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Revue Le Mouvement social Mir@bel
Numéro no 272, juillet-septembre 2020
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Les naissances du communisme en France - Emmanuel Bellanger, Paul Boulland, Julian Mischi p. 3-15 accès libre
  • « Une nécessaire opération de reclassement ». Sociobiographie du Comité directeur de la SFIC (1920-1925) - Paul Boulland, Julian Mischi p. 17-39 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Combinant la biographie collective des cent treize membres du Comité directeur de la Section française de l'Internationale communiste (SFIC) avec l'analyse quantitative de leurs réunions entre 1920 et 1925, cette contribution analyse les logiques sociales qui travaillent de l'intérieur le collectif en train de se former. Dans cette période d'instabilité, l'établissement de la direction communiste résulte d'un double processus qui conduit divers groupes sociaux et militants vers un parti en cours de constitution, où ils trouvent ou non leur place. La parole paraît originellement monopolisée par les dirigeants présentant un profil intellectuel qui dominent initialement le groupe, alors caractérisé par une proportion élevée de femmes. L'étude met en avant l'affirmation progressive de militants jusque-là peu impliqués dans la Section française de l'Internationale ouvrière (SFIO) et ses courants, dont la légitimité se fonde sur leur jeunesse, leur expérience de la Première Guerre mondiale, et pour une part sur leurs origines ouvrières.
    This paper combines a group biography of the 113 members of the Executive Committee of the French Section of the Communist International (SFIC) with a quantitative analysis of their meetings between 1920 and 1925. It examines the social rationales that shaped the nascent group from the inside. During this period of instability, the communist executive committee was set up through a dual process whereby various social and militant groups were incorporated in the party taking shape, where they either found their place or did not. Initially, discourse was monopolised by leaders with an intellectual profile who dominated the group early on, during a time when a high proportion of its members were women. Our research highlights the gradually rising influence of militants who had previously not been very involved in the French Section of the Workers' International (SFIO) and its various currents. These militants' legitimacy was based on their youth, their experiences from the First World War, and in some cases, their working-class backgrounds.
  • « Mieux vaudrait après tout se perdre avec Lénine que se sauver avec Albert Thomas ». Construire une voie révolutionnaire face au socialisme réformiste (1917-1924) - Adeline Blaszkiewicz p. 41-58 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    La naissance de la Section française de l'Internationale communiste (SFIC) résulte notamment de la condamnation de l'attitude d'une partie des socialistes pendant la Première Guerre mondiale. Ce discours, qui se construit au sein de la minorité de guerre, perdure et se reconfigure jusqu'à constituer l'une des matrices idéologiques de la SFIC naissante. Albert Thomas fait figure de personnalité honnie dans le discours communiste en cours de structuration dans la période consécutive à la révolution russe : il est le chef de file des réformistes de la Section française de l'Internationale ouvrière (SFIO), entré au gouvernement d'Union sacrée en 1915 au poste stratégique et symbolique de ministre de l'Armement, puis à partir de 1919 directeur du Bureau international du travail, considéré comme « l'agence réformiste de l'impérialisme mondial » par les dirigeants de la IIIe Internationale. L'article, fondé sur les articles de L'Humanité, la littérature grise des premiers temps du communisme et les archives personnelles d'Albert Thomas, explore l'opposition entre ces deux « frères ennemis » du socialisme mondial. La SFIC se constitue dans un cadre politique national et international hostile qui entraîne une radicalisation des discours, mais qui n'empêche pas le maintien de dialogues et d'observations mutuelles. Cette matrice idéologique se mue soit en une force mobilisatrice au cœur de la concurrence militante – partisane et syndicale –, soit en une forme de codépendance idéologique nécessaire à chaque courant pour construire sa légitimité politique.
    The French Section of the Communist International (SFIC) was born notably from condemnation of the position of some socialists during the First World War. This discourse, which developed within the pacifist minority during the war, persisted and evolved until it became one of the ideological matrices of the nascent SFIC. Albert Thomas was a despised individual in the communist discourse then taking shape in the wake of the Russian Revolution. Thomas was the leader of the reformist wing of the French Section of the Workers' International (SFIO), and he later joined the Sacred Union government in 1915 by taking on the strategic and symbolic role of Minister of Munitions. After 1919, he became the Director of the International Labour Organization, which the leaders of the Third International regarded as the ‘reformist agency of global imperialism'. This paper—based on articles in L'Humanité, grey literature from the early communist period, and Albert Thomas' personal papers—explores the opposition between the two ‘enemy brothers' of global socialism : Thomas and Lenin. The SFIC took shape in hostile national and international political circumstances that caused discourses to become more radical, but did not prevent dialogue and mutual observations. This ideological matrix evolved into either a mobilising force at the heart of rival forms of party and trade union activism, or a form of ideological co-dependency that both currents needed in order to build their political legitimacy.
  • La campagne française contre la guerre du Maroc ou le difficile apprentissage de la bolchevisation (1924-1926) - Morgan Poggioli p. 59-80 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Quand en 1925 la France intervient contre la République rifaine au Maroc, aux côtés des Espagnols, le mouvement communiste entame une vaste campagne d'agitation. Activant les ressorts de l'antimilitarisme, de l'anticolonialisme, de l'anti-impérialisme, et donnant l'occasion de mettre en application le front unique entre le Parti communiste, la CGTU et les organisations socialistes et réformistes, ce mouvement trouve son point d'orgue avec le déclenchement de la grève générale du 12 octobre 1925. Première expérience à grande échelle de mise en pratique des nouveaux principes qui accompagnent la bolchevisation de la galaxie des organisations communistes, les archives nouvellement accessibles nous permettent d'actualiser, tant au niveau politique que syndical, nos connaissances sur cet épisode. Nous verrons que ce mouvement, contesté en interne aussi bien sur les mots d'ordre que les modalités d'action, est à la fois révélateur de la faiblesse structurelle de la jeune Section française de l'Internationale communiste et de la difficile articulation parti/syndicat voulue par la IIIe Internationale.
    When France joined Spain in its war against the Republic of the Rif in Morocco in 1925, the French communist movement launched a broad-based agitation campaign. This movement played on the themes of anti-militarism, anti-colonialism and anti-imperialism, serving as an opportunity to show a united front between the Communist Party, the CGTU and socialist and reformist organisations. It peaked with the general strike that started on 12 October 1925. This strike was the first large-scale application of the new principles of Bolshevisation for the galaxy of communist organisations. Recently-opened archives allow us to update our knowledge of the political and unionist aspects of this event. We will show that this movement, which was subject to internal debate about both its message and its actions, reveals the structural weakness of the young French Section of the Communist International and the difficulty of combining political party and trade union activities as advocated by the Third International.
  • Devenir une « ville rouge » en banlieue parisienne et le rester - Emmanuel Bellanger p. 81-108 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Le Parti communiste est encore aujourd'hui associé à l'imaginaire subversif de la banlieue rouge, d'essence populaire et révolutionnaire. Cet imaginaire prend racine dans les années qui suivent la fondation de la Section française de l'Internationale communiste (SFIC). Il a pour épicentre la banlieue parisienne, foyer de l'industrialisation, de la centralité ouvrière et de l'expérimentation de la radicalité politique. Dès 1920, la banlieue rouge devient le lieu de la mise à l'épreuve de l'engagement militant, source de reconnaissance et de légitimation. Pour ses adversaires, ces territoires emblématiques de l'implantation communiste sont au contraire des zones de désolation et de séparatisme politiques. Emblème d'une contre-société portée par une « culture de bastion » où l'on rejette « l'illusion réformiste » et le « crétinisme municipal », la ville rouge est pourtant dès sa fondation un espace de confrontation et d'accommodement avec le réel. Pour mieux saisir cette tension inhérente à l'exercice des responsabilités et du pouvoir local, cet article met en perspective une matrice du communisme en France : sa matrice municipale, jamais théorisée ni totalement assumée, qui permet, en 2020, à ce parti de se prévaloir d'une assise très fragmentée et exsangue mais toujours active dans certaines villes de la banlieue parisienne.
    The French Communist Party is even today connected to the subversive imaginary of an essentially working-class and revolutionary ‘red banlieue'. This imaginary took root in the years following the creation of the French Section of the Communist International (SFIC). Its epicentre was the Paris banlieue, the home of industrialisation, the working class and radical political experiments. Beginning in 1920, the red banlieue became the place where militant engagement was tested, recognised and legitimised. However, for the adversaries of communism, these emblematic areas of communist activity were viewed as desolate areas of political separatism. The emblem of a counter-society underpinned by a ‘bastion culture' that rejected ‘the reformist illusion' and ‘municipal cretinism', the red town was nevertheless, from its origins, a space for confronting and adjusting to reality. To better grasp this tension inherent to holding responsibility and exercising local power, this paper focuses on one matrix of French communism : its municipal matrix, which has never been theorised or totally accepted, but which allows the French Communist Party, even in 2020, to claim a support system that is highly fragmented, battered but still active in certain Paris suburbs.
  • Les mutineries de la mer Noire : 1919 et les origines du Parti communiste français - Matt Perry p. 109-128 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article situe la naissance du Parti communiste français (PCF) dans le prolongement des épisodes de mutineries qui s'étendirent, à partir des villes portuaires de la mer Noire jusqu'en France, durant l'année 1919. Il explore d'abord la nouvelle historiographie de 1919 afin de décrire la conjoncture mondiale particulière dans laquelle se situe l'émergence des mutineries et du PCF. Ensuite, les « répercussions » des mutineries révèlent la façon dont ces événements furent utilisés et la place qu'ils occupèrent dans le combat politique, en particulier comment ils devinrent un mythe fondateur du parti et furent ainsi récupérés. En ce qui concerne le combat politique, la vague insurrectionnelle de 1919, dont les mutineries constituèrent l'apogée, représente le moment d'espoir révolutionnaire de cette génération, et contribua à réorganiser de manière cruciale la classe ouvrière française de l'après-guerre et les courants politiques de la gauche française, réorganisation qui fut plus tard formalisée durant le congrès de Tours. Les mutineries occupèrent une place prépondérante pendant le congrès et restèrent ensuite un signifiant majeur pour le parti.
    This article situates the French Communist Party's birth in relation to the French mutinies stretching from the Black Sea to metropolitan port cities during 1919. Firstly, the article explores the new historiography of 1919 to explain the specific global conjuncture that helps to locate both the mutiny and the French Communist Party's emergence. Secondly, the mutiny's ‘afterlives' reveal the uses to which the mutiny was put and its place in contentious politics. Specifically, the mutiny became a foundation myth of the party and then was displaced as such. Regarding contentious politics, the wave of unrest during 1919—of which the mutinies of the armed forces were the apogee—was that generation's moment of revolutionary hope, crucially reshaping the French working class' post-war composition and remaking the political currents of the French left later formalised at the Congress of Tours. Prominently referenced at the Congress of Tours, that experience remained a crucial signifier for the party thereafter.
  • Entre Paris, Alger et Moscou. L'émergence du communisme en Algérie coloniale (1920-1925) - Éloïse Dreure p. 129-143 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Le mouvement communiste algérien s'est retrouvé confronté aux problématiques qui ont accompagné la naissance de la Section française de l'Internationale communiste (SFIC). Le contexte colonial et le rapport des militants au colonialisme ont exacerbé certaines tensions qui existaient entre la SFIC et l'IC, et ont eu un impact sur la façon dont s'est développée l'organisation communiste en Algérie, de 1920 à 1925. Durant les premières années de son existence, certains militants ont dû faire face à la difficulté de devoir rompre avec des pratiques réformistes. Dans un jeu d'échelle constant entre la direction de la SFIC à Paris et celle de l'IC à Moscou, le mouvement communiste algérien a ainsi radicalisé son action, pour, suivant les consignes de l'IC, revendiquer l'indépendance de l'Algérie et travailler au recrutement de ceux qu'on appelait alors les « indigènes ».
    The Algerian communist movement faced the same issues that surrounded the creation of the French Section of the Communist International (SFIC). The colonial context and activists' views on colonialism exacerbated certain tensions between the SFIC and the IC, affecting the way that the communist organisation developed in Algeria from 1920 to 1925. During the early years of its existence, some activists struggled with the need to break with reformist practices. In a constant tug of war between the SFIC leadership in Paris and the IC leadership in Moscow, the Algerian communist movement became more radical, following Moscow's recommendations to demand Algerian independence and to recruit the ‘indigènes' into the communist movement.
  • Des militantes du désordre. Femmes et communistes à Tunis, 1921-1922 - Élise Abassade p. 145-158 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Des femmes s'engagent en faveur de la Fédération tunisienne de la Section française de l'Internationale communiste (SFIC), à Tunis, dès sa première année d'existence. À partir de la restitution des parcours de ces premières communistes de Tunisie, cet article interroge en quoi les archives de la police coloniale, principales sources disponibles pour documenter les premiers temps du groupe communiste, révèlent leurs faits et gestes et transcrivent les rapports sociaux en cours. Ce faisant, il examine les façons dont ces militantes investissent l'espace d'engagement politique ouvert par ce parti, prônant indépendance de la Tunisie et égalité entre toutes et tous. Si la Fédération constitue un cadre propice à leur présence, les difficultés qu'a cette organisation politique à se saisir des injonctions soviétiques à l'égard des femmes comme des faits de langage policiers mettent en exergue la transgression que représente l'engagement de ces premières militantes, ce que confirme leur trajectoire.
    Women joined the Tunisian Federation of the French Section of the Communist International (SFIC), in Tunis, in the first year of its existence. By tracing the backgrounds of these first communist women in Tunisia, this paper investigates what the colonial police archives (the main source available to document the early days of the communist group) reveal about their deeds and words and record about social ties at that time. In so doing, it analyses how these women activists occupied the political militant space opened up by this party that called for Tunisian independence and gender equality. While the Federation was a conducive venue for their presence, its difficulties understanding Soviet demands regarding women, as well as the language used in police records, indicate that their activist engagement was transgressive.
  • Notes de lecture - p. 159-229 accès libre