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Revue | Actes de la recherche en sciences sociales |
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Numéro | no 232-233, juin 2020 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Affinités sociales, intermédiations politiques - Lorenzo Barrault-Stella, Patrick Lehingue p. 4-13
- La bourgeoisie économique : une « classe mobilisée », mais comment ? - Éric Agrikoliansky, Kevin Geay p. 14-29 Depuis deux décennies les professions libérales, les entrepreneurs, les cadres d'entreprise n'ont jamais autant soutenu les candidats de la droite libérale. À partir d'une série d'enquêtes menées de 2007 à 2017 auprès des habitants du 16e arrondissement de Paris, l'article revient sur les médiations susceptibles de construire le vote de droite comme étant conforme à l'intérêt de cette bourgeoisie économique. Il montre que l'encadrement partisan joue un rôle très indirect dans la mobilisation électorale de ces populations, tant ces dernières entretiennent un dégoût social pour les formes d'appréhension des objets politiques perçues comme populaires ou scolastiques. L'identification partisane est plutôt le produit de l'inscription précoce des enfants dans le fil d'une mémoire bourgeoise indissociablement familiale et politique ; produit actualisé tout au long du cycle de vie par la sociabilité intense et élective qui caractérise ces groupes. Cette reproduction en vase clos ne va cependant pas toujours de soi. Et cette incertitude motive de petits ajustements générationnels dans les formes et contenus de la socialisation politique conservatrice.In the past two decades, liberal professions, entrepreneurs and corporate executives have supported in an unprecedent way political candidates from the liberal right. On the basis of a series of investigations carried out between 2007 and 2017 with inhabitants of the 16th arrondissement of Paris, this article examines the mediations that contribute to shaping right-wing vote as conforming to the interests of this business bourgeoisie. It shows that partisan framing plays a very indirect role in the electoral mobilization of these populations, as the latter entertain a social distaste for forms of understanding of politics perceived as popular or scholastic. Rather, party identification is the product of their early embeddedness, in childhood, in a bourgeois memory thread that is irretrievably familial and political; this is actualized, through their lifecycle, through the intense and elective sociability that characterizes these social groups. However, this closed-in reproduction is not always self-evident. And this uncertainty informs small generational adjustments in the forms and contents of this conservative political socialization.
- Voter entre soi et contre les autres : Altérisation raciale et appartenance de classe dans le 18e arrondissement de Paris - Lorenzo Barrault-Stella, Martin Baloge, Clémentine Berjaud, Safia Dahani, Anne-France Taiclet p. 30-49 Cet article contribue au renouvellement des analyses contextuelles du vote en portant la focale sur les dispositions et les intermédiations électorales dans deux quartiers, l'un populaire et l'autre gentrifié, du 18e arrondissement de Paris à l'occasion des scrutins présidentiels et législatifs de 2017. L'analyse relationnelle des mécanismes de production des votes dans des groupes sociaux et ethno-raciaux, très inégaux et vivant à proximité, souligne l'importance des dynamiques collectives d'appartenance et des rapports sociaux de classe et de race dans la définition des préférences et affinités politiques. Dans le cas des élections nationales de 2017 au moins, davantage que les médiations instituées du champ politique, ou encore que la campagne médiatique, ce sont les groupes primaires et les affinités sociales et ethno-raciales qui fournissent des clefs d'interprétation du politique. Si bien que la principale intermédiation électorale, à la fois symbolique et pratique, passe par les manières dont les électeurs se pensent et se représentent les autres groupes sociaux, à l'articulation des formes de domination sociale, raciale et politique.This article contributes to the renewal of contextual analyses of electoral behaviour by shedding light on electoral dispositions and political intermediations in two neighbourhoods, one popular, and the other gentrified, of the 18th arrondissement of Paris, in the context of the 2017 presidential and legislative elections. The relational analysis of the mechanisms of production of voting preferences within these very unequal social and ethnic-racial groups who live in close proximity underlines the important role played by collective dynamics of belonging and social class and racial relations in shaping political preferences and affinities. At least as concerns the national elections of 2017, more than instituted mediations within the political field, or even the electoral campaign, primary groups and social and ethno-racial affinities are the prime drivers that explain these groups' political preferences. Therefore, the main electoral brokerage, both symbolic and practical, is constituted by the way voters define themselves and conceive of social groups, according to markers of social, racial and political domination.
- Des petits actionnaires du système : Dire sa condition d'électeur·trice au milieu et au bas du milieu de l'espace social - Philippe Aldrin p. 50-69 Basé sur une enquête en immersion dans une petite ville du Var, l'article interroge les rapports à leur condition d'électeur·trice de citoyens situés au milieu et au bas du milieu de l'espace social. L'analyse s'intéresse aux conceptions pratiques du vote que les enquêtés se façonnent au fil de leur trajectoire sociale, professionnelle et résidentielle. S'ils se voient volontiers comme les « petits actionnaires » du système, leurs sens du vote varient et suivent étroitement leurs déplacements dans la société. Société qu'ils se représentent principalement à partir de leurs interactions significatives avec le monde à portée, celui des sociabilités et de l'expérience du « réel des autres ». Dans ces univers sociaux fortement marqués par la dévalorisation du politique et la disparition des structures d'encadrement politique, les professionnels de la représentation sont perçus au prisme d'un sens de classe articulé à la hiérarchie des modes de vie et aux schèmes professionnels du jugement social.Based on a grounded investigation in a small town in the Var, this article examines the relationship to their condition as voters of citizens at the middle and at the bottom of the middle of the social space. This analysis focuses on the practical conceptions of voting behaviours shaped by respondents throughout their social, professional and residential trajectory. While they readily perceive themselves as “small shareholders” of the system whose leadership political contestants vie for, their voting behaviours vary and are closely related to their mobility within society. Their conception of society is mainly informed by the significant interactions they entertain with their immediate environment, that is, their sociabilities and their experience of the “reality constituted by others”. Within these social universes strongly characterized by a devaluation of politics and the disappearance of structures of political framing, professionals of political representation are perceived within a prism of a sense of class that is shaped by the hierarchy of lifestyles and professional schemes of social judgement.
- La banalisation du Front national au village : Les relais informels des référents frontistes dans un territoire rural et populaire - Armèle Cloteau, Guillaume Letourneur, Pierre Rouxel, Julien Bourdais p. 70-85 À partir d'une enquête collective croisant questionnaires et ethnographie, cet article explore les formes d'encadrement social et politique des classes populaires salariées et des ouvriers d'un territoire industriel des mondes ruraux où le Front national a beaucoup progressé ces dernières années. Si le travail de mobilisation du FN est inexistant sur ce territoire même en période électorale, la banalisation des idées de ce parti emprunte des voix plus diffuses par l'intermédiaire de travailleurs indépendants politisés à l'extrême droite. Dans un contexte de recomposition des mondes ruraux et des sociabilités populaires, l'étude approfondie d'une association de pêche permet en particulier de saisir le rôle informel de diffusion de référents frontistes dans ces milieux populaires.Based on a collective investigation combining questionnaires and ethnographic analysis, this article explores the forms of social and political framings of popular classes of employees and workers at an industrial site within a rural region where the Front national has undergone an important progression in the past years. While there is absolutely no mobilization by the party itself within this territory, even during electoral campaigns, the banalisation of the ideas of this party is channelled through more diffuse ways due to the intermediation role played by independent workers politicised towards the extreme right. In a context of recomposition of rural worlds and popular sociabilities, the in-depth study of a fishing association provides an entry-point, in particular, to trace the informal relays of dissemination of the Front national's referents within these popular social contexts.
- Les bonnes manières d'habiter : La presse d'architecture et de décoration entre hiérarchies du marché et autorité culturelle, 2000-2015 - Carolina Pulici p. 86-105 Reposant sur une analyse des numéros de deux magazines spécialisés parus entre 2000 et 2015, l'article étudie les représentations divergentes du « bien habiter » qu'elles mettent en scène. Alors qu'Art & Décoration, fondé à la fin du XIXe siècle, fait la promotion du « charme de l'ancien », Architectures à vivre, revue plus récente, valorise la créativité architecturale. L'article s'attache ainsi à décrire le référentiel de bonne conduite diffusé par des spécialistes en lutte pour la définition dominante de l'excellence résidentielle, mettant en avant les oppositions structurantes de ces deux instances de validation des goûts : passéisme vs modernisme ; tradition française vs innovation venue d'ailleurs ; « la vie en rose » vs « la vie en noir ». L'approche quantitative et qualitative du répertoire valorisé dans la presse spécialisée est complétée par l'observation des salons réservés aux professionnels de « l'art de vivre », et par des entretiens avec des critiques d'architecture et de décoration et des architectes et des architectes d'intérieur. Cette diversité de méthode permet d'analyser des instances de prescription des goûts domestiques dans la France contemporaine en resituant les revues dans les logiques de distinction qui traversent l'architecture et la décoration.Based on an analysis of the issues of two specialized magazines published between 2000 and 2015, this article examines the diverging representations of the “art of living” that they channel. While Art & Décoration, created at the end of the 19th century, promotes the “charm of the ancient”, Architectures à vivre, a more recent publication, valorizes architectural creativity. The article hence describes the referential of good behaviour diffused by specialists struggling for the dominant definition of residential excellence, by underlining the structuring oppositions between these two instances of taste validation: attachment to the past v. modernism; French tradition v. innovation from elsewhere; “life in rosy colours” v. “life in black”. It uses a quantitative and qualitative approach to trace the repertoire valorized in the specialised press, complemented with an observation of trade shows of professionals of the “art of living”, along with interviews with architecture and decoration critics and with architects and interior architects. This diversity of methods allows for an analysis of the instances of prescription of domestic tastes in contemporary France by positioning these magazines in relation to the dynamics of distinction that shape architecture and interior design.