Contenu du sommaire : Regards sur les routes migratoires aujourd'hui

Popularisée au tournant des années 1990-2000, la notion de « routes migratoires », couramment mobilisée dans le cadre de l'action publique, notamment de l'Union européenne, désigne non seulement les voies (maritime, terrestre ou aérienne) empruntées par les migrants internes ou internationaux, mais elle vise aussi à rendre compte de la complexité des réseaux sociaux, des chaînes migratoires et des multiples sinuosités qui constituent les étapes du trajet migratoire et les contraintes auxquelles doivent faire face les migrants. Dans cette introduction au dossier, nous reviendrons dans un premier temps sur la notion de « routes migratoires » afin de mieux en définir les contours, ce qui permettra d'en souligner la pertinence dans l'analyse des migrations internationales actuelles. Ensuite, nous présenterons quelques traits communs aux « routes migratoires » à travers le monde aujourd'hui, qui se caractérisent de façon paradoxale par leur dangerosité de plus en plus accrue face à laquelle les migrants font preuve de plus en plus d'ingéniosité et de résilience. Enfin, dans la troisième et dernière partie, nous présenterons les différentes contributions réunies dans ce dossier, qui se donne pour objet de saisir l'actualité des « routes migratoires » à partir de quelques exemples emblématiques.

Cet article analyse comment se dessinent les routes migratoires empruntées par les migrants marocains et ceux originaires d'Afrique subsaharienne, qui tentent de se rendre en Europe à partir du Maroc, mais dont la circulation migratoire est contrariée, voire empêchée. Pour cela, les auteurs interrogent les politiques migratoires du Maroc, examinant en particulier les conséquences de ces politiques sur les profils migratoires de celles et ceux qui passent par le Maroc. Les profils des migrants sont ici étudiés sous le prisme d'un tri intersectionnel que les auteurs ont observé lors de leurs différents terrains de recherche. Ce tri, qui s'opère par l'âge, le sexe, la nationalité et la classe sociale, les a amenés à se demander qui sont les personnes qui franchissent ces frontières (notamment du Maroc vers l'Espagne ou vers la France), et circulent à travers le Maroc pour tenter de gagner l'Europe. S'agissant des profils des migrants, plusieurs caractéristiques se dégagent, comme leur jeunesse, leur sexe — les femmes ont des opportunités pour partir en Espagne (cas des « femmes-mulets » ou des « dames de fraises ») — leur nationalité (Africains subsahariens) et leur classe sociale (les plus aisés étant privilégiés en matière de mobilité pour études).

Professeur émérite en sociologie à l'Université de Toulouse Jean Jaurès ( ut2j), Alain Tarrius est l'auteur d'un grand nombre de travaux scientifiques (24 livres, 10 rapports de recherche, 164 articles) et a effectué plus d'une centaine d'interventions lors de conférences internationales). Aujourd'hui encore, il demeure un universitaire très actif, comme en témoigne la parution de trois ouvrages entre 2020 et 2022. Membre associé de deux unités mixtes de recherche — le Centre d'étude et de recherche travail, organisation, pouvoir ( certop) et le laboratoire Migrations internationales, espaces et sociétés ( migrinter) — Alain Tarrius est un chercheur connu et reconnu, notamment pour sa production scientifique en lien avec les migrations internationales, et en particulier sur la thématique des routes migratoires. Dans cet entretien, il revient sur quelques notions clés de sa pensée sur les migrations, ce qui permet d'aborder plus largement la thématique des routes migratoires autour de la Méditerranée.

Les routes migratoires ne se résument pas à des espaces très dangereux pour les migrants, contrairement à ce que tendent à mettre en avant nombre de travaux d'experts internationaux et de chercheurs. Elles sont aussi une ressource pour les migrants qui, faisant sans cesse preuve de résilience, tirent profit des opportunités qui se présentent à eux au cours des trajets entre leurs pays de départ et d'arrivée. Ces observations découlent d'une recherche qualitative, menée entre 2011 et 2019, ayant pour objet l'espace migratoire ivoiro-burkinabè, qui correspond à l'aire géographique réunissant le Burkina Faso et la Côte d'Ivoire, au sein de laquelle a lieu une forte densité de circulations internationales sur les différentes routes, et, en l'occurrence ici sur la voie de chemin de fer reliant Abidjan à Ouagadougou. Notre recherche s'appuie sur des entretiens semi-directifs réalisés non seulement auprès des Burkinabè installés en Côte d'Ivoire, mais aussi auprès d'anciens migrants burkinabè revenus dans leur pays d'origine et qui continuent d'entretenir des liens avec les deux pays. Ces entretiens ont été complétés par d'autres effectués auprès d'immigrés ivoiriens au Burkina Faso, une migration plus récente qui contribue depuis une vingtaine d'années à renforcer le dynamisme de cet espace migratoire.

Cet article décrit les réseaux d'entrepreneurs chinois, et plus spécifiquement les réseaux des Wenzhou, à partir de la présentation de leurs principaux schémas de mobilité, en s'intéressant à leurs espaces de circulation ainsi qu'à leurs pays d'installation à travers le monde. Il met en évidence le lien étroit entre la répartition géographique des Wenzhou et l'émergence de la figure de « l'entrepreneur diasporique », non seulement dans les pays d'immigration mais aussi dans le pays d'origine, qui repose sur la mise en place de réseaux migratoires et commerciaux au sein du groupe diasporique. Par ailleurs, cette contribution — qui s'appuie sur des données collectées au cours de plusieurs enquêtes qualitatives (entretiens semi-directifs, observations de terrain), conduites entre 2011 et 2020, auprès des membres de la communauté wenzhou en France et en Chine — présente un panorama des principaux pays d'installation des Wenzhou depuis les années 2000, permettant ainsi de réfléchir aux facteurs qui contribuent à la mise en place et au fonctionnement des schémas de mobilité des Wenzhou grâce à l'analyse des modalités de constitution des réseaux sociaux que ces entrepreneurs tissent entre eux.

Doctorant au Centre de recherches et d'études supérieures en anthropologie sociale ( ciesas) de Mexico, Edgar Córdova Morales travaille, depuis 2015, sur les violences subies par les migrants aux frontières de l'Europe, en Méditerranée. Il mène actuellement une recherche comparative qui a pour terrains d'étude la frontière sud du Mexique (Tapachula, dans la région de Soconusco) et le sud de la Tunisie. Dans cet entretien, il revient sur divers questionnements théoriques : de la question de la sécurisation des frontières aux facteurs à l'origine des migrations internationales entre l'Amérique centrale et l'Amérique du Nord, en passant par les enjeux liés à la racialisation ou encore aux formes contemporaines du « biopouvoir » dans les politiques migratoires.

Alors que les dispositifs de soutien à la parentalité soutenus financièrement par les Caisses d'allocations familiales ( caf) sont théoriquement conçus pour accueillir des publics très divers, rares sont les travaux portant sur les familles issues de l'immigration au sein de ces dispositifs. Afin de combler ce manque, nous avons conduit en 2018 une enquête qualitative combinant des entretiens et des observations d'actions dans le cadre de trois dispositifs, à savoir les Lieux d'accueil enfants-parents ( laep), les Réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents ( reaap) et les Contrats locaux d'accompagnement à la scolarité ( clas). L'enjeu de la catégorisation des familles issues de l'immigration a été traité sous deux angles. Du point de vue méthodologique, ce sont les acteurs institutionnels de la branche Famille de la Sécurité sociale et les responsables des actions de soutien à la parentalité qui ont sélectionné les actions et les familles enquêtées selon leur interprétation de l'expression « issues de l'immigration », ce qui a eu des effets sur le terrain. Du point de vue analytique, il est apparu qu'au sein de ces dispositifs les intervenants interprètent les normes et les pratiques des familles, et donc réalisent des classifications, créent des catégories, selon trois registres : « psychologique », « culturaliste » et « socioéconomique ». Ces représentations des familles « issues de l'immigration » qu'ont les intervenants locaux peuvent à leur tour irriguer (et être influencées par) d'autres acteurs, institutionnels notamment.