Contenu du sommaire : L'état d'urgence en permanence (1)
Revue | Cultures & conflits |
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Numéro | no 112, hiver 2018 |
Titre du numéro | L'état d'urgence en permanence (1) |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Ni État de droit, ni État d'exception. L'état d'urgence comme dispositif spécifique ? : Introduction - Didier Bigo, Laurent Bonelli p. 7-14
- L'exercice contemporain des pouvoirs d'urgence : réflexions sur la permanence, la non-permanence et les ordres juridiques administratifs - Fionnuala Ní Aolain p. 15-34 En identifiant, à travers le monde, de nouvelles tendances et pratiques étatiques en matière d'utilisation de pouvoirs exceptionnels pour des considérations de sécurité nationale ou d'urgence depuis les évènements du 11 septembre 2001, cet article isole un certain nombre de tendances pernicieuses dans la pratique antiterroriste qui peuvent avoir des conséquences particulièrement néfastes sur la protection des droits de l'homme, notamment celles résultant d'une prééminence accordée au Conseil de sécurité dans la régulation de l'antiterrorisme. Schématisant leur effet en droit interne, l'article examine comment les États tentent de manipuler leurs réponses juridiques afin d'éviter une catégorisation d'urgence au niveau international. L'article se focalise ensuite sur la manière dont les pouvoirs publics français ont répondu aux défis posés par le terrorisme, notamment par le passage du pénal à l'administratif, pour explorer le lien étroit entre le terrorisme et l'utilisation de mesures exceptionnelles de sécurité nationale ou d'urgence, afin d'analyser comment les régimes juridiques d'exception de lutte contre le terrorisme peuvent avoir des effets singuliers sur l'État de droit au niveau national.
Identifying new trends and practices in the deployment of emergency powers across the globe in the post-9/11 context, the article isolates a number of pernicious general trends in the practice of counterterrorism that pose serious challenges to the protection of human rights and fundamental freedoms. It focuses on infringements resulting from the more assertive role taken by the Security Council in regulating terrorism. Mapping their domestic effect, the article highlights the ways in which states attempt to manipulate legal responses to avoid the international imposition of emergency categorizations. It then focuses on the response of France to the challenges of terrorism, most notably the passage from the criminal to the administrative sphere. In doing so, this article explores the nexus between terrorism and emergency powers while charting the ways in which exceptional legal regimes premised on terrorism can have singular effects on the rule of law at the international level. - Ce que le contentieux administratif révèle de l'état d'urgence - Stéphanie Hennette-Vauchez, Maria Kalogirou, Nicolas Klausser, Cédric Roulhac, Serge Slama, Vincent Souty p. 35-74 L'état d'urgence 2015-2017 a été caractérisé par la mise en place d'un large éventail de mesures administratives individuelles défavorables : perquisitions administratives à domicile de jour et de nuit, assignations à résidence, interdictions de séjour, institution de zones de protection et de sécurité, interdictions de manifester, fermetures provisoires de salles de spectacles, de débits de boissons et de lieux de réunion, dissolutions d'associations, remises d'armes, contrôles d'identité, fouilles de bagages ou de véhicules… Individuelles et défavorables, ces mesures ne sont pas publiées. Par extension, elles ne sont pas non plus accessibles aux chercheurs. La présente étude, qui se donne pour ambition d'analyser l'état d'urgence en tant que phénomène juridique, porte dès lors sur le contentieux généré par ces mesures. Malgré sa partialité – étant donné que seulement une partie des personnes-destinataires des mesures d'urgence saisissent le juge – l'analyse de ce corpus contentieux formé par 775 décisions rendues par les juridictions administratives françaises permet de dévoiler certains éléments constitutifs de l'état d'urgence. L'étude met d'abord en avant différents profils-type des requérants ayant contesté en justice des mesures dont ils/elles ont fait l'objet ; elle dresse ensuite une typologie des mesures d'urgence, sur la base de laquelle l'issue des recours et, notamment, l'intensité du degré de contrôle juridictionnel exercé, sont analysés. On révèle ainsi que les mesures de l'état d'urgence s'appuient souvent sur des éléments relevant du comportement et de la vie privée des requérants et des requérantes, et que l'état d'urgence a pu servir de base légale à des mesures non rattachées à la lutte contre la menace terroriste. Surtout, l'étude du contentieux de l'état d'urgence permet de documenter un élargissement des pouvoirs de police administrative. Cet élargissement n'est pas seulement quantitatif (cf. la récurrence de cas dans lesquels une même personne fait l'objet de plusieurs mesures administratives fondées sur la loi du 3 avril 1955), mais aussi qualitatif (à telle enseigne que le contentieux administratif de l'état d'urgence interroge sur le brouillage des frontières entre droit pénal (répression) et droit administratif (prévention). En d'autres termes, l'étude du contentieux administratif révèle la contribution de l'état d'urgence à la transformation, à la faveur de la montée en puissance du paradigme sécuritaire, des frontières entre droit administratif et droit pénal, créant un modèle juridique sui generis.
The state of emergency that was in vigor in France from 2015 to 2017 was manifested through a wide array of individual restrictive measures: administrative house searches, house arrests, bans on being in particular places, institution of security zones, bans on demonstrating, shutdowns of theater halls, public halls and bars, administrative dissolution of associations, arms confiscation, identity checks, bag and car searches, etc. To the extent that they were both individual and restrictive, the individual administrative measures themselves are not made public and therefore not open to scholarly enquiry. To overcome this obstacle, the present study seeks to analyze the state of emergency as a legal phenomenon and does so by examining the case law that was triggered by litigation against these individual measures. Although such an approach only captures a partial picture of the state of emergency as legal phenomenon (as not all these measures were litigated), the analysis of a total of 775 court decisions allows us to unearth number of its constitutive features. Firstly, our analysis reveals a typology of the profiles of plaintiffs that took legal action in response to state of emergency measures. It then classifies these measures in relation to the outcome of the litigation as well as to the level of judicial scrutiny that was involved. The study thus reveals that it was often on the basis of their behavior and other elements relating to their private lives that people were subjected to exceptional measures in the context of the state of emergency. We also found that this legal regime accommodated a number of measures unrelated to the fight against terrorism. Overall, this article documents the widening of the power of police endowed with administrative authority (i.e. police administrative). This is not only a quantitative claim based on the numerous instances in which individuals were subject to multiple and repeated measures in the context of the state of emergency, but also a qualitative one given the blurring of divide between criminal and administrative law. Globally speaking, administrative case law triggered by the state of emergency sustains the notion that legal divisions are being affected by the strengthening of a securitarian paradigm, possibly leading to the production of a sui generis legal regime of national security. - Histoire, continuité et actualité des régimes d'exception au Chili - Carolina Cerda-Guzman p. 75-92 Depuis 2016, des dirigeants de corporations professionnelles multiplient les appels à l'instauration d'un régime d'exception pour répondre aux violences – souvent des incendies de camions – commises par des membres des communautés indigènes mapuches dans le sud du Chili. Bien que ces appels soient pour l'instant restés sans réponse, leur actualité et leur récurrence constituent l'occasion de revenir sur les différentes formes de l'état d'exception au Chili, depuis leurs origines sous la dictature militaire d'Augusto Pinochet jusqu'à leur actualisation lors de la transition démocratique et leur déploiement récent, dans le cadre de catastrophes naturelles. Malgré les réformes opérées à ces régimes d'exception depuis la fin de la dictature, l'analyse juridique démontre la nature toujours liberticide de ces régimes et des risques qu'ils présentent dans le conflit opposant l'État chilien à certaines communautés mapuches.
Since 2016, leaders of professional corporations have rallying for the establishment of an exceptional regime in order to respond to acts of violence—notably the setting of trucks on fire—committed by members of indigenous Mapuches communities in the south of Chile. Although for the time being the government has not responded to these calls, it is by virtue of their timely and recurrent nature that they provide an opportunity to revisit different forms the state of exception has taken in Chile, from its origins under Augusto Pinochet's military dictatorship to its manifestation during a process of democratic transition to its recent deployment in the context of natural disasters. Despite reforms that have been put in place since the end of the dictatorship, a legal analysis demonstrates the extent to which these regimes remain a threat to freedom while underlying the risks posed by these transgressions in the case of tensions between the Chilean state and certain Mapuche communities. - Modèle extractiviste et pouvoirs d'exception en Amérique latine - Claire Wright p. 93-118 Dans le contexte de l'après-11 septembre, la menace du terrorisme a été invoquée pour justifier une série de mesures exceptionnelles aux États-Unis et en Europe. En Amérique latine, la situation a des caractéristiques différentes qu'il importe d'étudier. Bien que la menace d'une attaque terroriste soit plutôt faible, les gouvernements invoquent de nouveaux problèmes – en particulier l'insécurité et la protection des ressources naturelles comme source de développement économique – pour recourir à de vieux dispositifs institutionnels de l'urgence. Cet article se propose d'identifier les particularités de l'exceptionnalisme en Amérique latine à travers des études de cas (Venezuela, Argentine, Colombie, Guatemala et Pérou) qui mettent en évidence le recours aux pouvoirs d'exception pour garantir les activités des industries extractives. On observe ainsi une sorte d'apprentissage institutionnel : la traditionnelle concentration du pouvoir aux mains de l'exécutif et les stratégies développées face aux conflits internes sont maintenues et adaptées au gré des principaux objectifs des gouvernements latino-américains du xxie siècle.
In the post-9/11 context, the threat of terrorism has been invoked to justify a whole series of exceptional measures in the United States and Europe. Showing a divergent trajectory, the situation in Latin America displays quite different characteristics which are worth considering. Although the threat of terrorism is relatively low, governments in the region often refer to new problems, particularly violent crime and the protection of natural resources as a source of economic development, to resort to old institutional emergency provisions. This study seeks to identify the specific features of Latin American exceptionalism through a series of case studies from Venezuela, Argentina, Colombia, Guatemala and Peru in which emergency powers are used to safeguard the operational activities of the extractive industry. Through these cases, we observe a sort of institutional memory through which the historical concentration of power in the executive and the violent strategies used to deal with internal conflicts are maintained and adapted to suit the main purposes of Latin American governments in the 21st Century. - Les maux de l'urgence et de l'exception - Emmanuel-Pierre Guittet p. 121-132