Contenu du sommaire : La haine en ligne

Revue Réseaux (communication - technologie - société) Mir@bel
Numéro no 241, octobre-novembre 2023
Titre du numéro La haine en ligne
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  • Présentation

    • Quelle place pour les réseaux sociaux numériques dans la production et la circulation des discours de haine ? - Julien Longhi, Samuel Vernet p. 11-35 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les réseaux sociaux sont souvent associés à la propagation de discours de haine, suscitant des inquiétudes, voire des polémiques. Plusieurs législations nationales cherchent à encadrer ces plateformes et à responsabiliser les entreprises pour la modération des contenus. À l'échelle européenne, la prise en compte, voire la régulation, des discours de haine, est devenue un enjeu incontournable. Cependant, la définition même du « discours de haine » est complexe, contextuelle, ce qui rend son repérage, et à fortiori sa régulation, difficile. Dans ce numéro, des chercheurs des sciences humaines et sociales s'efforcent de mieux comprendre cette notion, notamment dans le contexte numérique. À travers une diversité d'approches, et selon une perspective interdisciplinaire, ce numéro ambitionne d'apporter des clés de compréhension et d'analyse à ce sujet complexe et en constante évolution.
      Social media are often associated with the propagation of hate speech, giving rise to concern and even controversy. Several national laws have been passed to regulate these platforms and to make the companies concerned responsible for moderating content. At European level, the consideration and even regulation of hate speech has become a key issue. However, the very definition of ‘hate speech' is complex and contextual, making it difficult to identify and therefore to regulate. In this issue, social science researchers seek to further the understanding of this concept, particularly in the digital context. Through a variety of approaches and from an interdisciplinary perspective, this issue aims to provide keys to understanding and analysing this complex and constantly evolving subject.
  • Dossier

    • La fabrique discursive de la haine : Affects, agitation fasciste et « politique du ressentiment » - Olivier Voirol, Émilie Martini p. 39-77 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Face à la prolifération des discours de haine en ligne, la réponse la plus courante est celle de la modération des contenus, de la régulation de la parole et de l'élaboration de protocoles numériques visant à repérer et exclure de façon automatisée les énoncés haineux. Le présent texte propose de remonter en amont de ce processus en examinant la manière dont les discours de haine transfigurent des affects réels en leur impulsant une trajectoire spécifique par la fabrication d'un objet de haine. Sur la base d'un corpus de discours d'« agitateurs de la toile » officiant sur Youtube, l'analyse montre que ces discours procèdent à une excitation des affects, un détournement de ces derniers et un évitement du monde objectif. La disparition du monde, doublée de la haine de cibles précises, caractérise cette trajectoire de la haine propre à une « politique du ressentiment » aux antipodes de l'agir démocratique. Le propre de ce dernier est, en effet, de transfigurer les affects en objets discursifs constituant la base d'un monde troublé appelé à devenir l'objet de délibérations au sein de l'espace public. Une autre réponse à la prolifération des discours de haine est, par conséquent, de faire fructifier les conditions matérielles et sociales permettant de « prendre soin » et d'étendre l'espace public d'expérience, d'enquête et de délibération.
      The most common response to the proliferation of hate speech online is content moderation, speech regulation, and the development of digital protocols to automatically identify and exclude hateful statements. This text proposes to go back upstream of this process by examining the way in which hate speech transfigures real affects by impulsing a specific trajectory to them through the manufacture of an hatred-object. Based on a corpus of discourses of « online agitators » officiating on Youtube, the analysis shows that these discourses proceed by an excitement of affects, a diversion of the latter and an avoidance of the objective world. The disappearance of the world, coupled with the hatred of specific targets, results from this trajectory of hatred which is specific to a « politics of resentment » at the antipodes of democratic agency. The characteristic of the latter consists, in fact, in transfiguring affects into discursive objects constituting the basis of a troubled world destined to become the object of deliberations within the public sphere. Therefore, an other response to the proliferation of hate speech is, to nurture the material and social conditions that enables « taking care of » and to expand the public sphere for experience, inquiry and deliberation.
    • La violence verbale dans un forum de discussion pour les 18-25 ans : Comment les jeunes jugent-ils les messages ? - Nadia Gauducheau, Michel Marcoccia p. 79-122 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article étudie la violence verbale dans la communication numérique, de la simple impolitesse au discours de haine, en se concentrant sur les jugements des jeunes internautes. Deux approches différentes, discursive et psycho-sociale, ont été utilisées pour explorer la façon dont des jeunes perçoivent la violence verbale en ligne. Un corpus de messages d'un forum francophone, connu pour son agressivité, a été analysé. Ceci a permis d'identifier les types de messages suscitant des commentaires métapragmatiques, et les normes de communication pouvant être déduites de ces commentaires. De plus, un groupe d'étudiants a rempli un questionnaire pour évaluer un échantillon de messages du forum. Les résultats mettent en évidence l'importance des normes locales dans l'évaluation de la violence verbale, de l'impolitesse et des discours haineux contenus dans les messages. Les messages considérés comme violents d'un point de vue normatif ne sont pas forcément perçus comme tels par les jeunes. De plus, cette étude indique des différences dans la perception de la violence verbale en ligne selon le genre et la connaissance du forum.
      This article studies verbal violence in digital communication, from mere rudeness to hate speech, by examining the judgements of young Internet users. Two different approaches, discursive and psycho-social, were used to explore how young people perceive verbal violence online. A corpus of messages from a French-language forum, known for its aggressiveness, was analysed to identify the types of messages that elicit metapragmatic comments, and the communication norms that can be deduced from these comments. In addition, a group of students completed a questionnaire to evaluate a sample of forum messages. The results highlight the importance of local norms in evaluating the verbal violence, rudeness and hate speech contained in messages. Those considered violent from a normative point of view are not necessarily perceived as such by young people. In addition, this study indicates differences in the perception of online verbal violence according to gender and knowledge of the forum.
    • Des discours de haine au cœur du débat public : La contribution des médias à la circulation des polémiques de Valeurs actuelles - Alan Ouakrat p. 123-161 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Comment les principaux médias contribuent-ils à la circulation de polémiques initiées par un média d'extrême droite tel que Valeurs actuelles ? Il s'agit d'analyser la participation de médias de la PQN, de la radio, de la télévision et de comptes Twitter dans la médiatisation d'un récit-fiction à propos de la députée Danièle Obono (LFI) et de tribunes de militaires. Défaire les fils de la propagation de ces polémiques permet d'identifier comment s'étend une contestation conservatrice, les manières dont elle fait carrière dans l'espace médiatique et politique. Dans une configuration particulière du jeu médiatique et politique, l'article établit que des discours de haine peuvent se situer au cœur du débat public lorsqu'ils sont relayés par les principaux médias.
      How do the mainstream media contribute to the circulation of controversies initiated by a far-right media outlet such as Valeurs actuelles? This article analyses the involvement of the national daily press, radio, television and Twitter accounts in the media coverage of a fictional story about MP Danièle Obono (LFI) and tribunes by members of the military. Unravelling the threads of the propagation of these controversies makes it possible to identify how a conservative protest spreads and plays out in the media and the political sphere. In a particular configuration of the media and political game, the article establishes that hate speeches can be at the heart of public debate when they are relayed by mainstream media.
    • De la presse parisienne à la fachosphère : Genèse et diffusion du terme « islamo-gauchisme » dans l'espace public - Nikos Smyrnaios, Pierre Ratinaud p. 163-195 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les « discours de haine » trouvent souvent leur origine dans les sphères intellectuelles, politiques et médiatiques avant de se propager en ligne. Un exemple marquant de ce processus est l'utilisation du terme « islamo-gauchisme », qui a émergé au début des années 2000 et a gagné une attention médiatique significative en France en 2020 et 2021. Notre recherche retrace la genèse et la diffusion du terme dans les médias et dans le discours politique, avant d'en analyser l'usage sur les médias sociaux. Nous effectuons une analyse diachronique sur une longue période basée sur un protocole robuste d'analyse textométrique et de réseaux sur un corpus d'articles de presse et de tweets. Nous montrons comment une partie de la presse parisienne, notamment de droite, a contribué à populariser le terme d'abord en ouvrant ses colonnes à des idéologues réactionnaires, puis en relatant des polémiques politiciennes qui ont instrumentalisé le terme afin de disqualifier une partie de la gauche, tandis que les communautés d'extrême droite en ligne l'ont transformé en une arme de propagande haineuse.
      Hate speech often originates in the intellectual, political and media spheres before spreading online. A striking example of this process is the use of the term ‘Islamo-leftism' which emerged in the early 2000s and gained significant media attention in France in 2020 and 2021. This article looks at the genesis and diffusion of the term in the media and in political discourse, before analysing its use on social media. Our diachronic analysis over a long period is based on a robust textometric and network analysis protocol applied to a corpus of press articles and tweets. We show how part of the Parisian press, particularly on the right, helped to popularize the term, first by opening its columns to reactionary ideologists, then by reporting political controversies in which the term was used to disqualify part of the left. At the same time, online far-right communities turned it into a weapon of hate propaganda.
    • L'opérationnalisation des discours de haine à l'échelle de la communauté : Un plan de lutte contre les discours de haine - Chris Demaske p. 197-235 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Récemment, le flot de publications se penchant sur la question des discours de haine a semblé intarissable. En s'appuyant sur toute une diversité de méthodes, les scientifiques qui signent ces publications s'emploient à identifier précisément les préjudices qu'occasionnent ces discours, à évaluer les réponses juridiques actuelles, à appeler à la mise en place de mesures restrictives visant différents niveaux ou types de discours de haine ou inversement, à plaider pour la protection de la liberté d'expression. La plupart de ces textes prennent fermement position, beaucoup d'entre eux proposent des solutions juridiques, et tous soulignent les diverses difficultés que présente cette controverse contemporaine si volatile autour de la liberté d'expression. Cet article se propose de jalonner un parcours de résolution pour les communautés aux prises avec le problème des discours de haine. Plutôt que de proposer une solution unique, il recommande un processus individualisé et personnalisable permettant aux législateurs d'élaborer des réglementations encadrant efficacement les discours de haine et permettant de s'attaquer au problème tout en maintenant ses engagements en faveur de la liberté d'expression.
      There has recently been a seemingly endless stream of research articles and books on the issue of hate speech. The authors of these publications have used various methods to identify the specific harms of hate speech, assess current legal responses, call for the restriction of various levels or types of hateful speech or, on the contrary, make pleas for the protection of free speech. Most of the published material takes a firm stand, many propose legal solutions, and all of them call attention to the various difficulties associated with remedying this highly volatile contemporary free speech issue. This article develops a path forward for communities struggling with the problem of hate speech. Instead of offering a one-size-fits-all solution, it recommends an individualized and customizable process through which lawmakers can develop effective hate speech regulation that addresses the problem while maintaining a commitment to freedom of speech.
  • Varia

    • Technicisation des registres de vote et participation matérielle au Cameroun - Georges Macaire Eyenga p. 239-273 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les réflexions sur la biométrie électorale en Afrique ont eu sur cette technologie un regard critique soulignant les logiques de son adoption à l'échelle du continent et les limites de sa mise en œuvre dans les processus électoraux. Le présent texte poursuit cette histoire des techniques, mais en décentrant la focale d'analyse sur la technicisation et la participation matérielle dont cette technologie est porteuse. À partir d'une étude menée à Yaoundé auprès d'Elections Cameroon, le texte analyse la manière dont la biométrie utilisée pour la constitution d'un registre de vote sécurisé et fiable, a été investie comme un mode d'engagement sur la question démocratique. Ce faisant, il s'inscrit au sein du « tournant matériel » pour saisir les qualités politiques de la biométrie, sa construction sociale et son rôle en tant que participant notable à l'utopie démocratique. L'analyse s'ancre dans les travaux de Noortje Marres sur les modalités contemporaines de la participation qui, au-delà d'informer les citoyens des problèmes publics, s'oriente de plus en plus vers une transformation des pratiques matérielles de la vie quotidienne. Il ressort de cette étude que, loin d'être une condition préalable de la démocratie, la biométrie électorale est perçue par certains acteurs comme une « technologie d'engagement » dont l'agence lui permet de s'assembler aux autres technologies de participation pour rendre agile les opérations d'enregistrement des électeurs et résoudre certaines controverses liées à l'organisation d'élections libres et transparentes.
      Studies on electoral biometrics in Africa have critically examined this technology, highlighting the dynamics underlying its adoption across the continent and the limits of its implementation in electoral processes. The present article continues this history of techniques but shifts the analytical focus to the technicization and material participation associated with this technology. Based on a study conducted in Yaoundé with Elections Cameroon, it analyses the way in which biometrics, used to create a secure and reliable electoral roll, has served as a means of engaging with the question of democracy. In so doing, this article contributes to the ‘materiality turn', endeavouring to grasp the political qualities of biometrics, its social construction, and its role as a significant participant in the democratic utopia. The analysis is rooted in the work of Noortje Marres on contemporary forms of participation, which, in addition to informing citizens about public issues, is increasingly geared towards transforming the material practices of everyday life. This study shows that, far from being a prerequisite for democracy, electoral biometrics is perceived by some as a ‘technology of engagement', the agency of which enables it to articulate with other participation technologies to make voter registration operations agile, and to resolve certain controversies surrounding the organization of free and transparent elections.
    • Quantifier le corps menstrué : Étude des usages des applications de suivi du cycle - Cécile Thomé p. 275-314 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les applications de suivi du cycle menstruel font partie des dispositifs de quantification de soi les plus utilisés aujourd'hui en France. En s'appuyant sur une revue de la littérature internationale et sur 21 entretiens avec des jeunes femmes, cet article vise à renseigner leur genèse ainsi que leurs usages contemporains. Après un retour socio­historique permettant de situer ces applications à la fois dans la filiation des « méthodes naturelles » de contraception et de l'émergence de la « FemTech », il interroge le choix d'une application, les degrés d'intensité de son utilisation et les effets qu'elle peut avoir pour l'utilisatrice. L'article met en évidence l'importance paradoxalement secondaire de la fiabilité de l'application ainsi que de la sécurité des données. Il distingue deux types d'utilisation, restreinte et élargie, que l'âge et la position sociale contribuent à expliquer. Il renseigne l'émergence d'une « conscience menstruelle » à trois niveaux (description, interprétation, légitimation) chez les utilisatrices les plus assidues. À partir d'un objet relevant de la santé sexuelle et reproductive, il propose ainsi une contribution à la sociologie de la quantification et à celle des techniques.
      Menstrual cycle tracking applications are currently among the most widely used devices in France for quantifying the self. Based on a review of the international literature and 21 interviews with young women, this article aims to shed light on the origins and contemporary uses of these applications. Drawing on a socio-historical review that situates them both in the tradition of fertility awareness methods and the emergence of ‘FemTech', it examines the choice of application, the intensity of its use, and the effects it may have on the user. The article highlights the paradoxically secondary importance of application reliability and data security. It distinguishes between two types of use, restricted and extended, which age and social position help to explain, and it reveals the emergence of a ‘menstrual consciousness' on three levels (description, interpretation, legitimization) among the most frequent users. Based on a subject related to sexual and reproductive health, the article thus offers a contribution to the sociology of quantification and that of techniques.
  • Notes de lecture