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Titre ‪Le scandale Cambridge Analytica contextualisé: le capital de plateforme, la surveillance et les données comme nouvelle « marchandise fictive »‪
Auteur Ivan Manokha
Mir@bel Revue Cultures & conflits
Numéro no 109, printemps 2018
Rubrique / Thématique
Varia
Page 39-59
Résumé L'objectif du présent article est de situer le scandale récent autour de la société Cambridge Analytica dans le contexte plus large de l'importance de la surveillance dans la phase actuelle de développement du capitalisme. La thèse développée ici est que le capitalisme d'aujourd'hui se caractérise par deux évolutions significatives : d'une part, l'importance croissante d'une nouvelle « marchandise fictive » – les données –, en plus du travail, de la terre et de la monnaie, précédemment identifiés par Karl Polanyi comme objets ayant été transformés en « marchandises fictives » par la société capitaliste ; d'autre part, l'importance accrue d'un nouveau type de capital appelé ici « capital de plateforme », par référence aux plateformes numériques qui opèrent en tant que moyens de production à part entière (par exemple, Facebook) ou auxiliaires (par exemple, Uber). Ce capital de plateforme ne devient capital que lorsqu'il est combiné à cette nouvelle « marchandise fictive » qui lui tient lieu de « matière première ». Pour paraphraser Marx, le capital de plateforme doit rencontrer sur le marché un type de marchandise spécial – les données (en particulier, les données utilisateur) – afin de croître et de produire de la valeur. Ceci signifie que la surveillance et l'invasion constante de la sphère privée sont inhérentes au fonctionnement du capital de plateforme ainsi qu'à celui d'autres entités (par exemple, courtiers en données ou sociétés de conseil tels que Cambridge Analytica), dont le modèle commercial se fonde également sur cette nouvelle marchandise. Ces dernières, de même que certaines entités gouvernementales telles que les services de sécurité, compte tenu du volume d'informations détenues par les plateformes, sont incitées à accéder à ces données et peuvent être tentées de le faire de manière dissimulée, comme cela a été fait dans le cas de Cambridge Analytica. Lorsqu'elles sont révélées, de telles actions suscitent une condamnation et un tollé général, alors que l'acquisition quotidienne de données par le capital de plateforme et les entités qui lui sont liées, de manière continuelle et sans cesse croissante, ne génère par elle-même que très peu de critique. Celle-ci est au contraire de plus en plus normalisée et des campagnes telles que celle qui a été menée contre Cambridge Analytica ne font que contribuer à sa normalisation et à son objectivation croissantes.
Source : Éditeur (via Cairn.info)
Résumé anglais
The objective of this article is to place the recent Cambridge Analytica data scandal into the larger context of the growing importance of surveillance in modern-day capitalism. It is argued here that the current phase of capitalism is characterized by two significant developments: first, the rise and increasing importance of a new ‘fictitious commodity' – data – in addition to labor, land and money, as previously identified by Karl Polanyi; second, an increased significance of what is termed here ‘platform capital' – digital platforms that act as independent (e.g. Facebook) or auxiliary (e.g. Uber) means of production. Platform capital becomes capital only when it is combined with this new fictitious commodity which acts as its main ‘raw material'; to paraphrase Marx, platform capital must meet a special kind of commodity (i.e. data, particularly user data) in the market place to reproduce and valorize itself. This means that surveillance and continuous privacy invasions are intrinsic to the operation of platform capital, as well as of other entities (i.e. data brokers or consultancies such as Cambridge Analytica) whose business models also depend on this new commodity. Because data possessed by platforms is gigantic, the latter (as well as non-business actors, such as security services) are interested in getting access to it and may be tempted to do so in some covert fashion, as happened in the case of Cambridge Analytica. When revealed, such actions tend to generate widespread condemnation and public outcry, as demonstrated in the aftermath of the Cambridge Analytica scandal. However, it is important to emphasize that continuous and ever-growing ‘overt' acquisitions of data by platform capital and other entities do not generate even remotely comparable amounts of criticism. On the contrary, it is more and more normalized and campaigns, such as the one that has targeted Cambridge Analytica, actually contribute to its further normalization and objectification.
Source : Éditeur (via Cairn.info)
Article en ligne http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=CC_109_0039