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Titre Régimes génocidaires et compartimentation de la société
Auteur Abram De Swaan, Françoise Wirth
Mir@bel Revue Actes de la recherche en sciences sociales
Numéro no 201-202, mars 2014 Raisons d'État
Rubrique / Thématique
Actions d'État
Page 26-43
Résumé À mesure que les États ont émergé et donné naissance à un système interétatique en monopolisant les moyens de la violence légitime sur leurs territoires respectifs, ils ont accumulé les ressources leur permettant de livrer des guerres toujours plus destructrices à l'encontre d'autres États. Ce phénomène ne concernait toutefois que des confrontations entre des parties en présence relativement symétriques, fort différents des épisodes de violence de masse extrêmement asymétriques au cours desquels des hommes organisés et armés s'en prennent à des populations non organisées et désarmées, donnant ainsi lieu à des situations d'extermination de masse. Ces épisodes d'extermination massive sont la résultante d'un processus de compartimentation qui se vérifie à tous les niveaux de la vie sociale : au niveau macro-sociologique des transformations sociales et culturelles ; au niveau méso-sociologique des politiques du régime en place ; au niveau micro-sociologique d'une « dé-identification » et d'un ostracisme croissants et quotidiens à l'encontre du groupe-cible ; et enfin, au niveau « psychologique » de l'internalisation du rejet du groupe-cible. Ce processus de compartimentation ne suit pas la même séquence dans tous les épisodes d'extermination de masse, mais on retrouve dans chaque cas de nombreux éléments, voire la plupart d'entre eux. On peut ainsi distinguer quatre types d'extermination massive. Premièrement, la « furie conquérante » : lorsqu'une armée victorieuse déferle sur une nation vaincue et se livre à des meurtres de masse afin de punir et de terroriser la population. Deuxièmement, un régime en place peut recourir à un « régime de terreur » afin d'intimider sa propre population. Troisièmement, un régime sur le point d'être vaincu par une armée étrangère peut encore recourir à l'extermination de masse contre un groupe-cible dépourvu de défenses, dans une configuration de « triomphe du perdant ». Et enfin, une vague apparemment spontanée de pogroms locaux, déclenchée et synchronisée par un événement majeur, ce qu'on appellera un « mega-pogrom ».
Source : Éditeur (via Cairn.info)
Résumé anglais Genocidal regimes and the compartimentalization of society
As states emerged in a system of states, monopolizing the means of violence within their respective territories, they accumulated the resources to wage ever more destructive wars against other states. But these were confrontations between relatively symmetric parties. This contrasts with the extremely asymmetric episodes of mass violence by organized and armed men against unorganized and unarmed people that constitute instances of mass annihilation. Leading up to such episodes of mass annihilation is a process of compartimentalization at all levels of social life : at the macrosociological level of societal and cultural transformation ; at the mesosociological level of the ruling regime's policies ; at the microsociological level of increasing everyday “disidentification” and avoidance of the targeted group ; and, finally, at the “psychosociological” level, of internalization of the predominant rejection of the targeted group. This compartmentalizing process does not occur in the same sequence in all episodes of mass annihilation, but many or most elements may be found in every instance. In fact, four kinds of mass annihilation may be distinguished. First, “conquerors' frenzy” : when a victorious army overruns a defeated foreign nation and loses itself in mass killings to punish and terrorize the population. Second, an established regime resorts to a “regime of terror” in order to intimidate its own population. Third, a regime that is about to be defeated by a foreign army nevertheless resorts to mass annihilation of a defenseless target group : a “losers' triumph”. And, finally, a wave of apparently spontaneous local pogroms, unleashed and synchronized by a major event :a “mega-pogrom”.
Source : Éditeur (via Cairn.info)
Article en ligne http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=ARSS_201_0026