Contenu du sommaire : Engagements musulmans et luttes de l'immigration

Revue Sociétés contemporaines Mir@bel
Numéro no 127, 2022/3
Titre du numéro Engagements musulmans et luttes de l'immigration
Texte intégral en ligne Accès réservé
  • Engagements musulmans et luttes de l'immigration

    • Quelle place pour l'islam dans les luttes de l'immigration ? - Margot Dazey, Mathilde Zederman p. 5-30 accès réservé
    • Un référent islamique illégitime. La disqualification des jeunes musulmans au sein de l'espace associatif des héritiers de l'immigration - Foued Nasri p. 31-61 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article propose une sociogenèse des registres de disqualification des associations musulmanes au sein de l'espace associatif « jeune immigré » de l'agglomération lyonnaise durant les années 1990. Il s'appuie sur une enquête par entretiens, le dépouillement d'archives publiques et privées, et l'analyse de la presse associative, locale et nationale. Dans la continuité d'une approche en termes d'espace des mouvements sociaux, l'article situe la disqualification des engagements musulmans au sein des concurrences qui régissent l'espace associatif des héritiers de l'immigration entre les pôles « jeune immigré » et « jeune musulman », incarnés respectivement par les Jeunes Arabes de Lyon et banlieue (JALB) et l'Union des jeunes musulmans (UJM). Il décrit d'abord les usages des référents « arabe » et « musulman » en comparant les trajectoires biographiques et les carrières militantes des membres des JALB et de l'UJM et revient sur la réception contrastée de ces référents par le secteur pro-immigré et les institutions locales. Il explore ensuite les discours critiques vis-à-vis des usages militants du référentiel islamique et montre la façon dont les JALB se font progressivement les relais d'un discours discréditant à l'égard des acteurs musulmans, dans un contexte d'exacerbation des concurrences associatives et de paniques morales autour de l'islam. Ce faisant, il met en lumière la façon dont la disqualification des engagements musulmans se déploie comme un processus relationnel, évolutif et multisitué.
      This article traces the socio-genesis of the disqualification regimes of Muslim organizations within the associative landscape of ‟young immigrants” in the Lyon conurbation during the 1990s. It draws from interview material, public and private archives, and the analysis of the local, national and associative press. Following an approach in terms of ‟social movements space”, this article highlights how the disqualification of Muslim actors is embedded into competing relationships between the ‟young immigrant” and the ‟young Muslim” poles, embodied respectively by Jeunes Arabes de Lyon et banlieue (JALB) and the Union des jeunes musulmans (UJM). The article first describes the uses of the ‟Arab” and ‟Muslim” identifiers by comparing the trajectories and activist careers of JALB and UJM members. It analyses how the ‟Arab” and ‟Muslim” identifiers are received by the pro-immigrant associative sector and by local institutions. It then describes how JALB criticize the political use of an Islamic frame of reference and shows how activists progressively endorse a disqualifying discourse against Muslim actors, against a backdrop of heightening associative competition and moral panics surrounding Islam. All in all, the article unpacks the ways in which the disqualification of Islamic associations operates as a relational, evolving and multi-situated process.
    • Lutter contre l'islamophobie ? Diversités tactiques, encadrement institutionnel et démobilisation du militantisme musulman à l'échelle locale - Julien Talpin p. 63-93 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Comprendre la relative rareté des mobilisations contre l'islamophobie requiert d'aller au-delà d'une analyse d'une structure des opportunités politiques défavorable et de saisir à un niveau microsociologique le travail de mobilisation d'acteurs intermédiaires qui cherchent à convertir certains sentiments d'injustice en action collective. Cet article propose une telle investigation à partir d'une enquête localisée dans la ville de Roubaix et le suivi ethnographique de deux acteurs collectifs centraux : les lieux de culte et les associations qui luttent contre la stigmatisation des musulmans. Pour des raisons opposées – la reconnaissance institutionnelle dans un cas, la disqualification dans l'autre – ces acteurs ne parviennent pas ou plus à se constituer en opérateurs efficaces de mobilisation contre l'islamophobie. Alors que les mosquées roubaisiennes se sont fédérées en réaction à une controverse jugée islamophobe, elles ont noué des relations harmonieuses avec les pouvoirs publics – de droite comme de gauche – permettant la construction de plusieurs édifices d'ampleur et une reconnaissance de leur place dans la ville, mais les éloignant de toute logique contestataire. Les associations plus militantes en revanche, si elles ont un temps bénéficié de financements publics, ont vite été attaquées pour leur « communautarisme » supposé, les controverses successives contribuant à leur marginalisation. Les trajectoires de ces collectifs permettent de comprendre la démobilisation constatée sur le terrain en dépit d'une politisation diffuse liée à la stigmatisation croissante des musulmans.
      Analyzing the relative scarcity of protest actions against Islamophobia requires going beyond the identification of an unfavorable political opportunity structure and grasping, from a micro-sociological perspective, the mobilization work performed by intermediary actors who seek to convert certain feelings of injustice into collective action. This article proposes such an investigation based on a localized survey in the city of Roubaix and the ethnographic follow-up of two central collective actors : places of worship and associations that fight against the stigmatization of Muslims. For opposite reasons†institutional recognition in one case, disqualification in the other†these actors do not or no longer succeed in constituting themselves as effective operators of mobilization against Islamophobia. While the mosques in Roubaix were federated in reaction to a controversy deemed Islamophobic, they have established harmonious relations with the public authorities†both right and left-wing†allowing the construction of several important buildings and a recognition of their place in the city, but distancing themselves from any contentious dynamics. On the other hand, the more militant associations, although they benefited for a time from public funding, were soon attacked for their supposed “communitarianism,” with successive controversies contributing to their marginalization. These collective trajectories allow to understand the demobilization observed in the field despite a diffuse politicization linked to the stigmatization of Muslims.
    • Politisation du voile et mobilisation des accompagnatrices scolaires contre la circulaire Chatel : Le cas du collectif Sorties scolaires : avec nous ! - Samir Hadj Belgacem, Hanane Karimi p. 95-119 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article s'intéresse aux conditions d'émergence et de déploiement d'une mobilisation collective de mères portant le foulard contre la circulaire Chatel qui interdit le port de signes religieux aux parents accompagnateurs lors de sorties scolaires. L'étude du collectif Sorties scolaires : avec nous ! (2012-2015) permet d'observer la construction d'une cause dans un cadre fortement contraint où le foulard des accompagnatrices scolaires est désigné comme une atteinte à la laïcité. Les mères accompagnatrices se mobilisent contre leur exclusion par une campagne d'interpellation des autorités scolaires et politiques au plan local et national et par une demande d'égalité de traitement et de citoyenneté. Ce cadrage tend à contourner la mise en cause de visibilité religieuse musulmane (hijab) par la circulaire Chatel qui devient l'objet d'un dissensus dans la lutte contre l'islamophobie.
      This article focuses on the conditions of emergence and deployment of a movement by mothers wearing the headscarf for the repeal of the Chatel circular which forbids parents wearing religious signs to accompany school trips. The case study of the collective Sorties scolaires : avec nous ! [School trips: with us!] (2012-2015) allows us to trace the construction of a cause in a strongly constrained environment in which the veil of accompanying mothers is perceived as a violation of laïcité principles. Accompanying mothers mobilize against their exclusion by campaigning to school and political authorities at the local and national level and demanding equal treatment and citizen rights. This framing tends to avoid the questioning of Muslim religious visibility (hijab) by the Chatel circular, which is becoming the object of a dissensus in the fight against Islamophobia.
    • Reconfigurations militantes et processus de dépolitisation au sein des ONG humanitaires islamiques françaises - Lucas Faure p. 121-146 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article propose une sociologie politique des responsables d'organisations humanitaires islamiques, en se focalisant sur les processus de dépolitisation affectant leurs engagements religieux. L'analyse s'appuie principalement sur des données ethnographiques récoltées en tant que bénévole au sein de plusieurs ONG françaises de 2017 à 2021. L'hypothèse est que l'engagement humanitaire suit des dynamiques différenciées de dépolitisation selon la génération militante : tandis que les fondateurs du Secours islamique France optent pour une relégation du religieux dans la sphère privée, les nouveaux acteurs de l'humanitaire musulman mettent en avant une technicisation de leurs compétences militantes. Si les responsables des structures étudiées partagent certaines caractéristiques sociales facilitant leur entrée en humanitaire, leurs engagements se font à des moments différents de leur carrière militante. Surtout, ces deux modalités de dépolitisation se comprennent de manière relationnelle, les circulations entre associations renforçant l'apprentissage itératif des contraintes politiques.
      This article proposes a political sociology of Islamic humanitarian leaders, through the study of their depoliticization processes. The analysis is mainly based on ethnographic data collected by the author as a volunteer within many French NGOs from 2017 to 2021. The hypothesis defended here is that humanitarian commitment follows different strategies depending on the different generations of Muslim NGOs leaders: while the founders of Secours islamique France opted for a compartmentalisation with a relegation of religion to the private sphere, the new activists of the Muslim associations foreground a technicalisation of militant skills. Although the leaders of the organisations studied share common social characteristics which explain their respective entries into humanitarian work, their commitments come at different times in their militant careers. Above all, these two forms of depoliticization must be understood in a relational manner, since movements between associations reinforce a process of cumulative learning of political constraints.
    • De l'islam comme marqueur de classe à sa construction partisane comme problème social : Le Parti socialiste face aux mouvements de l'immigration (1983-2008) - Vincent Geisser p. 147-176 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Les relations entre le Parti socialiste et les acteurs des luttes de l'immigration ont souvent été traitées par la littérature militante et sociologique sous l'angle du conflit ou de l'instrumentalisation. Si ces écrits ont permis de déconstruire la vision mythique du rôle du PS dans le passage au politique des descendants de l'immigration postcoloniale, ils se caractérisent généralement par des approches en surplomb, négligeant la richesse des débats et des controverses internes, la diversité des échelles partisanes (locale, fédérale et nationale), les formes de multiengagement et les nombreuses circulations militantes qui expliquent comment les acteurs du Parti socialiste sont passés progressivement d'une lecture classiste et tiers-mondiste des mouvements immigrés à un décryptage de type culturaliste. En privilégiant un regard réflexif sur les résultats de nos enquêtes sociologiques réalisées durant les années 1990-2000, enrichis par de nouvelles sources tirées du dépouillement systématique de la presse partisane, l'objectif de cet article est d'éclairer les facteurs, les circonstances et les événements qui ont contribué à ce « glissement » d'une lecture sociale des luttes de l'immigration à une représentation identitaire focalisée sur le couple « islam-laïcité ».
      The relationship between the French Socialist Party (PS) and immigration activists have often been treated by the political and sociological literature through the lens of conflict or instrumentalization. While these pieces of research allow to debunk the mythicized role of the PS in the political socialization of the descendants of postcolonial immigration, they are generally characterized by macro-sociological approaches. They neglect the richness of debates and internal controversies, the diversity of partisan scales (local, federal and national), the forms of multi-engagement and the numerous activist circulations, which explain how the activists and leaders of the Socialist Party progressively evolved from a classist and third-worldist interpretation of immigrant movements to a culturalist approach. Building upon a critical appraisal of past fieldworks carried out in the years 1990-2000, enriched by new sources drawn from the content analysis of the Socialist Party press, this paper aims to shed light on the factors, circumstances and events, which have all contributed to this “shift” from a social interpretation of the struggles of immigration to a culturalist understanding focused on the “Islam-Laïcité” tension.
  • En lutte