporel (intentionnel ou accidentel, collectif ou individuel) ou encore les relations entre le mouvement et la mémoire du corps ou la mémoire de l'espace. L'un des soucis qui guident en permanence le travail du Topological Media Lab consiste à aborder la question de la nouveauté en termes topologiques, matériels et poétiques, dans une perspective éthique mais non anthropocentrique. Dans cet article, je m'attache à étudier quelques-unes des modalités d'une pratique conçue en termes de “recherche-création.”

The Water Cure est un collage de fragments qui se répondent et s'entrechoquent. L'univers du personnage principal est un monde dans lequel le réel – l'assassinat de sa petite fille, mais aussi les guerres en Irak et en Afghanistan – a eu raison des cadres rassurants d'une réalité construite par le langage et par sa toute-puissante grammaire. Cet article vise à montrer la tension entre un langage articulé, construit, contraignant et l'avènement de fragments qui résistent à cette articulation toute-puissante. Que se passe-t-il lorsque l'indicible fait surface, dénonçant l'illusion selon laquelle langage et sens font corps?