Contenu du sommaire : Économies morales - Le temps de l'histoire - Histoire sociale et identités raciales

Revue Annales. Histoire, Sciences Sociales Mir@bel
Numéro vol. 64, no 6, décembre 2009
Titre du numéro Économies morales - Le temps de l'histoire - Histoire sociale et identités raciales
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Économies morales

    • Les économies morales revisitées - Didier Fassin p. 1237-1266 accès libre avec résumé
      Le concept d'économies morales, proposé par E. P. Thompson il y a quarante ans, a connu depuis lors un succès non démenti mais pourtant ambigu. D'abord, dans les années 1970 et 1980, repris par le politiste James Scott, il a nourri un ensemble important de travaux, surtout anthropologiques, sur les formes de résistance et de rébellion des paysanneries du tiers-monde. Ensuite, dans les années 1990 et 2000, à la suite de l'historienne Lorraine Daston, il a servi à interpréter les réseaux de valeurs et d'affects incorporés dans le travail scientifique et au-delà dans divers mondes sociaux. Après avoir fait un retour sur les analyses princeps de l'inventeur du concept pour en montrer les tensions et les paradoxes, j'examine les continuités et les ruptures dans ses multiples descendances en prêtant notamment attention aux enrichissements mais aussi aux abandons théoriques de la période récente. J'avance alors une définition plus ouverte que celle initialement donnée (en ne limitant pas le concept aux groupes dominés et en ne le restreignant pas au domaine économique) et plus critique que celle secondairement adoptée (en restituant la dimension politique des économies morales) et j'en propose quelques illustrations à partir de mes travaux empiriques autour de l'immigration et de la violence dans différents contextes historiques pour en montrer le potentiel heuristique.
  • Le temps de l'histoire

    • « Temporalisation » et modernité politique : penser avec Koselleck - Alexandre Escudier p. 1269-1301 accès libre avec résumé
      La catégorie de « temporalisation » est omniprésente dans les textes fondateurs de la Begriffsgeschichte koselleckienne. Elle renvoie à la question générale de la temporalité humaine et au problème épistémologique des temporalités historiques en particulier. Elle constitue en outre, pour Koselleck, un cadre interprétatif fondamental de notre modernité politique. Ce texte revient sur ces différents problèmes en reconstruisant la « théorie générale de l'expérience historique » qui se trouve à l'arrière-plan. Un inventaire des usages analytiques de la catégorie de « temporalisation » est ensuite proposé. Par là même, le schème de la « temporalisation » apparaît comme un processus global traversant notre modernité politique, en interaction avec d'autres processus englobants, qu'il s'agit aujourd'hui de tenter de typologiser dans la continuité certes, mais au-delà du cadre koselleckien initial. Soucieux de faire apparaître, en les distinguant et articulant ensemble, les différents niveaux d'analyse mis en oeuvre par l'entreprise même de l'histoire des langages politiques modernes, cet article tente de réengager le dialogue entre l'histoire (structurelle, culturelle et événementielle) et les sciences politiques en reconnaissant un statut causal propre aux idées politiques et religieuses modernes, à la philosophie politique et juridique moderne, à l'inertie des sémantiques historiques sur la longue durée : toutes choses qui ne peuvent être causalement, et partant disciplinairement, disqualifiées que parce que l'on part d'une vision étriquée et pauvre de ce qu'est l'expérience de l'histoire.
  • Histoire sociale et identités raciales

    • La question raciale et le « sol libre de France » : l'affaire Furcy - Sue Peabody p. 1305-1334 accès libre avec résumé
      À partir d'un cas singulier du XIXe siècle, cet article examine la loi française au regard du principe du sol libre français et de la loi raciale. Un homme de l'Île Bourbon, Furcy, cherche à faire établir qu'il est un homme libre, face aux prétentions de son prétendu maître, Joseph Lory, dans une affaire qui dure de 1817 à 1843. Ses avocats et les procureurs fondent sa demande sur le fait que sa mère était indienne et non pas noire et sur son séjour en France de 1771 à 1773, avant d'accompagner des colons à l'Île Bourbon, où elle accoucha de Furcy en 1786. À la différence du fameux cas de Dred Scott aux États-Unis, les cours de justice parisiennes rejetèrent l'argument racial en faveur du principe du sol libre de France. Cet article est la première tentative pour retracer l'évolution de ces deux justifications légales de l'émancipation de l'Ancien Régime jusqu'au XIXe siècle.
    • Comment devient-on aborigène ? Trajectoires familiales dans le Sud-Est de l'Australie - Bastien Bosa p. 1335-1359 accès libre avec résumé
      La trajectoire d'Albert Widders, Aborigène australien, permet d'historiciser le modèle ségrégatif qui a dominé le Sud-Est de l'Australie au XXe siècle. Sa vie semble en effet avoir été coupée en deux par l'apparition d'un ordre ségrégatif. Né dans les années 1840, Albert était, dans la première partie de sa vie, assez bien intégré au monde des colons blancs, au point d'épouser une femme européenne. Suite à l'effondrement de son mariage, il a cependant quitté la région et formé une nouvelle famille, cette fois avec une femme aborigène. De ces deux mariages sont issues deux « branches » d'une famille ? l'une dans le monde aborigène, l'autre dans le monde « européen » ? dont les destins sociaux contrastés permettent d'appréhender avec un regard nouveau les transformations des relations raciales en Australie du Sud-Est, marquées par l'avènement, au XXe siècle, d'une dichotomie rigide séparant « Noirs » et « Blancs ».
    • Souteneurs noirs à Marseille, 1918-1921 Contribution à l'histoire de la minorité noire en France - Sylvain Pattieu p. 1361-1386 accès libre avec résumé
      Alors que l'historiographie a privilégié intellectuels et militants, l'espace marseillais permet d'aborder l'histoire des populations noires par les milieux populaires. Le cas d'un petit groupe de navigateurs, devenus proxénètes à la faveur de la guerre, permet en effet de tester à la fois la portée et les limites d'une approche de leur trajectoire sociale par la « condition noire ». Ces souteneurs, éloignés de la culture légitime, marginaux par rapport à la norme sociale, sont toutefois très intégrés dans le milieu populaire localisé du port. Si la couleur de peau compte dans leur constitution en bandes, leur trajectoire ne diffère cependant pas significativement de celle des souteneurs blancs (et notamment corses) de Marseille : c'est surtout par l'appartenance à une même profession que s'explique ces carrières déviantes. Cette étude de cas interroge la portée sociale de la couleur de peau dans l'ensemble des facteurs sociaux dans les milieux populaires français et les luttes de classement en leur sein.
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