Contenu du sommaire : Repenser l'avenir du travail

Revue Futuribles Mir@bel
Numéro no 456, septembre-octobre 2023
Titre du numéro Repenser l'avenir du travail
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  • Éditorial

  • Le rapport des Français au travail : Évolutions et perspectives - Jennifer Clerté, Marc Malenfer p. 5-25 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Le conflit social autour de la réforme des retraites a donné lieu à de nombreux débats et commentaires sur le rapport des Français au travail. Cette actualité s'inscrit dans le prolongement d'une série de secousses venant percuter le monde du travail. De multiples textes réformant le droit du travail et les rapports sociaux dans l'entreprise ont été adoptés ces dernières années : lois Rebsamen en 2015, El Khomri en 2016, ordonnances dites Macron en 2017, loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel en 2018, loi PACTE (Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises) de 2019, réforme de l'assurance chômage de 2022. Parallèlement, plusieurs crises ont mis à l'épreuve les entreprises et les travailleurs : « gilets jaunes » en 2018, conflit sur les retraites en 2019 puis 2022-2023, Covid-19 en 2020-2021, conflit ukrainien, crise énergétique et du pouvoir d'achat depuis 2022. Ces actualités s'additionnent à des transformations du travail moins visibles mais également profondes : procédurisation, numérisation, individualisation des objectifs et des évaluations. Aujourd'hui, l'on se réinterroge sur la place du travail dans nos vies ; en témoignent les Assises du travail lancées fin 2022 par le ministère Travail, du Plein Emploi et de l'Insertion dans le cadre du Conseil national de la refondation, qui visent à « accompagner ces évolutions et les attentes [des Français] ». Et depuis plusieurs mois, une série d'études et de rapports se succèdent pour alimenter ce débat. Cet article propose de faire le point sur le sujet à partir de diverses enquêtes récentes, et en s'interrogeant sur les conséquences possibles, dans les années à venir, de ces évolutions du rapport au travail des Français sur le monde de l'entreprise.
    Much debate and commentary on French people's attitudes to work has been prompted by the social conflict around pension reform. These current events are the latest stage in a series of upheavals to have impacted the world of work. A large number of reforms to labour law and social relations within companies have been adopted in recent years: the Rebsamen laws in 2015, the El Khomri laws in 2016, the so-called Macron ordinances of 2017, the 2018 law on the freedom to choose one's occupational future, the PACTE (the Action Plan for the Growth and Transformation of Businesses) in 2019, and the 2022 reform of unemployment insurance. At the same time, several crises have put companies and workers under strain: the ‘yellow vests' in 2018, clashes over retirement legislation in 2019 and 2022-23, Covid-19 in 2020-21 and, since 2022, the Ukraine conflict and the energy and cost-of-living crisis. These events are in addition to less visible but equally profound changes to work, including proceduralization, digitization, and the individualization of objectives and evaluation. The subject of where work figures in our lives is back on the agenda today, as witness the ‘Assizes of Work', initiated in late 2022 by the Ministry of Labour, Full Employment and Inclusion as part of France's new National Refoundation Council. The aim of the ‘Assizes' is to ‘support these developments and the expectations [of the population].' A series of studies and reports have been published in recent months to inform this debate. This article aims to take stock of the subject on the basis of various recent surveys and by asking what the possible consequences of these changes in the French population's attitude to work may be for the business world in the coming years.
  • Les conditions de travail en Europe : Disparités et convergences - Sarah Proust p. 27-41 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Après plusieurs mois de vives tensions sociales en France sur la réforme des retraites, le gouvernement a entrepris de rouvrir les débats sur la place et les conditions du travail dans le pays. Fin avril 2023, le Conseil national de la refondation a sorti son rapport issu des Assises du travail, intitulé « Re-considérer le travail » car, effectivement, la relation qu'entretiennent les salariés avec leur travail, leurs aspirations…, ont à voir avec la « considération » qui en découle à leur endroit. Or, depuis la pandémie et les confinements de 2020-2021, la situation a évolué, en France comme en Europe, en particulier pour celles et ceux dont le métier peut se pratiquer en télétravail. Quelle est l'ampleur de cette évolution des conditions de travail ? Comment est-elle appréhendée et appréciée par les travailleurs ? Sarah Proust, qui a coordonné plusieurs études sur le sujet, notamment pour la Fondation Jean Jaurès, fait ici le point sur la façon dont les conditions et l'organisation du travail ont évolué ces dernières années, en France et dans cinq autres pays européens : fragmentation des lieux et horaires de travail, hybridation vie personnelle / vie professionnelle, individualisation du travail, rapport à l'employeur… Globalement perçu comme une avancée sociale obtenue sans combat, le télétravail semble vécu comme une amélioration des conditions de vie plus que des conditions de travail ; mais il ouvre aussi la voie à de nouveaux questionnements concernant l'organisation du travail, le management, l'aménagement ou la réduction du temps de travail. Et comme le souligne Sarah Proust en fin d'article, d'autres questions émergent ou se renforcent, qui vont considérablement renforcer la vision politique du travail, qu'il s'agisse de la diffusion de l'intelligence artificielle dans différents métiers ou des contraintes découlant de la lutte contre le changement climatique. S.D.
    After several months of intense social tensions over pension reform, the French government has moved to re-open the debates on working conditions and the place of work in France. In late April 2023, in the wake of its so-called ‘Assizes of Work', the National Re-foundation Council brought out the report ‘Re-considering Work', based on the finding that the relationship between employees and their work and aspirations etc. owes much to the ‘consideration' paid to them in that relationship. Since the pandemic and lockdowns of 2020-21, the situation has evolved, both in France and in Europe, particularly for those who are able to do their jobs remotely. How much have working conditions changed? And how is that change perceived and evaluated by workers? Sarah Proust, who has coordinated several studies on the subject, among others for the Fondation Jean Jaurès, sums up how working conditions and the organization of work have evolved in recent years in France and five other European countries: a fragmentation of workplaces and working hours has occurred, the distinction between personal and professional life has blurred, work has been individualized, and employer-employee relations have changed etc. While generally seen as a social advance achieved without a fight, people seem to regard teleworking more as an improvement in living rather than working conditions; but it also opens up some new questions about the organization of work, management, and the restructuring/reorganization of working hours. And, as Sarah Proust emphasizes toward the end of her article, other questions are emerging or gaining new weight that are going to make work considerably more of a political issue, including the spread of artificial intelligence within certain occupations and constraints ensuing from the fight against climate change.
  • L'évolution des valeurs en Europe : Individualisation croissante, individualisme en baisse, clivages Est / Ouest - Pierre Bréchon p. 43-59 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Depuis plus de 40 ans, l'European Values Study (EVS) réalise des enquêtes très approfondies, à intervalles réguliers (9-10 ans), dans plus d'une trentaine de pays européens afin d'étudier l'évolution de leurs systèmes de valeurs. La revue Futuribles y fait écho à chaque nouvelle vague, comme nous le rappelions en 2021, lorsque Pierre Bréchon dévoilait les premiers enseignements de la dernière vague (réalisée en 2017)1. À l'occasion de la parution de l'ouvrage présentant les tendances et résultats de la vague 20172, Pierre Bréchon approfondit la réflexion, et souligne en particulier les évolutions observées en matière d'individualisation (volonté d'autonomie) et d'individualisme (recherche de son strict intérêt personnel) dans les différents domaines de la vie. Ainsi la tendance à l'individualisation se poursuit, notamment dans la sphère familiale et les comportements politiques, tandis que l'individualisme tend à régresser (altruisme et solidarité se renforçant). Mais ces évolutions sont très spécifiques à l'Europe du Nord, de l'Ouest, voire du Sud ; alors que l'Europe de l'Est et la Russie affichent au contraire une moindre individualisation et un individualisme nettement plus marqué. Pierre Bréchon détaille ici les caractéristiques des évolutions selon les générations, la religiosité, les vagues d'enquêtes et les aires géographiques étudiées. Et il propose une typologie croisée de l'individualisme et de l'individualisation, qu'il recoupe ensuite avec diverses variables sociales, démographiques, politiques, donnant ainsi de nouvelles clefs de lecture et compréhension de ces deux dimensions. Si la baisse de l'individualisme dans une grande partie de l'Europe porte à l'optimisme en matière de cohésion sociale, les forts clivages culturels persistant entre Est et Ouest relativisent considérablement la perspective d'une réelle convergence des valeurs au sein du continent européen entendu au sens large — de l'Atlantique à la Russie. S.D.
    For more than 40 years, the European Values Study (EVS) has carried out very in-depth surveys at regular intervals (9-10 years) in more than 30 European countries to study the evolution of value systems. Futuribles has reported on these at each new wave, as we recalled in July 2021 when Pierre Bréchon unveiled the first findings of the last wave (carried out in 2017). On the publication of the work presenting the trends and results of the 2017 wave, Pierre Bréchon delves deeper into the question, stressing particularly the changes observed in terms of individualization (the desire for autonomy) and individualism (the pursuit of one's strict personal self-interest) in different areas of life. For example, the trend toward individualization is continuing, particularly in the family sphere and political behaviour, whereas individualism is tending to regress (with altruism and solidarity reinforcing each other). But these developments are very specific to Northern, Western — and even Southern — Europe. Eastern Europe and Russia display, by contrast, a lower degree of individualization and a distinctly more marked individualism. Here Pierre Bréchon runs through the characteristics of the evolution by generation, by level of religiosity, and for the various survey ‘waves' and the geographical areas studied. He offers a cross-typology approach to individualism and individualization, which he then cross-compares with a number of social, demographic and political variables, providing new interpretations and insights for these two dimensions. If reduced individualism in large parts of Europe gives cause for optimism about social cohesion, the wide cultural divides still persisting between East and West somewhat diminish the prospects for a genuine convergence of values on the European continent in the broad sense — i.e. from the Atlantic to Russia.
  • Les réseaux sociaux, 20 ans plus tard - Caroline Faillet p. 61-73 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Qu'il s'agisse des « printemps arabes », de la crise dite des « gilets jaunes », des manifestations suscitées en France par la réforme des retraites, a fortiori des mouvements sociaux violents intervenus cet été en France, les services en charge de l'ordre public remettent en cause les réseaux sociaux qui seraient instrumentalisés par les manifestants au service de leurs actions. En même temps, sans les mêmes réseaux, d'autres actions comme #MeToo ou #BlackLives Matter, nombre de mouvements en faveur de l'écologie et contre les violences commises à l'encontre des femmes n'auraient sans doute pas bénéficié du même écho. Mais que sont ces réseaux sociaux qu'utilisent aujourd'hui près de cinq milliards de personnes dans le monde pour exprimer leurs points de vue et leurs passions, communiquer entre eux, alors qu'ils s'ignoraient auparavant ? Les plates-formes, comme toutes les nouvelles technologies, sont devenues des espaces pouvant conduire au meilleur comme au pire des usages. Caroline Faillet, qui suit cette question depuis bientôt 20 ans, nous en explique les vertus et les défauts, et présente leurs perspectives. H.J.
    Whether it is the 'Arab springs', the so-called ‘yellow vests' crisis, the protests in France prompted by pension reform and, even more so, the violent social upheavals that have been seen in France this summer, the authorities responsible for public order point the finger at the social networks, for being, as they see it, weaponized by protestors to aid in their action. At the same time, without those same networks, other initiatives, such as #MeToo or #BlackLivesMatter and a number of movements in favour of ecology and against violence against women would no doubt not have enjoyed the resonance they have. But what are these social networks that are used today by almost five billion people across the world to express their viewpoints and passions, and to communicate with people whom they did not previously know? These platforms have become spaces which, like all new technologies, can be used for good or ill. Caroline Faillet, who has been following this question for almost 20 years, explains their virtues and failings and describes how they might develop in the future.
  • Repères

    • Les transferts internationaux d'armement - Matthieu Anquez p. 74-78 accès réservé avec résumé en anglais
      In March 2023, the Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) published its latest data on arms transfers in the period 2018-22. The figures and analyses in the report are useful for measuring fluctuations in volume by comparison with the previous period (2013-17), as well as for observing major trends by geographical zone. This ‘Signposts' feature outlines the main lessons to be learned.
  • Les catastrophes colossales au Japon : Comment limiter le risque de déclin national ? - Jean-François Heimburger p. 79-92 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Ce mois de septembre 2023 marque, au Japon, le centenaire de la pire catastrophe naturelle qu'ait connue le pays : les séismes du Kantō. Archipel volcanique, le Japon se situe dans une zone où se rencontrent quatre plaques tectoniques, dont le mouvement est à l'origine de séismes pouvant être particulièrement violents et entraîner des tsunamis. Habitué à faire face à des séismes d'intensité variable (Iwate en 2008, Tōhoku en 2011 qui provoqua le tsunami à l'origine de l'accident nucléaire de Fukushima, Kumamoto en 2016…), le pays s'y est adapté ; en revanche, il n'est peut-être pas suffisamment préparé à un « Big One », c'est-à-dire une catastrophe colossale exceptionnelle, à probabilité très faible mais aux conséquences monumentales pouvant aller jusqu'à l'effondrement total du pays. Dans cet article, Jean-François Heimburger souligne pourquoi et dans quelle mesure le Japon n'est pas à l'abri de la survenue d'un tel mégaséisme, précisant les enjeux et vulnérabilités associés. Il rappelle quelques antécédents de moindre ampleur permettant d'envisager l'impact que pourrait avoir une telle catastrophe et d'évaluer une part des dommages qui en découleraient. Enfin, ne cédant pas à la résignation ou au sentiment de fatalité qu'éprouvent de nombreux habitants de l'archipel, il liste une série de mesures de prévention à mettre en œuvre pour être en capacité d'y faire face et améliorer la résilience : en matière de construction, d'habitat, d'infrastructures…, mais aussi s'agissant de l'information et de la planification des réponses (évacuation, protection des populations…) en cas de risque imminent ou dans les minutes suivant le début de la catastrophe. Le pire n'est jamais certain, mais le propre de la prospective est aussi de s'y préparer ; cet article y contribue. S.D.
    September 2023 marks the centenary in Japan of the worst natural disaster to hit the country — the Kantō earthquakes. As a volcanic archipelago, Japan lies in a meeting zone of four tectonic plates. The movement of those plates can lead to particularly violent earthquakes that also give rise to tsunamis. Being used to dealing with earthquakes of variable intensity (Iwate in 2008, Tōhoku in 2011, which caused the tsunami that led to the Fukushima nuclear accident, Kumamoto in 2016 etc.), the country has adapted to the situation. On the other hand, it may not be adequately prepared for a so-called ‘Big One': an exceptional massive disaster event, which is a very low-probability occurrence, but one which might have monumental consequences, up to and including the country's total collapse. In this article, Jean-François Heimburger underscores why and to what extent Japan is not immune to the occurrence of such a ‘megaquake', detailing the attendant issues and vulnerabilities. He goes over a number of previous lesser-scale events that allow us to grasp the impact such a disaster might have and assess some of the damage that would ensue. Lastly, not yielding to the resignation or fatalism of many in the Japanese population, he lists a series of preventive measures to be implemented to cope with such an event and improve resilience. These cover construction, housing and infrastructure etc., but also information and response-planning (the evacuation of populations, their protection etc.) in situations of imminent risk or in the early minutes of an actual disaster. The worst will not necessarily happen, but the task of foresight is to prepare for such an eventuality. This article contributes to that preparation.
  • Chronique européenne

    • La Turquie et l'Union européenne : Pour une politique apaisée - Jean-François Drevet p. 93-100 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      En dépit d'une politique contestable et contestée dans bien des domaines (à commencer par l'économie), le président Recep Tayyip Erdoğan a été réélu à la tête de la Turquie, fin mai 2023, pour un troisième mandat. Bien des dirigeants européens souhaitaient sans doute un changement, nourrissant l'espoir de voir se détendre les relations entre Ankara et l'Union européenne, voire l'Alliance atlantique. Mais le peuple turc en a décidé autrement ; il va donc falloir s'en accommoder. Dans ce contexte, Jean-François Drevet fait ici le point sur la nature et l'état actuel des relations entre la Turquie — pays pivot entre l'Europe, l'Asie, la Russie et le Moyen-Orient —, l'Union européenne et les États-Unis — de nouveau incontournables pour la défense européenne au travers de l'OTAN. Il revient tout d'abord sur les postures d'Ankara en matière économique et sur son jeu diplomatique, en particulier avec Moscou. Il pointe ensuite les évolutions qui se font jour dans la façon dont Washington et Bruxelles appréhendent la Turquie sur la scène internationale, soulignant que celle-ci n'est « plus aussi indispensable » qu'on le croit. Il précise enfin les éléments qui pourraient conduire à une nouvelle grammaire dans les relations entre Ankara, Bruxelles et Washington, favorisant une forme d'apaisement ; mais pour ce faire, les Occidentaux devront convaincre Recep Erdoğan de « renoncer au néo-ottomanisme » qui l'anime et sans doute afficher une plus grande fermeté à son égard. S.D.
      Despite policies that are contentious — and have indeed been contested — in many areas (beginning with the economy), in late May 2023 President Recep Tayyip Erdoğan was elected for a third term as Turkish head of state. Many European leaders were probably wishing for change, hoping to see relations ease between Ankara and the European Union — if not, indeed, the Atlantic Alliance. But the Turkish people had other thoughts: it will therefore be necessary to come to terms with this situation. In this context, Jean-François Drevet, takes stock of the nature and current state of relations between Turkey — a pivotal country between Europe, Asia, Russia and the Middle East — the European Union and the USA, which has once again become essential to European defence by its role in NATO. He begins by assessing Ankara's stances in economic affairs and its diplomatic strategy, particularly in relation to Moscow. He then points to the developments that are occurring in the way Washington and Brussels perceive Turkey on the international scene, stressing that it is ‘no longer so indispensable' as is generally believed. Lastly, he underscores the elements that might lead to a re-boot in relations between Ankara, Brussels and Washington, fostering a certain easing of tensions, but for that the Western nations will have to convince Recep Erdoğan to ‘give up the neo-Ottomanism' that drives him and probably also show him greater firmness.
  • Actualités prospectives

  • Lu, vu, entendu