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Revue Le Mouvement social Mir@bel
Numéro no 274, janvier-mars 2021
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Enquêtes orales, enquêtes historiennes - Ariane Mak p. 3-30 accès libre
  • « Sans les entretiens, je ne serais pas devenu un historien du travail » : Trois itinéraires d'historiens des mondes ouvriers : retours d'expériences sur les enquêtes orales - Rémy Cazals, Nicolas Hatzfeld, Michel Pigenet, Ingrid Hayes, Ariane Mak p. 31-65 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Conçue comme un retour d'expériences, la table ronde fait dialoguer trois historiens du travail qui ont eu recours à l'enquête orale dès les années 1970 et 1980. Comment ont-ils été amenés à se tourner vers la pratique de l'entretien ? Quelles étaient leurs références et comment s'y sont-ils formés ? Si des questions méthodologiques et épistémologiques importantes sont abordées au cours de ces échanges – concernant l'entrée sur le terrain, la conduite et la transcription des entretiens, le jeu entre archives écrites et orales, la relation enquêteur/enquêtés entre autres –, ceux-ci proposent avant toute chose d'entrer dans le grain des pratiques et des expériences de terrain de chacun, de revenir sur des surprises d'enquête issues de leur parcours de recherche. La dernière partie de la table ronde, plus thématique, explore les apports et les limites des sources orales dans l'étude des conflits sociaux, de la santé au travail, des identités professionnelles, des résistances invisibles ou encore des sociabilités au quotidien.
    This roundtable brought together three French labour historians who have used oral history interviews since the 1970s and 1980s, to share their pioneering experiences and specific field practices. Important methodological and epistemological questions are addressed in the course of these exchanges: the entry into the field, how to conduct and transcribe interviews, the interplay between written and oral archives, between oral history and participant observation, and the relationship between interviewer and interviewee, among others. The last part of the roundtable focuses more closely on the contribution of oral sources to working-class studies, whether in exploring social conflicts, occupational health, professional identities, invisible resistance or everyday sociability.
  • Quand l'oral éclaire l'écrit : enquêter sur l'écriture ouvrière - Éliane Le Port p. 67-93 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    À partir d'une quinzaine d'entretiens, l'article revient sur l'expérience d'écriture d'auteurs ouvriers et ouvrières dont les témoignages ont été publiés entre 1945 et 2016, et examine en quoi cette expérience compose une identité d'écrivain. Plusieurs éléments illustrent l'importance de l'écriture dans les trajectoires des auteurs, indépendamment de la publication d'un ou de plusieurs récits. Au cours de l'enquête, la plupart signalent un goût précoce pour l'expression écrite, ancré dans l'adolescence. Avant la publication de leur(s) témoignage(s), certains se sont par ailleurs adonnés à des formes et à des actions variées d'écriture, en particulier la prise de notes sur le travail. La mise en récit des expériences ouvrières (sociales, professionnelles, militantes), à travers les moments et les lieux de l'écriture, renvoie quant à elle aux pratiques et aux représentations de l'écrivain. Pourtant, lorsque les auteurs commentent et qualifient leur geste d'écriture, la plupart euphémisent leur position d'écrivain.
    Based on some fifteen interviews, this paper looks back at the writing experience of working-class authors whose testimonies were published between 1945 and 2016, and examines how this experience forges a writer's identity. Several factors illustrate the importance of writing in the trajectories of authors, independently of the publication of one or more texts. In the course of the survey, most report an early taste for written expression, rooted in their adolescence. Prior to the publication of their testimony (or testimonies), some also engaged in various forms and actions of writing, particularly note-taking in the workplace. The narration of workers' experiences (social, professional and militant), through the moments and places of writing, refers to the writer's practices and representations. However, when most of these authors comment on and describe their act of writing, they euphemistically refer to their position as a writer.
  • À la périphérie de l'usine des Ancizes, une enquête à la croisée de l'histoire orale et de l'anthropologie filmique - Caroline Lardy, Nathalie Ponsard p. 95-117 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article vise à expliciter une expérience de terrain fondée sur les apports conjugués de l'histoire orale et de l'anthropologie filmique dans le cadre d'une collecte de témoignages sur les trajectoires professionnelles de travailleurs métallurgistes. La particularité de l'enquête tient à la configuration de l'échantillon et à la méthodologie mise en œuvre, ponctuée d'obstacles. L'étude en question est caractérisée par la conception d'une plateforme numérique interactive appelée MétalloCorpus, qui permet l'accès à un ensemble de données (images fixes, en mouvement, notices, cartes et textes explicatifs, documents sonores) à la fois pour les acteurs du territoire et pour tout usager intéressé par la mémoire du travail en milieu rural et industriel. La réflexion porte également sur les atouts d'une co-construction avec les acteurs tant dans l'apport de données que dans l'infléchissement des problématiques initiales.
    This paper endeavours to explain a field experience based on the combined contributions of oral history and filmic anthropology to a collection of testimonies on the careers of metalworkers from the Combrailles region in France. This survey is unique in its sample and methodology, which faced several obstacles. The study in question is characterised by the design of an interactive digital platform called MétalloCorpus, which provides access to a set of data (still and moving images, notices, maps and explanatory texts, sound documents) both for local stakeholders and for any user interested in the memory of work in rural and industrial environments. This article also focuses on the advantages of a co-construction with the actors, both in the provision of data and in the fine-tuning of the initially-identified issues.
  • Des coulisses à la scène : la féminisation des brass bands dans les bassins miniers britanniques (1947-1984) - Marion Henry p. 119-135 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Les brass bands, ensembles musicaux amateurs composés essentiellement de cuivres, constituent un symbole des cultures ouvrières britanniques. Toujours fortement ancrés dans les bassins miniers au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ils incarnent la puissance physique de la figure du mineur de charbon et constituent des espaces privilégiés de la consolidation d'un entre-soi masculin en dehors de la sphère du travail. Pourtant, entre 1947, date de la nationalisation de l'industrie, et le début des années 1980, ces formations musicales s'ouvrent progressivement aux femmes, qui étaient jusque-là cantonnées à un rôle de supportrice. Cet article, qui repose sur une enquête orale menée auprès d'une dizaine de musiciens et de musiciennes de brass bands liés à l'industrie minière, utilise l'apport des sources orales pour nuancer ce processus et mettre en lumière la persistance de la ségrégation des espaces et des rôles dans les bassins miniers britanniques au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Cette féminisation est d'abord celle d'une intégration par défaut, alors que celle-ci s'accélère à partir de la fin des années 1960 dans un contexte de désindustrialisation. La place des femmes dans ces formations musicales reste limitée et contrainte par la nécessité de s'adapter aux normes d'un univers masculin.
    Brass bands—amateur musical ensembles mainly formed of brass instruments—are a symbol of British working-class culture. Still deeply rooted in the coalfields during the post-war years, these musical formations embodied coalminers' physical strength and were strong homosocial environments that reinforced camaraderie outside of the workplace. But between the nationalisation of the British coal industry in 1947 and the early 1980s, brass bands slowly opened to women, who had previously been restricted to a supporting role. This paper, drawing on an oral investigation conducted with a dozen musicians from mining brass bands, uses oral sources to qualify this process and to highlight the continuity of the gendered segregation of spaces and activities in the coalfields during the second half of the 20th century. From the late 1960s, these musical formations opened to women mostly because they had no other option in a context of deindustrialisation. The position of female musicians in brass bands was also limited and constrained by the necessity to adapt to the norms of a masculine world.
  • Les travailleurs immigrés des bidonvilles de Nanterre et leur retour en Algérie. Une enquête orale dans la région du Souf - Marie-Claude Blanc-Chaléard, Muriel Cohen p. 137-167 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article revient sur une collecte d'archives orales menée en 2011-2012 auprès d'anciens habitants des bidonvilles de Nanterre, issus de la région du Souf en Algérie. L'enquête s'est déroulée aux deux bouts de la chaîne migratoire, notamment parmi les travailleurs migrants retournés au pays. Les conditions de la collecte et les enjeux du projet sont présentés dans une première partie. La seconde revient sur les principaux apports historiques de cette démarche inédite. Ces archives filmées donnent la possibilité de revisiter l'histoire de l'immigration algérienne des Trente Glorieuses à partir du vécu des populations concernées. Elles font dès lors émerger un récit où les migrants algériens n'apparaissent pas seulement comme des populations sous contrainte, mais aussi comme les acteurs de leur projet migratoire. La parole des migrants repartis à partir des années 1980 permet en outre d'appréhender plus précisément les effets du contexte économique et des mesures prises à l'encontre des Algériens à la fin des années 1970.
    This paper looks back at a set of oral archives collected in 2011 and 2012 among former inhabitants of the slums of Nanterre, from the Souf region in Algeria. The survey took place at both ends of the migration chain, particularly among returned migrant workers. The conditions of the collection and the stakes of the project are presented in the first section. The second section reviews the main historical contributions of this novel approach. These filmed archives give the opportunity to revisit the history of Algerian immigration during the “Trente Glorieuses” from the experience of the populations concerned. They therefore bring out a narrative in which Algerian migrants do not appear as merely populations forced to act under constraint, but also as actors of their migration project. The words of the migrants who left from the 1980s onwards also enable us to understand more precisely the effects of the economic context and the measures taken against Algerians at the end of the 1970s.
  • « C'est très drôle un Bevin Boy qui joue au mineur. » Humour au travail et masculinité dans les bassins miniers britanniques en guerre - Ariane Mak p. 169-193 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Parachutés en pays minier de 1943 à 1948, les Bevin Boys sont de jeunes conscrits britanniques détournés du front et envoyés au fond, sélectionnés pour une partie d'entre eux par tirage au sort pour faire face au manque criant d'effectifs dans les mines. Longtemps négligés par l'histoire des mines au prétexte qu'ils avaient eu peu d'impact sur la production de charbon, les Bevin Boys constituent pourtant une expérimentation sociale fascinante aussi bien que de véritables révélateurs des ressorts de la culture, des valeurs et de l'identité des mineurs britanniques. S'appuyant notamment sur quarante-trois entretiens réalisés avec d'anciens mineurs et Bevin Boys, l'article propose une analyse croisée des rapports de travail au quotidien et des enjeux de la masculinité dans les bassins miniers en guerre, en faisant une place importante aux farces, rites initiatiques et plaisanteries que réservent les gueules noires à ces jeunes apprentis peu taillés pour le travail à la mine.
    This article examines workplace relationships between miners and Bevin Boys, these young British conscripts drawn by ballot and sent down the mines from December 1943 on in an attempt to put an end to the manpower crisis in the coalmining industry. Drawing on forty-three oral history interviews conducted in England and Wales with former miners and Bevin Boys, the paper sheds light on the construction of masculinity in the mines, and on class relations in wartime Britain. While the “Forgotten Conscript” narrative lays stress on the ways in which Bevin Boys were compared to the hegemonic masculinity of men in the Forces, in the daily interactions underground the focus was rather on the tensions between these new recruits and the hard man masculinity model upheld by miners. The multiple forms of mining humour expressed in the coalfields (the playing of tricks on Bevin Boys, jokes about these greenhorns, and initiation rites) are key sources shedding light on the way miners perceived Bevin Boys and on the construction of an archetypal figure of the Bevin Boy as the “unmanly outsider”.
  • Les comédiennes-ouvrières à Hénin-Beaumont (2007-2019) : récit de la fabrique d'une pièce de théâtre engagée pour les Samsonite - Fanny Gallot, Caroline Ibos p. 195-210 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    En 2007, l'usine Samsonite située à Hénin-Beaumont est liquidée à la suite d'une faillite frauduleuse et deux cent cinquante salariés, principalement des ouvrières, perdent leur emploi. À côté de la bataille judiciaire et pour continuer la lutte, sept d'entre elles participent à l'écriture et jouent une pièce de théâtre sur l'histoire des Samsonite, On n'est pas que des valises !. Issu d'un travail d'enquête mené par une historienne et une sociologue, l'article revient sur la fabrique d'une pièce de théâtre engagée pour envisager le jeu complexe de l'emboîtement des récits dans la construction mémorielle, à partir de l'analyse des sources orales collectées auprès des « comédiennes-ouvrières », notamment pour éclairer ce que la fiction théâtrale fige, trouble ou laisse de côté.
    In 2007, the Samsonite factory in Hénin-Beaumont, France, was liquidated following a fraudulent bankruptcy, and 250 jobs were lost, mainly by female workers on the factory line. Alongside their legal battle and to continue their activist struggle, seven of them worked together to write and perform a play on the history of the “Samsonites” (as the Samsonite workers were called): On n'est pas que des valises! (“We're not just suitcases!”). This paper, which is the result of an investigation by a historian and a sociologist, looks back at the making of the play to consider the complex interplay of different narratives in the construction of memory, based on the analysis of oral sources collected from the “worker-actresses”, in particular to shed light on which aspects are frozen, muddled or neglected by theatrical fiction.
  • Alessandro Portelli : une vie passée à écouter - Alessandro Portelli, Steven High p. 211-223 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Ce dialogue inédit entre deux spécialistes étrangers de l'histoire orale et des mondes ouvriers est centré sur les deux grands terrains d'enquête industriels d'Alessandro Portelli : la ville sidérurgique de Terni, dans l'Ombrie italienne, et le comté minier de Harlan, dans les Appalaches. Revenant sur ces deux fresques magistrales – They Say in Harlan County. An Oral History (2011) et Biography of an Industrial Town. Terni, Italy, 1831-2014 (2017) – les deux historiens abordent la part d'influence de la littérature, de la musique populaire mais également de l'ethnologie dans le rapport d'Alessandro Portelli à l'histoire orale ; l'entretien comme jeu sur la différence et la distance culturelle, sociale et politique entre interviewer et interviewé ; les « blessures de classe » et la montée d'une droite radicale à Terni comme dans le comté de Harlan ; ou encore l'impact de la Covid-19 sur les recherches actuelles de l'historien.
    This interview brings together two prominent oral historians, Alessandro Portelli and Steven High. Taking a look back at Portelli's two masterful frescoes—They Say in Harlan County. An Oral History (2011) and Biography of an Industrial Town. Terni, Italy, 1831-2014 (2017)—the Italian and Canadian oral historians discuss the influence of literature, popular music and ethnology on Portelli's approach to oral history; the benefits and issues arising from interviewing across political lines; the ways in which deindustrialization and cultural defeats colour how working-class interviewees understand past struggles; the rise of a radical right in Terni and Harlan County; and the impact of Covid-19 on Portelli's current research.
  • Hommage à Yves Lequin - p. 225-244 accès libre
  • Notes de lecture - p. 245-280 accès libre