Contenu du sommaire : Pluralisme dans les mouvements féministes contemporains
Revue | L'Homme et la société |
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Numéro | no 198, juin 2015 |
Titre du numéro | Pluralisme dans les mouvements féministes contemporains |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Éditorial (I). Du paradoxe de la situation actuelle - Michel Kail p. 7-11
- Éditorial (II). Le capital féministe au xxie siècle : primauté de l'égalité des sexes - Pierre Bras p. 13-27
Pluralisme dans les mouvements féministes contemporains
- Pluralisme dans les mouvements féministes contemporains - Ioana Cîrstocea, Isabelle Giraud p. 29-49
- Féminismes contemporains et controverse du pacte laïque en France : d'un modèle d'émancipation unique à sa confrontation plurielle - Natacha Chetcuti-Osorovitz p. 51-72 Fondé sur une analyse des discours de militant-e-s, d'analystes et d'intellectuel-le-s, médiatisés à la faveur de mobilisations féministes durant la dernière décennie, cet article est centré sur l'analyse des controverses concernant le pacte laïc en France. Le lien entre laïcité, descendantes d'immigrés et égalité entre les sexes apparaît plus que jamais au centre du débat féministe français et dans ses recompositions politiques. Les différends autour de la loi sur les signes religieux à l'école, ceux concernant les violences faites aux femmes, jusqu'au récent débat sur la légalisation du mariage dit « pour tous » seront ainsi privilégiés. Dans le contexte contemporain d'interprétations multiples de la laïcité, l'analyse sociologique des féminismes permettra de mettre au jour les façons dont le concept de citoyenneté est retraduit.The link betweeen secularity, the female descendants of immigrants and the equality between the sexes is the most hotly debated issue today by french feminism which determine its political recompositions. In the contemporary context of the multiple interpretations of secularity, the sociological analyse of feminisms will allow to disclose the different ways to understand the concept of citizenship.
- « Se faire une voix ». La production internationale du féminisme est-européen des années 1990-2000 - Ioana Cîrstocea p. 73-94 Centrée sur la production symbolique et pratique du « féminisme est-européen » pendant la décennie 1990, notre analyse montre comment des institutions internationales ont créé un espace d'expression et fourni des ressources matérielles pour la promotion de la démocratie contribuant de la sorte à la légitimation d'actrices militantes localisées dans les pays ex-socialistes et engagées dans des mobilisations par-delà les frontières. Opérant avec une pluralité de niveaux d'observation et d'échelles d'analyse, nous abordons diverses institutions interconnectées, ainsi que la trajectoire d'une féministe multipositionnée qui tisse des relations entre niveaux et entre arènes de nature différente. Dans un contexte fortement structuré par l'action et les discours des organismes internationaux, l'espace des mobilisations féministes s'élargit pour inclure de nouvelles voix qui s'expriment en tant qu'héritières des régimes socialistes et transposent dans la politique internationale des droits des femmes leur expérience et leur réflexivité.This paper focuses on the symbolic and practical production of « East-European feminism » during the 1990s. Making available resources for democracy promotion, international institutions have contributed to legitimize women activists based in the ex-socialist countries and connected across borders. The analysis combines frames and scales and it considers various entangled institutional settings as well as the social trajectory of a multi-situated feminist activist linking together national and international arenas of different kinds. In a context strongly marked by international organizations' actions and discourses, definitions of feminism have expanded and room has been made for new voices. Expressing themselves as the inheritors of socialist regimes' legacy, the new comers transferred their experiences and their reflexivity into the global politics of women's rights.
- Intégrer la diversité des oppressions dans la Marche mondiale des femmes - Isabelle Giraud p. 95-112 Contrairement aux apparences, mettre en œuvre des pratiques et des discours réellement intégrateurs des multiples oppressions des femmes n'est pas un enjeu subalterne au sein des mouvements féministes. La Marche mondiale des femmes, mouvement transnational féministe, affirme cette volonté, fondée sur des principes de solidarité et de représentation de la diversité en son sein. Cependant, ce mouvement transnational hérite de la structure des rapports sociaux au sein des mouvements des femmes nationaux et des contenus discursifs des précédents compromis trouvés au niveau international, qui limitent encore la portée de ces efforts. Il développe néanmoins des stratégies intégratrices, notamment pour les jeunes avec une politique de présence, et pour les femmes racialisées, autochtones et immigrées, avec un discours intersectionnel assumé, stratégies permises et facilitées par la géographie des rencontres internationales et la montée de l'intersectionnalité dans la littérature académique.Implementing practices and discourses that integrate various form of oppresssion in a transnational women's movement is not necessary a subaltern issue for feminist movements. The World March of Women, a feminist transnational movement, expresses this intention, based on principles of solidarity and representtation of diversity. However, this transnational movement inherits the structure of social relationships within national women's movements and discursive content of previous compromises at the international level, that further limit the scope of these efforts. Nevertheless, the WMW develops inclusive strategies, especially for young people with a politics of presence, and for racialized, indigenous and migrant women with an assumed intersectional discourse.
- La pensée féministe islamique à l'ère de la mondialisation : entre stratégie herméneutique et mobilisation transnationale - Malika Hamidi p. 113-125 Ces deux dernières décennies, la question du genre en islam s'est transformée en un véritable mouvement de pensée féministe islamique. À la fin des années 1980, nous assistons à l'émergence d'une nouvelle conscience féministe ancrée dans la tradition musulmane. Des intellectuelles musulmanes occidentales proposent une herméneutique féministe islamique pour une approche interprétative contextualisée des sources scripturaires. Certaines versions de ce nouveau discours ont été qualifiées de « féminisme islamique ». Pourtant, cette expression est contestée à la fois par quelques musulmans et féministes qui la considèrent comme opposée à leurs positions et idéologies respectives. Selon eux, le concept « féminisme islamique » serait contradictoire. Pourtant, c'est à partir d'une identité plurielle que ces intellectuelles musulmanes et engagées donnent une vigueur nouvelle à ce mouvement de réforme qui devient un enjeu majeur dans les sphères religieuses, politiques et intellectuelles dans le monde musulman comme en Occident à l'aube du XXIe siècle.Over the course of the past two decades, the question of gender within Islam has turned into a veritable transnational movement of Islamic thought and action. Muslim feminist activists and intellectuals have adopted a two-pronged strategy of « Textual and contextual activism ». On the one hand, these women have developed a feminist Islamic hermeneutics allowing for an interpretative and contextualized approach to Islamic sources. On the other hand, they use a transnational practice to diffuse the Islamic feminist thought more effectively. Indeed, this transnationalism has invigorated the feminist islamic movement and helped to transform it into a key player within religious, political and intellectual spheres of both the Muslim world and the West.
- Une « dépolitisation » de l'action collective des femmes ? Réflexions croisées sur le Nicaragua et la Palestine - Delphine Lacombe, Elisabeth Marteu p. 127-148 L'article interroge, dans une perspective comparatiste Palestine/Nicaragua, les formes de politisation et de dépolitisation de l'action collective des femmes, à partir des acceptions indigènes et exogènes de ces notions, et d'une perspective empirique relative aux mobilisations féministes et de femmes dans chacun des deux pays. Il analyse les déplacements idéologiques et pratiques d'actions collectives dont les répertoires de mobilisation ont été réagencés sous l'effet de l'épuisement progressif des référents marxistes-léninistes, des recompositions de la conflictualité politique et de la part qu'y prend la violence, des adaptations stratégiques aux financeurs du développement. Il soutient enfin que loin de toute dépolitisation — terme parfois repris pour souligner le caractère déchu des utopies qui ont été à l'œuvre ou pour signaler l'effet d'institutionnalisation des groupes revendicatifs par la forme ONG — on assiste plutôt à de nouveaux rapports de force entre la quête de lissage des conflits par les financeurs externes des associations, et la recherche de modes d'agir radicaux.From a comparative perspective on Palestine and Nicaragua, the article questions the forms of politicization and de-politicization of women's movements, based on indigenous and exogenous meanings of these concepts, and on an empirical perspective on feminist and women's mobilization in these two countries. The article analyzes ideological shifts and collective actions' practices whose repertoires of mobilization have been reorganized as a result of the exhaustion of Marxist-Leninist references, the recomposition of political confliction and the place taken by violence, strategic adjustments to development funding. Finally, it argues that far from any de-politicization — a term sometimes used to emphasize the fallen nature of utopias that were at work or to report the effect of institutionalization of protest groups through NGOs — rather there has been new power relations between the smoothing of conflicts requested by external funding organizations and the quest for radical modes of action.
- Praxis de l'intersectionnalité : répertoires des pratiques féministes en France et au Canada - Éléonore Lépinard p. 149-170 Les théories féministes ont désormais largement adopté le concept d'intersectionnalité pour décrire et analyser les axes multiples d'oppression et leurs imbrications. Cependant, encore relativement peu de recherches explorent la question de savoir si les organisations de femmes dans différents contextes ont elles aussi adopté ce terme et l'analyse politique qu'il implique. À partir de données qualitatives recueillies auprès de militantes des droits des femmes en France et au Canada, cet article montre que l'intersectionnalité est un des répertoires discursifs possible — mais pas le seul — que les organisations de femmes peuvent utiliser pour analyser l'expérience sociale et les intérêts politiques des femmes situées à l'intersection de plusieurs rapports d'oppression. À partir des données qualitatives, l'article propose une typologie de quatre répertoires types que les militantes utilisent pour penser l'intersectionnalité et l'inclusion au sein de leurs organisations.Intersectionality has been adopted as the preferred term to refer to and to analyze multiple axes of oppression in feminist theory. However, few research examine if this term, and the political analyses it carries with it, has been adopted by women's rights organizations in various contexts and to what effect. Drawing on interviews with activists working in a variety of women's rights organizations in France and Canada, I show that intersectionality is only one of the repertoires that a women's rights organization might use to analyze the social experience and the political interests of women situated at the intersection of several axes of domination. I propose a typology of four repertoires that activists use to reflect about intersectionality and inclusiveness.
- Enjeux et défis d'une politique féministe intersectionnelle - L'expérience d'Action des femmes handicapées (Montréal) - Dominique Masson p. 171-194 Le développement d'une perspective féministe intersectionnelle constitue la dernière réponse en date aux enjeux théoriques et politiques posés par l'existence des différences entre les femmes. Cet article s'interroge sur la façon dont les organisations féministes « font l'intersectionnalité », c'est-à-dire traduisent cette perspective théorique dans leur pratique politique. À partir de l'étude de l'association Action des femmes handicapées (Montréal), il vient documenter des usages politiques de l'intersectionnalité qui font appel à l'articulation du genre avec un axe de la domination qui demeure sous-représenté dans les études se réclamant des perspectives intersectionnelles : le capacitisme. L'article s'attache à cerner les éléments centraux de la politique féministe intersectionnelle déployée par cette association et de sa réception par les majoritaires « valides » du mouvement féministe québécois. Il soutient de plus que la pratique politique de l'intersectionnalité varie aujourd'hui selon que celle-ci est mise en œuvre par les « minoritaires » ou les « majoritaires » dans le mouvement féministe.The development of an intersectional feminist perspective constitutes the most recent response to the theoretical and political issues raised by the existence of differences among women. This article is interested in the ways feminist organizations « do intersectionality », that is, translate this theoretical perspective in their political practice. Centering on the study of a disabled women's organization, Action des femmes handicapées (Montréal), it focuses on documenting political uses of intersectionality that call for the articulation of gender to ableism, an axis of domination that remains under-represented in intersectionality studies. The article identifies the main elements of the intersectional feminist politics deployed by this organization, and assesses how these politics have been received by the able-bodied majority in the Québec feminist movement. It further argues that the practice of intersectionality in the feminist movement currently varies according to the « minority » or « majority » status of its political agents.
Hors dossier
- Avorter en prime-time - Alexina Conte, Yannick Gallepie, Ludovic Morel p. 195-211 Cet article est une étude du traitement de l'avortement dans les productions télévisuelles françaises. Elle s'attache à montrer que l'Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) n'est que très faiblement portée à l'écran. Lorsqu'elle apparaît, c'est de manière stéréotypée, sous les traits d'une décision terrible utilisée uniquement en cas de dernier recours par les personnages. Ce traitement représente l'avortement comme un acte illégitime et renforce son statut de déviance légale.This article concern the way whose french televisual productions deal with abortion. Most of the time abortion is even not shown on TV. When french television speak about it, it's always to show it as a dreadful decision just used as a last resort. This representation of abortion as an illegitimate action accentuate its status as a legal deviance.
- Troubles dans la « race ». De quelques fractures et points aveugles de l'antiracisme français contemporain - Silyane Larcher p. 213-229 À partir d'une analyse de la réception fin 2014 en France de l'installation-spectacle, Exhibit B, de l'artiste Brett Bailey, visant à dénoncer le racisme, cet article montre l'émergence d'une crise du concept d'antiracisme autant dans l'espace des mobilisations sociales et politiques que dans le champ académique français, en particulier parmi les chercheurs faisant de la « question noire » une clé décisive de la critique sociale du racisme. De façon paradoxale, « l'affaire Exhibit B » a mis en lumière combien une critique conséquente du racisme ne peut s'appuyer sur une interprétation étroitement descriptive de la ligne de couleur. Elle doit au contraire s'atteler à dévoiler les rapports de pouvoir et les logiques symboliques par lesquelles des individus sont produits in situ comme « Noirs » et « Blancs ». Surtout, l'émancipation des racisés ne peut faire l'économie d'une remise en cause des structures sociales d'ensemble grâce auxquelles des « raciseurs » aveugles et involontaires sont construits comme groupe homogène et socialement dominant. Enfin, l'article plaide, à propos du contexte français où l'universalisme républicain abstrait opère comme une norme sociale, pour une déconstruction de la question raciale qui interroge, au-delà du schème de la ligne de couleur, le schème essentialiste et « invisible » — inscrit dans une histoire coloniale ancienne — d'une ligne des mœurs.From the analysis of the reception at the end of 2014 of Exhibit B, the Brett Bailey artist's performance that aimed to denounce racism, this article shows the emergence of a crisis of the concept of antiracism, among social and political mobilizations as well as in the French academic field, in particular among French scholars claiming for the "black issue" to be a decisive key to address racism. "The Exhibit B case" highlighted, paradoxically, how a consistent critic of racism cannot narrowly rely on a descriptive interpretation of the color line. Instead, it should tackle the power relations and symbolic logics by which individuals are produced in situ as "Blacks" and "Whites". Likewise, racialized people cannot be empowered without calling into question the very social structures through which involuntary and unwitting racialized agents are constructed as a dominant and homogeneous social group. More broadly, the article finally proposes — in particular for the French context in which colorblindness republican universalism works as a social norm — to address the racial issue not only through the paradigm of color, but also by questionning the essentialist and “invisible” conception of race — deeply rooted in French colonial history — based on a manners line.
- Avorter en prime-time - Alexina Conte, Yannick Gallepie, Ludovic Morel p. 195-211
Notes critiques
- Sartre et Beauvoir : De la dialectique de l'influence au dialogue des pensées interpénétrées - Fereshteh Fakour Manavi, Maryam Sheibanian, Jamshid Azari Azghandi p. 231-244
- L'avortement comme un droit des femmes : Une autre histoire est possible - Maider Moreno Garcia p. 245-255
Comptes rendus
- Comptes rendus - p. 257-277