Contenu du sommaire : Géopolitique de l'énergie
Revue | Hérodote |
---|---|
Numéro | no 155, 4ème trimestre 2014 |
Titre du numéro | Géopolitique de l'énergie |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- L'énergie : un facteur géopolitique plus ou moins efficace - Béatrice Giblin p. 3-8
- Les fantasmes géopolitiques du pétrole dans les pays en guerre... ou pas - Marc-Antoine Pérouse de Montclos p. 9-21 Ressource hautement symbolique, le pétrole suscite bien des fantasmes lorsqu'il s'agit d'expliquer les motifs de conflits armés. L'or noir est bien évidemment un objet de convoitise et un atout stratégique essentiel pour conduire des guerres. Mais son rôle est clairement surestimé lorsqu'il occulte les autres facteurs de déclenchement d'un conflit armé. À partir de plusieurs exemples puisés en Afrique, en Asie et en Amérique latine, cet article montre ainsi comment l'obsession du pétrole peut confiner au fantasme et troubler l'analyse géopolitique de la guerre... en particulier dans les pays sans pétrole.The fantasy of oil in war-torn countries: a geopolitical analysis
A highly symbolic resource, oil is often seen as a curse and a source of armed conflicts. It is of course a reason for competition and a strategic asset to conduct a war. But its role should not obscure other factors of armed conflicts. From various examples in Africa, Asia and Latin America, this article thus shows how the fantasy of oil can stimulate the imagination and confuse the geopolitical analysis of war, especially in countries without oil. - Le bassin atlantique : une nouvelle géopolitique des hydrocarbures entre les Amériques et l'Afrique - Benjamin Augé p. 22-42 Les États bordant l'océan Atlantique (Amérique du Nord et latine, Afrique et Europe) voient depuis quelques années leur relation en matière d'hydrocarbures se modifier en profondeur. L'exploitation intensive des gaz et pétrole de schiste aux États-Unis permet déjà de quasiment stopper toute dépendance pétrolière et gazière vis-à-vis des États du golfe de Guinée en Afrique. Certains de ces producteurs africains comme le Nigeria craignent que la relation politique et sécuritaire avec le gouvernement américain soit de ce fait bouleversée et que la relation bilatérale ne devienne qu'exclusivement économique. De ce fait, ce brut et gaz africains disponibles commencent à davantage trouver preneur en Europe et en Amérique Latine (ainsi que dans certains pays asiatiques comme l'Inde). Ces échanges en hydrocarbures créent de nouveaux réseaux et de nouvelles relations entre certains États de ces blocs qui se connaissaient peu auparavant. D'un point de vue géologique, l'offshore des États côtiers de l'océan Atlantique, que nous appellerons bassin atlantique, ont de nombreuses similitudes : il y a plusieurs millions d'année ces continents ne formaient qu'un seul et même ensemble. Les compagnies l'ont compris et tentent leur chance de l'autre côté du bassin atlantique lorsqu'une découverte est faite du côté opposé. De nouvelles coopérations entre compagnies et entre États latino-américains et africains sont, ici aussi, en train de se constituer. De nouveaux acteurs vont ainsi entrer en compétition pour contrôler de nouvelles zones et entraîner une nouvelle géopolitique des hydrocarbures que nous nous proposons d'étudier.The Atlantic basin: a new Africa-Americas oil and gas geopolitical arena.
The Atlantic Ocean (North and Latin America, Africa and Europe) is bordered by states experiencing a significant change in their relationships regarding hydrocarbons. The rapid development of shale oil and gas in USA allows the country more and more independence from African states in the gulf of Guinea. Some of these producing countries like Nigeria are worried that the special political and security ties with America will turn into a mere trade relationship. Africa's excess oil and gas capacity, no longer sold to USA, is bought by Latin America and Europe (alongside countries such as India). Oil and gas transactions are creating new networks and fresh ties between countries from these zones that previously had to do with each other. From a geological perspective, the Atlantic Ocean is bordered by coastal countries with multiple similarities, and which we will refer to as the Atlantic basin. Millions of years back, they formed one single continent. Oil companies, bearing this geological similarity in mind and profiting from better technology, apply for oil blocks on one side of the Atlantic basin whenever a discovery is made on the opposite side. New relationships are thus flourishing between Latin-American and African states. New players, competing to control new zones, gives rise to a fresh geopolitical situation that we are going to examine in this article. - Les relations pétrogazières UE-Russie et le débouché chinois. La géopolitique avant le commerce - Jean-Sylvestre Mongrenier p. 43-57 Le conflit géopolitique autour de l'Ukraine, les risques et menaces sur les exportations de gaz russe à destination de l'Europe et le récent contrat gazier sino-russe (Shanghai, le 20 mai 2014) appellent l'attention sur la relation triangulaire Russie-Europe-Asie. Les autorités européennes (UE) ont voulu dépolitiser la question énergétique mais les dirigeants russes font prévaloir une approche stratégique et géopolitique. En raison de ces interdépendances, Vladimir Poutine cherche à ouvrir de nouveaux débouchés en Asie, afin d'accroître sa latitude d'action en Europe. Si la diplomatie chinoise est d'abord motivée par les besoins énergétiques de son économie, Moscou privilégie la puissance et ses enjeux.European Union-Russia oil and gas relationship and the Chinese prospect. Geopolitics before trade
The geopolitical conflict around Ukraine, risks and threats about Russia's gas exports toward Europe and the new Russian-Chinese gas contract (Shanghai, 20 may 2014) draw attention to the triangular relationship between Russia, Europe and China. Initially, EU's authorities wanted to make apolitical the energy issue but Russia's rulers have a strategic and geopolitical approach of it. Due to this interdepency, Vladimir Putin wants to open new markets in Asia in order to gain room for maneuver in Europe. If China's diplomacy is mainly determined by the energy needs of its economy, Moscow gives priority to power and its stakes. - L'énergie, facteur d'intégration et de désintégration en Europe : Bilan du quart de siècle depuis la chute du mur de Berlin - Susanne Nies p. 58-79 Les relations énergétiques entre pays peuvent autant stabiliser que déstabiliser et l'Europe est un laboratoire formidable pour le démontrer. La présente contribution revient sur un quart de siècle de tergiversations énergétiques en Europe. Bien que le point de départ soit la chute du mur de Berlin, et que la relation Est-Ouest dans ce nouveau contexte apparaîtra comme l'élément central, l'auteur analyse également les relations énergétiques et leur évolution en Union européenne. Son analyse est basée sur trois dimensions déterminantes pour la relation énergétique : les liens physiques gaziers et électriques ; la régulation comme facteur d'intégration, de désintégration et de désorientation ; ainsi que les choix politiques et visions des uns et des autres, et qui peuvent être compatibles ou incompatibles. Elle démontre qu'au début le lien gazier, vecteur de confiance sans faille depuis les années 1970, ne l'est plus en 2014. Elle présente par la suite le lien électrique, et développe le mouvement géopolitique Est-Ouest des nouveaux États membres de l'UE. Ce mouvement a fait émerger un groupe de pays « entre deux mondes » qui ont cherché en vain une identité positive comme pont entre deux mondes. La situation actuelle en Ukraine de l'Est semble leur montrer que seule une appartenance claire peut leur fournir la sécurité et la prospérité auxquelles ils aspirent. La transition énergétique européenne enfin a émergé comme nouvelle pierre angulaire des relations énergétiques. L'adhésion à cette transition énergétique ou son rejet marquera sans aucun doute les années à venir. Dans sa conclusion l'auteur formule cinq thèses résumant l'analyse et des recommandations quant à l'avenir des relations énergétiques en Europe.European energy as a factor for integration and disintegration: the 25 years since the end of the Cold War reconsidered Energy relations are capable of stabilizing as well as destabilizing relations between countries. There is no better place than the unifying Europe to demonstrate this in all its complexity. Twenty five years after the collapse of the Berlin wall energy seems even more and more relevant not only in East West relations, but also among EU member states. The author looks into the three dimensions determining energy relations: gas and electricity physical links; regulatory integration, as well as policy choices and vision. She shows firstly that the physical gas link has been first expanded between EU and Russia, and then, in 2014, lost its very basis: the trust never put into question since the 1970s. As for electricity links she insists on the East-West geopolitical shift of the new EU member states; a shift which left various countries in a kind of a no men's land in between, exposed to the question whether this space could gain some positive identity, as a bridge between East and West. This is very much today perceived as an illusion, and the quest for certainty through clear association prevails. As for physical links the last 25 years have been marked by regulatory disintegration, reintegration and disorientation. The same countries ‘in between' on physical links tend to be disoriented on regulation too. And finally, as for the policy choices and vision, a new frontline has emerged in Europe, opposing les anciens et les modernes, symbolized by the opposite choices of France and Germany. But such opposition is far from being definite, and there is a perspective for the Franco-German couple to become the European driving force again, over time. In his summary the authors formulates five theses summarizing the findings and a recommendation for a cooperative approach on energy in Europe.
- De la Caspienne à la Turquie : les enjeux du corridor gazier sud-européen - Noémie Rebière p. 80-97 Avec l'augmentation de la demande énergétique globale et la multiplication des conflits pour le contrôle des ressources et des routes d'approvisionnement, la sécurité énergétique devient un enjeu majeur pour l'Union européenne, mais aussi pour les pays producteurs et de transit. La récente crise en Ukraine met en lumière le rôle du gaz comme arme stratégique dans la politique extérieure de la Russie et confirme la nécessité pour les pays européens de diversifier leurs sources et routes d'approvisionnement en énergie. Le corridor gazier sud-européen, qui achemine les hydrocarbures de la région Caspienne vers l'Europe via la Turquie, constitue un projet clef de la stratégie de l'Union européenne et des États-Unis pour assurer la sécurité énergétique de l'Europe. Cependant, avec l'actuelle instabilité au Moyen-Orient et la difficulté d'aboutir à un accord concernant les négociations sur le nucléaire iranien, la question de la capacité du corridor sud-européen d'être alimenté par des ressources suffisantes dans les années à venir reste hypothétique. Dans ce contexte, cette approche analyse les interactions profondes entre enjeux énergétiques, sécurité des territoires, visées politiques et intérêts économiques.From Caspian to Turkey: the southern European gas corridor's issues
With the growth of global energy demand and the raise of conflicts for the control of energy ressources and supply routes, energy security is becoming a major issue for the European Union, but also for suppliers and transit countries. The recent crisis in Ukraine highlights the role of gas as a strategic weapon in the Russian external policy and reinforces the need of the European countries to diversify energy sources and supply routes. The southern European gas corridor, which carries hydrocarbons of the Caspian region to Europe through Turkey, is as a key project of E.U. and U.S. strategy to ensure the energy security of Europe. However, with the current instability in the Middle East and the difficulty to set-up an agreement in the Iranian nuclear negotiations, the issue of the ability of the southern gas corridor to be supplied with enough amount of resources remains hypothetical. In this respect, this approach analyses the deep interactions between energy issues, territorial security, political aims and economic interests. - Les Balkans en quête d'un nouveau souffle : le Sud-Est européen au révélateur des enjeux énergétiques - Renaud Dorlhiac p. 98-113 La nécessité pour l'Europe occidentale de se doter de nouvelles voies d'approvisionnement énergétique conférera dans les prochaines années une place stratégique aux Balkans. Les pays concernés par les projets promus dans le cadre du « corridor sud » entendent profiter de ce rôle en matière de transit pour relancer des économies durement touchées par la crise financière et alléger leur dépendance énergétique, en attendant de développer leur potentiel propre encore sous-exploité, notamment dans le domaine des énergies renouvelables. Mais les États balkaniques entendent également saisir cette opportunité pour revaloriser leur poids sur la scène internationale et affirmer leur suprématie régionale. Ces enjeux politiques poussent la plupart d'entre eux à régler (ou minimiser) certains différends bilatéraux avec leurs voisins. Ils les amènent aussi à élargir leurs partenariats au-delà du continent européen afin de s'affranchir d'une relation de plus en plus conflictuelle entre l'Union européenne et la Russie.The Balkans in search of a new breath: South-east Europe revealed by the energy stakes
In the coming years, the fact that Western Europe has no choice but to equip itself with new ways of energy supply will confer a strategic place on the Balkans. The countries concerned by the projects promoted within the framework of the « southern corridor » intend to take advantage of this transit role to boost economies hardly affected by the financial crisis, and lighten their energy dependence, while waiting to develop their own potential, still under-exploited, in particular in the renewable energies field. But the Balkans States intend also to seize this opportunity to raise their weight on the international scene and to assert their regional supremacy. Those political stakes drive most of them to settle (or minimize) some bilateral issues with their neighbors. It also drives them to broaden their partnerships beyond the European continent in order to free themselves from relations more and more tense between Russia and the European Union. - La géopolitique indienne de l'énergie - Jean-Luc Racine p. 114-134 Dans sa course à la puissance, l'Inde doit résoudre le défi de sa sécurité énergétique. Dépendant de plus en plus des importations de pétrole, de gaz, de charbon et d'uranium, elle doit résoudre des problèmes de coût, mais aussi d'approvisionnement dans un contexte difficile, aussi bien dans son voisinage proche que dans son voisinage étendu. La géopolitique indienne de l'énergie est ainsi partie prenante aussi bien de la diplomatie économique que de la « grande stratégie » d'un pays émergent devant consolider les bases de sa puissance. À cet égard, la quête de la sécurité énergétique illustre de façon significative les nouvelles géométries de l'ordre mondial, où compétition et coopération sont de règle entre acteurs inégaux, mais incontournables.The geopolitics of Indian energy
In her quest of power, India should address the challenge of energy security. More and more dependent of oil, gas, coal and uranium imports, the country has to address issues of prices, as well as issues of procurement, often in a challenging context in the near abroad and in the extended neighborhood. The geopolitics of Indian energy is henceforth linked both to New Delhi's economic diplomacy and to the « grand strategy » of an emerging country in need of consolidation of its power base. Through such a process, the quest to energy security clearly illustrates the new geometries of the global order, where competition and cooperation are the rule of the game between unequal, but inescapable actors. - Israël-Palestine : une géopolitique de l'électricité - David Amsellem p. 135-152 Les enjeux géopolitiques de l'électricité au Proche-Orient sont rarement étudiés, pourtant cette énergie est au cœur de la rivalité qui oppose Israéliens et Palestiniens. L'État hébreu l'instrumentalise en effet comme outil de conquête et de contrôle territorial en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, en favorisant l'installation de populations juives dans ces territoires. En outre, la très grande dépendance des Palestiniens vis-à-vis de la production et la fourniture d'électricité israéliennes offre à l'État hébreu de nouveaux moyens de pression économiques et militaires à l'encontre des Palestiniens. Pour autant, cette situation n'est pas sans danger pour Israël, car la dépendance électrique des Palestiniens comporte des risques sécuritaires et politiques qu'a su parfaitement utiliser le Hamas à Gaza. La dépendance électrique des Palestiniens, liée à leur absence d'autonomie politique, est un enjeu majeur.Israel – Palestine: the geopolitics of electricity
The electricity sector in the Middle-East is rarely studied, however this energy has a key role in the rivalry between Israelis and Palestinians. Indeed, the Hebrew State uses it as a tool of conquest and control in the West Bank and the Gaza Strip, by giving an access to commodities to Jewish settlers. Moreover, Palestinians are strongly dependent on electricity produced by Israeli power plants, which enables Israel to pressure on the Palestinians. Yet the Palestinian electricity dependence is a critical issue for Israel's security as the Hamas, whose leadership is at stake in the region, knows how to take advantage of the situation. - Du « pays perdu » du Blayais à l'« émirat de Saint-Vulbas » : les territoires de dépendance au nucléaire en France - Teva Meyer p. 153-169 À l'heure de la transition énergétique, la baisse de la part du nucléaire dans le mix électrique français annoncée par François Hollande après son élection en 2012 soulève une opposition transpartisane tant à l'échelle nationale que locale. En France, les territoires d'implantation des centrales, communes et intercommunalités, se sont enrichis qualitativement et quantitativement sous l'effet conjoint des retombées économiques et des stratégies d'EDF. Peu à peu, ces améliorations ont forgé un lien de dépendance entre les infrastructures et les collectivités. Face à la possibilité d'une disparition de leurs ressources, ces dernières se sont constituées en acteurs du conflit dans un contexte de forte politisation des agents des centrales, comme le montre actuellement le débat autour de l'avenir de Fessenheim. L'existence en France de territoires de dépendance au nucléaire, politiquement actifs, freine le désaménagement du parc électronucléaire que nécessiterait une modification du bouquet énergétique du pays.From the lost land of Blayais to the Emirate of Saint-Vulbas: the territories of dependency to nuclear energy in FranceIn midst of energy transition, the reduction of the share of nuclear power in the French electricity mix announced by president François Hollande after his election in 2012 rises a transpartisan opposition both at the national and the local level. In France, the territories which host a nuclear power plant, municipalities and intercommunalities, enriched themselves quantitatively and qualitatively thanks to the financial benefits and to the strategies of EDF. Little by little, these improvements forged a relation of dependency between the infrastructures and their communities. Facing a potential vanishing of their resources, they structured themselves as actors of the conflict in a context of strong politicization of the NPP's workers, as today's debate surrounding the future of Fessenheim plants epitomizes it. The presence in France of territories of dependency to atomic power, which are politically active, slows down the partial deconstruction of the electronuclear park that a modification of the national energy mix would require.