Contenu du sommaire : Sans-abri : expériences et politiques

Revue Revue française des Affaires sociales Mir@bel
Numéro no 1, janvier-mars 2023
Titre du numéro Sans-abri : expériences et politiques
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  • Avant-propos : Saisir le sans-abrisme : cadrages, expériences, politiques - Mauricio Aranda, Gwen Le Goff, Julien Levy p. 7-25 accès réservé
  • Cadrages et débats

    • Le sans-domicilisme. Réflexion sur les catégories de l'exclusion du logement - Marie Loison p. 29-50 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      L'absence de logement « à soi » n'est pas simple à définir et les sans-domicile forment une population hétérogène et fluctuante. La grande diversité de leurs trajectoires et de leurs situations résidentielles rend difficiles l'appréhension et la qualification du phénomène d'exclusion du logement. En France, depuis les travaux pionniers des années 1990 et jusqu'à aujourd'hui, différentes catégorisations ont été produites mais elles sont souvent méconnues et les mots employés génèrent des confusions ayant parfois des conséquences problématiques dans la mise en œuvre des politiques publiques à destination des populations concernées. Cette contribution propose d'ouvrir le débat en présentant le terme « sans-abrisme » comme une synecdoque du néologisme « sans-domicilisme ». Elle défend l'idée selon laquelle l'usage de ce dernier terme permet davantage d'éviter les confusions et la reproduction des idées reçues sur ces populations, de mieux prendre en compte les trajectoires spécifiques de certaines catégories de population exclues du logement et de mieux traduire le terme anglo-saxon homelessness (qui est aujourd'hui le plus souvent traduit par « sans-abrisme »). Ce faisant, il pourrait contribuer à la (re)constitution d'un champ de recherche français plus unifié sur cette question et à un meilleur dialogue entre recherche et action publique.
      The lack of one's ‘own' home is not easy to define and the homeless are a heterogeneous and fluctuating population. The great diversity of their trajectories and residential situations makes it difficult to understand and qualify the phenomenon of homelessness. In France, since the pioneering work of the 1990s and up to the present day, various categorisations have been produced, but they are often misunderstood and the words used generate confusion, which sometimes has problematic consequences in the implementation of public policies aimed at the populations concerned. This contribution proposes to open the debate by presenting the term ‘ sans-abrisme' (rooflessness) as a synecdoche of the neologism ‘ sans-domicilisme' (homelessness). It argues that the use of the latter term is more likely to avoid confusion and replicating preconceived ideas about these populations, and will take greater account of the specific trajectories of certain categories of people excluded from housing. It is a better translation of the English term 'homelessness'. In this way, it could contribute to the (re)constitution of a more unified French research field on this issue and to a better dialogue between research and public action.
    • Décrire une population mal captée dans les statistiques - Pierre-Yves Cabannes, Thomas Lellouch, Nicolas Chambon, Aurore Lambert p. 51-63 accès réservé
    • Enquêter sur (et avec) les sans-domicile : une trajectoire de recherche - Maryse Marpsat p. 65-73 accès réservé
    • Migrations et sans-abrisme : recherches en sciences sociales de 1970 à 2020 - Pierre Eloy, Marion Lièvre p. 75-86 accès réservé
  • Expériences

    • « Mon camion, c'est ma maison ». Quand le véhicule-habitation vient questionner la norme d'habitat - Émilie Auger p. 89-108 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Les jeunes nomades et saisonniers viticoles sont peu étudiés par les chercheurs et peu connus des politiques publiques. Quand ils circulent dans les espaces ruraux, leur présence interroge la norme d'habitat établie par les codes de l'urbanisme et les politiques sociales liées au logement. En effet, les jeunes saisonniers nomades vivant en tente, voiture et principalement en camion aménagé transgressent la norme de l'habitat par leur mode de vie mobile. Les entretiens que nous avons réalisés avec ces jeunes, souvent vus comme des déviants dans les espaces ruraux qu'ils traversent, ont permis de comprendre leur monde social et, ce faisant, les valeurs mises en avant par ces nomades pour justifier leur maintien dans ce mode de vie.
      Young nomadic travellers and seasonal vineyard workers are little studied by researchers and little known in public policy. When they travel around rural areas, their presence questions the housing norm established by urban planning codes and social policies related to housing. Indeed, young nomadic seasonal workers living in tents, cars and mainly trucks transgress the housing norm with their mobile lifestyle. The interviews we conducted with these young people, who are often seen as deviants in the rural areas through which they travel, enabled us to understand their social world and, in so doing, the values put forward by these nomads to justify continuing with this way of life.
    • Entre aides et entraides. Enquête sur les expédients alimentaires de trois personnes immigrées sans-domicile - Paolo Renoux p. 109-130 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article s'appuie sur une enquête de l'Observatoire du Samusocial de Paris, « Hors-Service », portant sur les manifestations socio-économiques de la crise sanitaire de Covid-19 sur les personnels du secteur de l'hôtellerie-restauration, et menée en 2020 et 2021. Les budgets de trois personnes sans domicile y sont étudiés dans une perspective ethnocomptable sous l'angle spécifique de l'alimentation. La description des économies domestiques met en lumière tout un panel d'activités, de ressources et de relations sociales qui s'articulent pour former un équilibre budgétaire. Au sein de ces portefeuilles de subsistance, le recours à l'aide alimentaire côtoie de multiples façons de se nourrir à moindre coût. L'aide d'urgence ne remplit pas toujours le même rôle, pouvant paradoxalement devenir vectrice d'indépendance et d'émancipation alimentaire. L'enquête met en évidence les usages et les enjeux multiples de l'alimentation qui, loin de se réduire à son intérêt nutritionnel et à ses implications économiques, s'inscrit dans la recherche d'une vie, sociale et domestique, qui vaut la peine d'être vécue. L'étude des budgets, ici ceux de l'alimentation, déborde largement la question économique pour permettre une compréhension fine du vécu des personnes sans domicile, de leurs évaluations quotidiennes et de leurs horizons biographiques.
      This article is based on a survey by the Observatoire du Samusocial de Paris (emergency service for homeless people), entitled “ Hors-Service (Out of Order)”, on the socio-economic manifestations of the Covid-19 health crisis in the hotel and catering sector, carried out in 2020 and 2021. The budgets of three homeless people were examined from an ethno-accounting perspective with a specific focus on food. The description of domestic economies highlights a whole range of activities, resources and social relations that all interact to form a balanced budget. Within these subsistence portfolios, the use of food aid sits alongside multiple ways to feed oneself at a lower cost. Emergency aid does not always fulfil the same role, and can paradoxically become a vector of independence and emancipation through food. The survey emphasizes the multiple uses and issues of food which, far from being simply of nutritional interest and economic implications, is part of the search for a life, both social and domestic, that is worth living. The study of budgets, in this case food budgets, goes well beyond the economic question to provide a detailed understanding of the experiences of homeless people, their daily calculations and their biographical horizons.
    • Jeunes à la rue usagers de drogues : se construire des territoires existentiels - Caroline Loth, Nina Tissot p. 131-151 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Des jeunes usagers de drogues à la rue à Lyon occupent l'espace public, y construisent des abris, y font la manche, consomment des produits psychoactifs, s'inscrivent dans un réseau de relations sociales, et ainsi développent des aptitudes à habiter et à cohabiter dans la ville. En marge – ou en plein cœur ? – de celle-ci, ils génèrent ainsi des territoires physiques et existentiels bien loin du concept d'errance qui les définit souvent dans l'action sociale et politique. À partir d'une recherche conduite à divers moments et dans différents cadres (interventions en travail social, études en anthropologie, ethnographies pour un observatoire de recherche), nous souhaitons ici restituer l'épaisseur des modalités d'être à la ville de ces jeunes. L'article rend compte de leurs compétences urbaines manifestes, que les usages de drogues conditionnent nécessairement, et ainsi de leurs existences éminemment politiques dans la ville.
      Young drug users living on the streets of Lyon occupy public space, build shelters, beg for money, consume psychoactive substances, join a network of social relationships, and thus develop the ability to live and cohabit in the city. On its margins - or right at its heart? - they generate physical and existential territories far from the concept of wandering that often defines them in social and political action. Based on research conducted at various times and in different settings (social work interventions, anthropological studies, ethnographies for a research centre), we wish here to recreate the full breadth of these young people's ways of living in the city. The article gives an account of their manifest urban skills, necessarily influenced by their drug use, and thus of their eminently political existence in the city.
    • Plus rien n'a d'importance à part le quotidien - Jean-François Krzyzaniak, Gwen Le Goff p. 153-160 accès réservé
    • Pour une action sociale qui soutienne la santé mentale - Nicolas Chambon p. 161-179 accès réservé
  • Politiques

    • De l'asile de nuit à l'urgence sociale. Professionnalisation et rationalisation en tension du caritatif dans l'action publique : La Mie de Pain (décennies 1980-2010) - Mauricio Aranda p. 183-204 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      La politique d'urgence sociale visant les personnes sans abri prend appui sur des initiatives caritatives qui, en partie, lui préexistent. Ainsi, jusqu'aux années 1980, les gestionnaires associatifs d'asiles de nuit organisent leur secours ponctuel de manière autonome, voire en se distinguant des pouvoirs publics. Comment ces associations caritatives ont-elles pu alors intégrer le volet de « solidarité nationale » de l'État social ? Pour y répondre, cet article propose de s'intéresser au cas de La Mie de Pain, œuvre confessionnelle, séculaire et centrale dans ce type d'assistance. En s'appuyant sur une enquête d'archives et de terrain, cette contribution montre comment son incorporation à la politique d'urgence sociale est rendue possible – non sans tensions – par une professionnalisation de ses membres, ainsi que par une rationalisation de ses pratiques. Ces processus sont amenés par des relations d'interdépendance qui vont crescendo avec les pouvoirs publics. Ils se traduisent dans l'association par des mécanismes de renouvellement, mais aussi de conservation, de son personnel et de ses manières d'héberger. Plus largement, l'article donne à réfléchir sur ce que la participation aux affaires sociales fait aux œuvres caritatives dans un contexte de métamorphoses du monde associatif.
      The social emergency policy for homeless people is based on charitable initiatives which partly pre-existed it. Until the 1980s, the managers of night shelters organised their occasional assistance autonomously, distancing themselves from the public authorities. How could these charities then become part of the ‘national solidarity' component of the welfare state? In order to answer this question, this article proposes examining the case of La Mie de Pain, a secular, faith-based organisation that plays a central role in this type of assistance. Based on an archival and field survey, this paper shows how its incorporation into social emergency policy is made possible - not without tensions - by the professionalization of its members, as well as by the rationalization of its practices. These processes are driven by interdependent relationships that grow stronger as they link more closely with the public authorities. They are then reflected in the organisation by the ways it can renew, as well as retain, its staff and its ways of providing accommodation. More broadly, the article reflects on what participation in social affairs does to charities in the context of the changing nature of the voluntary sector.
    • L'hébergement d'urgence à l'épreuve de la pandémie. Enquête sur les reconfigurations d'un dispositif de mise à l'abri hivernal - Marine Maurin, Gabriel Uribelarrea, Cédric Verbeck p. 205-223 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article analyse les transformations de l'hébergement d'urgence dans le cadre de la pandémie du Covid-19 et les épreuves qu'elles ont engendrées pour les professionnels et les personnes qui y sont hébergées. À partir d'une enquête de terrain conduite dès le premier confinement en mars 2020 et prolongée jusqu'en mars 2022, nous documentons comment un dispositif de « mise à l'abri hivernal » a fait l'objet de reconfigurations afin de mettre en application les mesures de « confinement » et de « distanciation sociale ». Alors que la promiscuité de ce type d'hébergement est déjà connue, nous montrons que celle-ci est désormais cadrée comme un problème sanitaire. Ce nouveau cadrage engendre des pratiques d'espacements et de déplacements de personnes vers d'autres habitats précaires, dont l'internat d'un lycée. En décrivant ces espacements et déplacements des personnes hébergées, l'enquête montre comment la crise sanitaire a finalement contribué à renforcer l'intensité de deux épreuves typiques de l'urgence sociale : celle du déplacement contraint des individus considérés sans attaches et celle du caractère temporaire et précaire des habitats proposés.
      This article analyses how emergency accommodation was transformed in the context of the Covid-19 pandemic and the problems this caused both for professionals and for the people housed there. Based on a field survey conducted from the first lockdown in March 2020 and extended until March 2022, we document how a ‘winter sheltering' system was reconfigured in order to implement ‘lockdown' and ‘social distancing' measures. While overcrowding in this type of accommodation is already well-known, we here show that it now presents as a health problem. This new context led to spacing practices and the displacement of people to other insecure types of accommodation, including the boarding wing of a high school. By describing this spacing out and displacement of sheltered persons, the survey shows how the health crisis has ultimately contributed to intensifying two typical ordeals of social emergencies: the forced displacement of individuals considered to be unattached, and the temporary and insecure nature of the housing offered to them.
    • Insérer les personnes sans abri par le travail. Un dispositif aux prises avec les catégories de « sans-domicile » et « sans-abri » - Louise Lacoste p. 225-245 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Le dispositif « Premières Heures » parisien vise le retour à l'emploi des personnes sans abri, par l'intermédiaire de la reprise progressive d'une activité économique. De ce fait, le dispositif s'est construit à partir d'une distinction opérée entre « sans-abri » et « sans-domicile ». Alors que la première catégorie – visée par le dispositif – correspond à celle des personnes dormant dans un lieu non prévu pour l'habitation, la seconde concerne les individus déjà stabilisés en matière d'hébergement (soit hébergés dans un centre d'urgence ou de réinsertion sociale) et pouvant a priori intégrer directement le marché du travail ordinaire. Pourtant, l'analyse des débats interassociatifs et des pratiques de recrutement pour le dispositif invite à interroger cette différenciation entre les personnes à la rue qui seraient plus vulnérables et celles en hébergement social qui seraient plus stabilisées dans leur parcours.
      The Parisian “First Hours” scheme aims to help homeless people return to work, by gradually resuming an economic activity. As a result, the system was built on a distinction between “homeless” and “of no fixed abode”. While the first category - targeted by the scheme - involves people sleeping in a place not intended for habitation, the second category concerns individuals who have already found some type of stable accommodation (either in an emergency or social reintegration centre) and can a priori directly enter the mainstream labour market. However, an analysis of discussions between organisations and recruitment practices for the system leads us to question this differentiation between rough sleepers, who are more vulnerable, and those in social housing, who are more stable in their lives.
    • La santé des personnes sans chez-soi, une question politique - Pascale Estecahandy, Julien Levy p. 247-258 accès réservé
  • Notes de lecture critique

  • Appel à contribution pluridisciplinaire sur : « Sans-abri : expériences et politiques. Pour le premier numéro de 2023 de la RFAS : Le dossier sera coordonné par Mauricio Aranda (CRESPPA-LabTop), Gwen Le Goff (Triangle) et Julien Lévy (Pacte) - p. 287-301 accès réservé
  • Autres thèmes

    • Pratiquer une activité de plateforme en période de chômage : une stratégie à court terme - Marine Snape p. 305-321 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Le travail de plateforme est fréquemment associé au statut de microentrepreneur, ce qui conduit à souligner des lacunes importantes en matière de revenus de remplacement. Dans le même temps, les enquêtes sur les plateformes d'emploi donnent à voir une diversité de profils et de formes de cumul. Si le travail de plateforme est régulièrement adossé à un emploi salarié, notre enquête sur les plateformes de jobbing donne également à voir un adossement aux revenus de remplacement ou d'assistance. Cet article se propose de revenir spécifiquement sur cette population de chômeurs exerçant une activité de plateforme sous le statut de microentrepreneur. La pratique d'une activité réduite pour des individus au chômage permet d'éclairer les « formes particulières de chômage » à l'heure du capitalisme de plateforme. Après être revenu sur l'engagement dans une activité de jobbing, pour un chômeur indemnisé ou bénéficiant du RSA, l'article envisage la difficulté d'une projection à moyen terme, due à la fin des dispositifs les plus généreux, et pose alors la question de la sécurisation de leur parcours à long terme.
      Platform work is frequently associated with the status of micro-entrepreneur, leading to major gaps in terms of replacement income. At the same time, surveys on employment platforms show a diversity of profiles and ways of running multiple activities concurrently. While platform work is regularly linked to salaried employment, our survey of jobbing platforms also shows a link to replacement or assistance income. This article proposes to look specifically at this population of unemployed people carrying out a platform activity under the status of microentrepreneur. The practice of reduced activity for unemployed individuals sheds light on “particular forms of unemployment” in the era of platform capitalism. After returning to the question of how an unemployed person who is receiving tax credits or benefits can engage in a jobbing activity, the article considers the difficulty of medium-term projection, due to the end of the most generous schemes, and then raises the question of securing their long-term career path.
    • Le trafic de drogues en prison comme enjeu de santé publique - Caroline Protais, Marie Jauffret-Roustide p. 323-342 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article présente les principaux résultats d'une enquête réalisée par l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) en partenariat avec le CERMES 3 et le CEMS2 sur les échanges de drogues en prison. Après avoir décrit les différentes modalités d'échanges de substances et démontré l'existence de réseaux de trafics organisés en détention, trois différents risques sanitaires seront exposés. Certains concernent les détenus (surexposition aux produits, risques sociaux-sanitaires liés à l'instrumentalisation de certains prisonniers dans le trafic), d'autres, les surveillants (souffrance au travail). La conclusion présente les principales pistes pour prévenir ces risques, soulignant l'importance des réponses de long terme, orientées vers l'accompagnement et la réinsertion des détenus.
      This article describes the main findings of a study on drug trafficking in prison, conducted by the French Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction (OFDT) in collaboration with two research centres the CERMES 3 and the CEMS. The article describes the different ways in which substances are exchanged and demonstrating the existence of organised trafficking networks in detention settings. Three different health risks are presented. Some of them concern prisoners (overexposure to substances, social and health risks linked to the use of certain prisoners in trafficking), others concern prison officers (suffering at work). The conclusion sets out the main ways of preventing these risks, emphasising the importance of longterm responses, geared towards supporting and reintegrating prisoners.