Contenu du sommaire : Faire l'histoire des graffitis politiques

Revue 20 & 21. Revue d'histoire Mir@bel
Numéro no 156, octobre-décembre 2022
Titre du numéro Faire l'histoire des graffitis politiques
Texte intégral en ligne Accès réservé
  • Articles

    • Faire l'histoire des graffitis politiques : Entre appropriation de l'espace public et révolte graphique - Virgile Cirefice, Grégoire Le Quang, Ariane Mak p. 3-21 accès réservé
    • « L'Ancien Régime des graffitis » : Contestations graphiques et ordre mural à l'époque moderne - Laurent Cuvelier p. 23-39 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article ouvre sur un double chantier méthodologique et historiographique : retrouver la trace des graffitis de l'époque moderne passe notamment par une histoire visuelle de la ville. De plus, l'association contemporaine entre graffitis et vandalisme prend sens aux 17e-18e siècles. Ces dessins et inscriptions sont alors au cœur d'une synthèse liant condamnation morale des mœurs citadines et préservation de certains espaces touristiques. Enfin, si les graffitis ont souvent été placés au second plan de l'histoire des mobilisations politiques par rapport aux imprimés ou aux chansons, ils constituent cependant une forme d'expression et un outil de contestation dont la perception policière évolue en France après 1789, passant du crime de lèse-majesté au délit d'opinion.
      This article adopts a methodological and historiographical approach in an attempt to understand modern graffiti via a visual history of the city. It should be noted that the contemporary relationship between graffiti and vandalism emerged during the 17th-18th centuries. At the time, drawings and writings on walls were targeted as part of a larger campaign against loose city morals, combined with a need to preserve certain sites of tourism. The article shows that although graffiti have often been relegated to the second tier in the history of political engagement, compared to printed works or songs, they nevertheless embody a means of voicing opinions and contesting the government. The police perception of graffiti evolved in France after 1789, shifting from high treason to a crime of opinion.
    • Écrire l'histoire de résistances graphiques : graffitis d'insurgés prisonniers au mitan du 19e siècle - Emmanuel Fureix p. 41-58 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Les graffitis révolutionnaires du 19e siècle ont laissé peu de traces. Elles se concentrent surtout dans les lieux de détention des insurgés, dans un après-coup. L'article propose à la fois une réflexion historiographique sur les manières de « faire parler » des graffitis politiques récemment patrimonialisés et une enquête de terrain sur deux sites de graffitis de la Deuxième République : le château d'If et la tour de Crest (Drôme). Il esquisse une pragmatique de l'écriture protestataire. Les graffitis étudiés transforment l'espace et le temps carcéral ; ils affirment des identités à la fois individuelles et collectives, dans une communauté d'épreuves ; ils subvertissent les normes disciplinaires tout en respectant une zone grise de tolérance négociée.
      19th-century revolutionary fighters left few traces in the form of graffiti. Their markings are mostly concentrated in the places where the defeated were detained in the aftermath of the uprisings. The article proposes both a historiographical reflection on how to interpret these forms political graffiti—which have recently been classified as part of France's cultural heritage—and a field survey on two graffiti sites of the Second Republic: the Château d'If and the Crest Tower (in the Drôme region). It outlines a pragmatic approach to protest writing. The graffiti studied transform prison space and time; they affirm both individual and collective identities, against the backdrop of a shared experience of hardship; they subvert disciplinary norms while respecting a grey area of negotiated tolerance.
    • Graffitis des forts de la Grande Guerre : paroles et images intimes de soldats dans l'Est de la France, 1900-1920 - Michaël Seramour p. 59-83 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Aujourd'hui encore, les anciens paysages de la guerre – des carrière souterraines aux fortifications militaires – gardent la trace d'innombrables graffitis laissés par les soldats de la Grande Guerre. C'est cette expression iconographique directe du soldat de 14-18 qui est au cœur de cette article : graffitis, peintures, inscriptions et dessins tracés sur les parois de fortifications dans l'est de la France. Cette masse documentaire toujours présente sur le champ de bataille, répertoriée, archivée et analysée pour la première fois depuis la fin du premier conflit mondial, ouvre des perspectives sans pareil pour le chercheur spécialisé dans l'étude de l'univers mental des militaires et des combattants. Elle donne accès à une culture du front créée par le simple poilu.
      To this day, the former landscapes of war—from underground quarries to military fortifications—bear the traces of ample graffiti left by the soldiers of the Great War. It is this direct iconographic expression of the typical soldier during 1914-1918 that is at the heart of this article: graffiti, paintings, writings, and drawings scrawled onto the walls of fortifications in eastern France. This mass of documentary material still present on the battlefield has now been catalogued, archived, and analyzed for the first time since the end of the Great War. It thus opens up a unparalleled vantage point for researchers studying the mindset of soldiers, given them access to culture on the frontlines, as experienced by the ordinary “poilu” (infantryman).
    • De l'inscription rituelle au texte séditieux : les graffitis hébraïques du mur des Lamentations, de l'Antiquité au 20e siècle - Yair Wallach p. 85-101 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Pendant des siècles, les pèlerins juifs qui se rendaient à Jérusalem écrivirent leurs noms sur les pierres du mur des Lamentations dans le cadre de leurs dévotions. En 1930, cette pratique fut brutalement proscrite par les autorités coloniales britanniques, lorsque le Mur devint l'épicentre du conflit arabo-sioniste naissant. Dans ce nouveau contexte, les inscriptions hébraïques acquirent une dimension politique et on commença à les regarder comme des tentatives de subversion, qu'il n'était plus possible de tolérer. Fonctionnaires britanniques, dirigeants arabo-musulmans et même chefs de file du mouvement sioniste : tous voyaient dans ces graffitis des textes séditieux. Au lendemain des émeutes de 1929, ils furent donc interdits et effacés de la surface des pierres, mais aussi de la mémoire culturelle juive.
      For centuries, Jewish pilgrims to Jerusalem wrote their names on the stones of the Western Wall as part of their devotional practice. This custom was abruptly outlawed by British colonial authorities in 1930, after the Western Wall became the epicenter of the emerging Zionist-Arab conflict. Under the new circumstances, Hebrew graffiti assumed a new political dimension and was interpreted as a subversive intervention that could no longer be tolerated. British colonial rulers, Arab and Muslim leaders, and even the Zionist champions, all viewed the graffiti as sedition. In the aftermath of the uprising, graffiti was therefore banned, erased from both the stones and Jewish cultural memory.
    • La guerre des V. : Le Mass-Observation et les graffitis du « V de la victoire » en Grande-Bretagne (1941-1945) - Ariane Mak p. 103-128 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Le 17 janvier 1941, Victor de Laveleye, speaker belge de la BBC, enjoint ses compatriotes à inscrire en tout lieu, en symbole de défiance à l'occupant, la lettre V : le V de la Victoire, le V de Vrijheid (la liberté) en flamand. Les graffitis du V de la victoire ne tardent pas à proliférer sur les murs des nations européennes occupées, mais également en Grande-Bretagne, où à l'été 1941, la BBC encourage les Britanniques à rejoindre l'« armée des V ». À partir des notes de terrain du collectif d'enquête du Mass-Observation, l'article explore ce cas rare de « graffiti encouragé », politique sans pour autant être subversif – du moins dans la Grande-Bretagne épargnée par l'occupation, comme ne cessent de le rappeler les contemporains.
      On 17 January 1941, Victor de Laveleye, director of the BBC's Belgian service, urged his compatriots to inscribe the V sign as a rallying emblem and as a symbol of resistance: V for Victory, V for Vrijheid (freedom) in Flemish. V for Victory graffiti soon proliferated on the walls of occupied European nations, but also in Great Britain, where in the summer of 1941, the BBC encouraged the British to join the “V army.” Using field notes from the Mass-Observation social research project, this article examines this rare case of “encouraged graffiti” that was political and yet not subversive—at least in the case of Great Britain, which was spared from Nazi occupation, as many contemporaries repeatedly pointed out.
    • Graffitis et pratiques concurrentes de l'espace public en Italie à la Libération - Virgile Cirefice p. 129-144 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Les graffitis constituent un excellent moyen d'étudier le rapport à l'espace public des différents acteurs à la Libération. Malgré la volonté de faire disparaître des pratiques jugées non légitimes dans une démocratie régulée, les premiers mois de la Libération montrent que celles-ci perdurent, témoignant du legs du Ventennio fasciste. Si l'on observe une nette diminution en 1946 due à une forme d'acculturation républicaine et à l'effort des partis pour discipliner les pratiques de l'espace, la crise de 1947 et les tensions de guerre froide conduisent à un renouveau de la pratique qui témoigne des concurrences pour l'accès à l'espace public, dont l'appropriation devient un des enjeux de la compétition politique.
      Studying graffiti is an excellent way of observing the relationship of various actors to public space during the post-war transition in Italy. Despite a desire to eliminate practices deemed illegitimate in a regulated democracy, the first months of the Liberation show that graffiti continued to appear in public spaces, bearing witness to the legacy of the Fascist Ventennio. Although there was a clear decline in 1946 due to republican acculturation and partisan efforts to discipline the use of public space, the crisis of 1947 and the tensions of the Cold War led to a renewal of graffiti practices, which bear testimony to the competition for access to public space, the appropriation of which became a key element of political competition.
    • Du murmure à l'invective : pratiques du graffiti subversif dans l'Italie des années 1970 - Grégoire Le Quang p. 145-167 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      La fin des années 1960 marque une étape essentielle dans la généralisation de l'usage du graffiti contestataire. L'exemple italien montre la déclinaison d'une culture juvénile transnationale qui valorise le graffiti comme moyen d'expression et symbole d'insoumission, mais traduit aussi certaines spécificités. Graffitis et violence sont ainsi étroitement liés, tant l'écriture sur les murs représente à la fois un moyen de s'approprier un espace urbain, et d'intimider l'adversaire. In fine, le graffiti est plurivoque, allant de la provocation humoristique à l'apologie du terrorisme. Il se situe au croisement du geste militant, des enjeux spatiaux et symboliques, et du rapport entretenu à un espace public conçu comme un espace de confrontation.
      The end of the 1960s embodied an essential transition towards the generalized use of contentious graffiti. Looking at Italy, we see the development of a transnational youth culture that values graffiti as a means of expression and as a symbol of insubordination. However, the Italian example also reflects certain specific features: graffiti and violence were closely linked, as writing on walls represented both a means of appropriating urban space and of intimidating the opponent. Ultimately, this graffiti appears multifaceted, ranging from humorous provocation to the glorification of terrorism. It is situated at the intersection between militant act, spatial and symbolic concerns, and a relationship to public space seen as a space of confrontation.
    • Citations et circulations révolutionnaires dans les graffitis contemporains (France) - Mathilde Larrère p. 169-191 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis 2016, les mobilisations sociales sont marquées par un recours quasi systématique et croissant au « braconnage de l'espace public » par des graffitis, ou des affichages sauvages. Ces mêmes mouvements charrient, assument diverses références mémorielles à l'histoire longue des luttes. Aussi, un certain nombre de graffitis citent-ils explicitement des révolutions du passé. En s'appuyant sur un corpus de clichés, majoritairement personnels, inédits, l'article présente et interroge l'inscription sur les murs des imaginaires révolutionnaires au cœur des mouvements contemporains, des citations à la Commune sur les places de Nuit debout en 2016 aux graffiti des Gilets jaunes évoquant la Révolution française, en passant par les références ambivalentes à mai 68.
      Since 2016, social movements have been characterized by their almost systematic commandeering of public space. This invasion of public space often takes the form of graffiti or unauthorized posters. These same movements adopt references to a long history of struggles, with graffiti often explicitly citing past revolutions. Based on a body of largely personal and unpublished photographs, this article looks at wall inscriptions to analyze the revolutionary imaginaries at the heart of contemporary social movements, examining references to the Commune during the Nuit Debout protests in 2016, the visual imagery of the Yellow Vests movement (Gilet jaunes) that evoked the French Revolution, as well as ambivalent references to May 1968.
    • « Les Gilets jaunes triompheront » : Politique de l'écriture exposée dans le mouvement des Gilets jaunes (novembre 2018-février 2020) - Philippe Artières p. 193-207 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Le mouvement des Gilets jaunes, entre la fin 2018 et le début 2020, a été le lieu de pratiques d'écritures de la contestation multiples dont aucune n'est véritablement inédite dans l'histoire des mouvements sociaux en France. La spécificité de cet usage de l'écrit, en mobilisant les outils de l'anthropologie de l'écriture, tient à la chaine d'écriture qui relie les banderoles sur les ronds-points occupés, les inscriptions sur les gilets de sécurité des protestataires et les graffiti lors des manifestations. L'analyse montre en particulier l'importance d'une inscription le 1er décembre 2018 sur l'Arc de triomphe à Paris comme principe de légitimation de discours individuels minorés et comme programme d'écriture collectif.
      From the end of 2018 to the beginning of 2020, the Yellow Vests movement gave rise to multiple forms of protest writing, none of which were truly unprecedented in the history of social movements in France. Yet the uniqueness of writing practices associated with these protests, when examined through the lens of the anthropology of writing, lies in the connections established between the banners on the occupied roundabouts, the inscriptions on the safety vests worn by protesters, and the graffiti scrawled during the demonstrations. In particular, the analysis shows the importance of graffiti inscribed on 1 December 2018 on the Arc de Triomphe in Paris with regard to legitimizing the speech of neglected individuals, as well as establishing an agenda for collective writing.
  • Rubriques