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Titre Distinctions charnelles : Obésité, corps de classe et violence symbolique
Auteur Dieter Vandebroeck, Françoise Wirth
Mir@bel Revue Actes de la recherche en sciences sociales
Numéro no 208, juin 2015 Le poids des corps
Page 14-39
Résumé Le discours alarmiste qui entoure l'augmentation marquée du poids corporel moyen que l'on observe dans la majorité des sociétés « post-industrielles » et que concentre la notion d'une « épidémie d'obésité » masque trop aisément le fait que les chances d'être catégorisé comme personne « obèse » sont loin d'être aléatoirement distribuées dans l'espace social. Les études épidémiologiques montrent en effet que l'obésité affecte de façon disproportionnée ceux qui occupent les positions sociales les plus précaires. Dans la mesure où la perspective épidémiologique dominante sur l'obésité tend à faire du poids corporel presque exclusivement un indicateur de pathologie organique, elle tend à ignorer la stigmatisation sociale et en particulier, morale, de la corpulence. En s'appuyant sur des données produites par une enquête sanitaire récente, ainsi que sur les recherches personnelles de l'auteur, cet article explore le rôle des distinctions de classe à la fois dans la production et dans la perception des différences de poids contemporaines. L'analyse statistique révèle que non seulement il existe un large consensus, traversant l'espace social, au sujet de ce qui constitue le physique masculin et féminin « légitime », mais aussi que les chances d'avoir l'apparence la plus valorisante et la plus valorisée s'accroissent systématiquement à mesure que l'on s'élève dans la hiérarchie sociale. Par ailleurs, il montre que la taille et la forme du corps sont un élément intégral de la perception sociale des différences de classe, ce qui confère aux agents dominés l'apparence (corpulente) la plus stigmatisée, tandis que les physiques les plus valorisés se concentrent de façon disproportionnée parmi les membres de groupes dominants. Ces résultats suggèrent que la discrimination pondérale, loin d'être une forme de stigma interpersonnel, est une forme de violence symbolique qui affecte les acteurs dominés dans l'un des aspects les plus intimes et les plus fondamentaux de leur identité sociale, à savoir leur relation à leur propre corps.
Source : Éditeur (via Cairn.info)
Résumé anglais The alarmist discourse surrounding the strong increase in average body weight observed in the majority of “post-industrial” societies and condensed into the notion of an “obesity epidemic” all too easily obscures the fact that the chances of being labeled “obese” are not randomly distributed across social space. Epidemiological studies show that obesity affects disproportionately those who occupy the most precarious social positions. Since the dominant epidemiological perspective on obesity tends to construe body weight almost exclusively as an indicator of organic pathology, it tends to overlook the social and especially moral stigmatization of corpulence. Drawing on data from a recent health survey and on the author's own research, this article explores the role of class divisions in both the production and the perception of contemporary weight differences. Statistical analysis reveals that there is a considerable consensus, across social space, as to what constitutes the “legitimate” male and female physique. It shows that the chances of realizing the most valued and valorizing appearance increase systematically as one rises in the social hierarchy. In addition, it suggests that body size and shape are an integral element of the social perception of class differences. This endows dominated agents with the most stigmatized (i.e. corpulent) appearance, while disproportionately attributing the most valued physique to members of dominant social groups. These results suggest that far from being only a form of interpersonal stigma, weight discrimination constitutes a form of symbolic violence that affects dominated agents in one of the most intimate and fundamental aspects of their social identity, namely their relationship to the body.
Source : Éditeur (via Cairn.info)
Article en ligne http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=ARSS_208_0014