Contenu du sommaire : numéro spécial : Formes de la généralisation

Revue Annales. Histoire, Sciences Sociales Mir@bel
Numéro vol. 62, no 1, janvier 2007
Titre du numéro numéro spécial : Formes de la généralisation
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Formes de la généralisation

    • Éditorial - p. 5-7 accès libre
    • La généralisation dans les sciences historiques : Obstacle épistémologique ou ambition légitime ? - Jean-Louis Fabiani p. 9-28 accès libre avec résumé
      Les sciences historiques sont caractérisées par l'irréductible pluralité des modes de construction de leurs objets et de leur capacité de produire des assertions à caractère général. Après avoir rendu compte des critiques durkheimienne et weberienne des formes ordinaires de généralisation, on s'efforce d'analyser la mise en question des paradigmes macrologiques qui a marqué les sciences sociales dans le dernier quart du XXe siècle, et qui a principalement pris la forme d'un retour aux localités. L'autolimitation au niveau micrologique enveloppe néanmoins de redoutables contraintes. On peut démontrer que le niveau de généralité auquel les sociologues se situent dépend avant tout du mode de génération des données. En outre, le développement des sciences historiques dans le contexte universitaire du XXe siècle a rendu plus difficile l'émergence d'assertions très générales ayant pour objet la totalité de l'histoire humaine. Si quelque chose comme un programme épistémologique peut être proposé, c'est autour de l'analyse des modes de construction de nos opérations typifiantes, stylisantes et comparatives qu'il doit porter. La question de la généralisation est indissociable de la mise en visibilité de régularités et de la possibilité de les manipuler à partir de l'établissement de procédures stabilisées de traitement des données. L'histoire intellectuelle et politique de la généralisation dans les sciences sociales renvoie donc pour une bonne part à celle du développement des instruments qui ont permis de constituer des données comme des objets. Le retour réflexif sur la genèse politico-épistémique de cet instrumentarium est donc une étape indispensable sur le chemin de la réévaluation des potentialités de la généralisation dans nos savoirs, lesquels ne sont jamais entièrement détachables de leur moment de production et des objectifs politiques qu'ils affichent. L'histoire particulière du développement de nos savoirs nous enseigne que l'on n'a rien à perdre à l'instabilité paradigmatique, puisque celle-ci est inséparable de leur régime propre de production.
    • L'enfant à naître et l'« héritier sien » : Sujet de pouvoir et sujet de vie en droit romain - Yan Thomas p. 29-68 accès libre avec résumé
      La jurisprudence romaine des droits de l'enfant à naître ne s'appuyait pas sur des considérations d'ordre génétique, ni sur telle ou telle conception de la vie embryonnaire. Les juristes anciens ne s'interrogeaient pas sur le substrat physique de l'existence humaine, ni sur les seuils de son développement, à la manière des physiciens et des médecins, ou plus tard des théologiens. Pour penser l'enfant à naître comme sujet de droit, ils avaient à se poser de tout autres questions. Bien des conclusions générales peuvent en être tirées, à condition d'en saisir les contours. Le problème était soulevé exclusivement à propos de la vocation successorale des enfants nés après la mort de leur père. Plus précisément, la discussion se nouait autour de la figure civile de l'« héritier sien », qui succédait à son ascendant mâle à condition d'avoir été assujetti à sa puissance au moment même où il mourait (potestas morientis). Conférer les droits d'un « héritier sien » à un posthume, cela contraignait dès lors à prolonger l'existence juridique du mort jusqu'à la naissance de l'enfant. Par cet ajustement, le droit suppléait aux interruptions et aux vacances du pouvoir, assurant la continuité des relais de la puissance. L'examen d'un cas-limite invite ainsi à soulever un coin du voile et à découvrir, bien au-delà des mécanismes de la filiation et du droit successoral, une véritable architecture juridique de la vie. La succession aux biens n'opérait pas en raison d'une transmission génétique, mais par la grâce d'un pouvoir qui doublait la vie et lui était d'une certaine manière substitué. C'est la raison pour laquelle le droit civil romain eut aussi à découper, dans un temps généalogique commun aux vivants et aux morts, des segments de durée propres à un pouvoir qui ne lie que des vivants contemporains les uns des autres ? quitte à prolonger dans certains cas l'existence fictive des morts. Tel est précisément l'enjeu du droit des posthumes, dont les opérations intéressent les conditions élémentaires du pouvoir, plutôt que les données génétiques et physiques de la vie.
    • Théologies marranes : Une configuration millénariste - Nathan Wachtel p. 69-100 accès libre avec résumé
      « Théologie marrane » : la notion qu'emploie Richard H. Popkin pour qualifier la pensée religieuse d'Isaac La Peyrère (1596-1676) est-elle généralisante à d'autres auteurs ou personnages (qu'ils soient d'origine nouvelle-chrétienne ou non) ? L'on se propose de tenter une expérimentation : examiner deux cas éloignés dans l'espace et dans le temps, ceux du Père Francisco de la Cruz (vers 1530-1579) au Pérou, et de Pedro de Rates Henequim (1680-1744) au Brésil. Outre leurs destins tragiques, ces deux auteurs ont pour autre point commun que leurs pensées religieuses respectives s'orientent essentiellement vers (et depuis) le continent américain, où doivent advenir le Cinquième Empire et la Rédemption de l'humanité. Dans la confusion des innombrables spéculations que comportent tant de croyances messianiques et millénaristes, peut-on mettre au jour des configurations régies par quelque logique ? Au terme de l'analyse, il apparaît que, dans un champ limité, un certain nombre de thèmes s'articulent les uns aux autres selon des transformations de type structural, s'inscrivant comme autant de variantes à l'intérieur d'un même thème.
    • « Faire communauté » : Confréries et localité dans une vallée du Piémont ( XVIIe - XVIIIe siècle) - Angelo Torre p. 101-135 accès libre avec résumé
      L'article aborde l'étude des procédures de généralisation à partir des conditions de production de sources dans la société d'Ancien Régime. L'imbrication des juridictions et une culture juridique de la possession donnent lieu à des transcriptions visant à la légitimation des pratiques des acteurs sociaux. Cette approche conduit à proposer une nouvelle interprétation de la confrérie du Saint-Esprit, une association à base territoriale et segmentaire qui gaspillait ses modestes revenus en nature en banquets traditionnels de la Pentecôte. Si on lit ces associations à l'échelle topographique et si on les met en relation avec la morphologie polycentrique et fragmentaire des villages, on s'aperçoit que ce type de confrérie était utilisé par des populations alpines du Piémont du XVIIIe siècle pour la « production de lieux ». À travers les pratiques de la charité et le langage du droit commun, les confréries du Saint-Esprit institutionnalisaient les relations entre proches et contrôlaient les relations sociales dans une région caractérisée par la migration saisonnière. Pour ses membres, la confrérie constituait le moyen de généraliser la singularité d'une organisation institutionnelle et sociale.
    • Représentation, généralisation, comparaison Sur le système de parenté européen - Gérard Delille p. 137-157 accès libre avec résumé
      Toute société produit ses généralisations au travers desquelles elle tend à se décrire et à se représenter. À partir d'un objet d'étude, celui de la parenté et de l'alliance en Europe occidentale, l'article met en évidence les écarts parfois considérables qui peuvent s'établir entre de telles généralisations et les pratiques réelles; il souligne les difficultés d'ordre méthodologique, d'interprétation, de comparaison avec d'autres sociétés qui en découlent. Le système européen est-il simplement et toujours cognatique, associe-t-il strictement filiation et dévolution des biens, ne présente-t-il, au niveau des alliances, aucune règle, aucune préférence organisatrice, aucun échange direct des femmes et aucun bouclage dans la parenté ? Les réponses à de telles questions ne peuvent être apportées qu'en prenant en compte toute la complexité du fonctionnement réel de ce système.
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