Titre | Ce que le contentieux administratif révèle de l'état d'urgence | |
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Auteur | Stéphanie Hennette-Vauchez, Maria Kalogirou, Nicolas Klausser, Cédric Roulhac, Serge Slama, Vincent Souty | |
Revue | Cultures & conflits | |
Numéro | no 112, hiver 2018 L'état d'urgence en permanence (1) | |
Page | 35-74 | |
Résumé |
L'état d'urgence 2015-2017 a été caractérisé par la mise en place d'un large éventail de mesures administratives individuelles défavorables : perquisitions administratives à domicile de jour et de nuit, assignations à résidence, interdictions de séjour, institution de zones de protection et de sécurité, interdictions de manifester, fermetures provisoires de salles de spectacles, de débits de boissons et de lieux de réunion, dissolutions d'associations, remises d'armes, contrôles d'identité, fouilles de bagages ou de véhicules… Individuelles et défavorables, ces mesures ne sont pas publiées. Par extension, elles ne sont pas non plus accessibles aux chercheurs. La présente étude, qui se donne pour ambition d'analyser l'état d'urgence en tant que phénomène juridique, porte dès lors sur le contentieux généré par ces mesures. Malgré sa partialité – étant donné que seulement une partie des personnes-destinataires des mesures d'urgence saisissent le juge – l'analyse de ce corpus contentieux formé par 775 décisions rendues par les juridictions administratives françaises permet de dévoiler certains éléments constitutifs de l'état d'urgence. L'étude met d'abord en avant différents profils-type des requérants ayant contesté en justice des mesures dont ils/elles ont fait l'objet ; elle dresse ensuite une typologie des mesures d'urgence, sur la base de laquelle l'issue des recours et, notamment, l'intensité du degré de contrôle juridictionnel exercé, sont analysés. On révèle ainsi que les mesures de l'état d'urgence s'appuient souvent sur des éléments relevant du comportement et de la vie privée des requérants et des requérantes, et que l'état d'urgence a pu servir de base légale à des mesures non rattachées à la lutte contre la menace terroriste. Surtout, l'étude du contentieux de l'état d'urgence permet de documenter un élargissement des pouvoirs de police administrative. Cet élargissement n'est pas seulement quantitatif (cf. la récurrence de cas dans lesquels une même personne fait l'objet de plusieurs mesures administratives fondées sur la loi du 3 avril 1955), mais aussi qualitatif (à telle enseigne que le contentieux administratif de l'état d'urgence interroge sur le brouillage des frontières entre droit pénal (répression) et droit administratif (prévention). En d'autres termes, l'étude du contentieux administratif révèle la contribution de l'état d'urgence à la transformation, à la faveur de la montée en puissance du paradigme sécuritaire, des frontières entre droit administratif et droit pénal, créant un modèle juridique sui generis. Source : Éditeur (via Cairn.info) |
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Résumé anglais |
The state of emergency that was in vigor in France from 2015 to 2017 was manifested through a wide array of individual restrictive measures: administrative house searches, house arrests, bans on being in particular places, institution of security zones, bans on demonstrating, shutdowns of theater halls, public halls and bars, administrative dissolution of associations, arms confiscation, identity checks, bag and car searches, etc. To the extent that they were both individual and restrictive, the individual administrative measures themselves are not made public and therefore not open to scholarly enquiry. To overcome this obstacle, the present study seeks to analyze the state of emergency as a legal phenomenon and does so by examining the case law that was triggered by litigation against these individual measures. Although such an approach only captures a partial picture of the state of emergency as legal phenomenon (as not all these measures were litigated), the analysis of a total of 775 court decisions allows us to unearth number of its constitutive features. Firstly, our analysis reveals a typology of the profiles of plaintiffs that took legal action in response to state of emergency measures. It then classifies these measures in relation to the outcome of the litigation as well as to the level of judicial scrutiny that was involved. The study thus reveals that it was often on the basis of their behavior and other elements relating to their private lives that people were subjected to exceptional measures in the context of the state of emergency. We also found that this legal regime accommodated a number of measures unrelated to the fight against terrorism. Overall, this article documents the widening of the power of police endowed with administrative authority (i.e. police administrative). This is not only a quantitative claim based on the numerous instances in which individuals were subject to multiple and repeated measures in the context of the state of emergency, but also a qualitative one given the blurring of divide between criminal and administrative law. Globally speaking, administrative case law triggered by the state of emergency sustains the notion that legal divisions are being affected by the strengthening of a securitarian paradigm, possibly leading to the production of a sui generis legal regime of national security. Source : Éditeur (via Cairn.info) |
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Article en ligne | http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=CC_112_0035 |