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Titre L'enfant à naître et l'« héritier sien » : Sujet de pouvoir et sujet de vie en droit romain
Auteur Yan Thomas
Mir@bel Revue Annales. Histoire, Sciences Sociales
Numéro vol. 62, no 1, janvier 2007 numéro spécial : Formes de la généralisation
Rubrique / Thématique
Formes de la généralisation
Page 29-68
Résumé La jurisprudence romaine des droits de l'enfant à naître ne s'appuyait pas sur des considérations d'ordre génétique, ni sur telle ou telle conception de la vie embryonnaire. Les juristes anciens ne s'interrogeaient pas sur le substrat physique de l'existence humaine, ni sur les seuils de son développement, à la manière des physiciens et des médecins, ou plus tard des théologiens. Pour penser l'enfant à naître comme sujet de droit, ils avaient à se poser de tout autres questions. Bien des conclusions générales peuvent en être tirées, à condition d'en saisir les contours. Le problème était soulevé exclusivement à propos de la vocation successorale des enfants nés après la mort de leur père. Plus précisément, la discussion se nouait autour de la figure civile de l'« héritier sien », qui succédait à son ascendant mâle à condition d'avoir été assujetti à sa puissance au moment même où il mourait (potestas morientis). Conférer les droits d'un « héritier sien » à un posthume, cela contraignait dès lors à prolonger l'existence juridique du mort jusqu'à la naissance de l'enfant. Par cet ajustement, le droit suppléait aux interruptions et aux vacances du pouvoir, assurant la continuité des relais de la puissance. L'examen d'un cas-limite invite ainsi à soulever un coin du voile et à découvrir, bien au-delà des mécanismes de la filiation et du droit successoral, une véritable architecture juridique de la vie. La succession aux biens n'opérait pas en raison d'une transmission génétique, mais par la grâce d'un pouvoir qui doublait la vie et lui était d'une certaine manière substitué. C'est la raison pour laquelle le droit civil romain eut aussi à découper, dans un temps généalogique commun aux vivants et aux morts, des segments de durée propres à un pouvoir qui ne lie que des vivants contemporains les uns des autres ? quitte à prolonger dans certains cas l'existence fictive des morts. Tel est précisément l'enjeu du droit des posthumes, dont les opérations intéressent les conditions élémentaires du pouvoir, plutôt que les données génétiques et physiques de la vie.
Source : Éditeur (via Cairn.info)
Article en ligne http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=ANNA_621_0029