Titre | Réfractaires et irrécupérables. Penser la résistance à l'incorporation sociale | |
---|---|---|
Auteur | Céline Hervet | |
Revue | Tracés | |
Numéro | no 37, 2019/2 Les irrécupérables | |
Rubrique / Thématique | Articles |
|
Page | 127-144 | |
Résumé |
Dans les écrits politiques de Thomas Hobbes apparaît une figure étonnante qui vient interroger les limites du corps politique et social en ce qu'elle contrevient à la loi naturelle de complaisance dont le but est d'assurer la viabilité des échanges et la stabilité du lien social : celle du réfractaire, inspiré de la parabole biblique de la pierre réfractaire devenant pierre angulaire. Au lieu de ce renversement, on lit chez Hobbes une prescription : le réfractaire est irrécupérable et doit être purement et simplement rejeté hors de la société. Mais ce rejet apparaît illusoire et le réfractaire est ce résidu de l'incorporation sociale avec lequel toute société doit en permanence composer et qui travaille constamment sa cohésion. Accompagnant les soubresauts du corps social et politique, le terme réfractaire est au XIXe siècle tantôt revendiqué par ceux qui refusent de s'accommoder d'un ordre social et économique jugé injuste et oppressif, tantôt utilisé pour disqualifier des incorrigibles, ennemis d'une société menacée de l'intérieur. Dans le contexte de paupérisation né de la seconde révolution industrielle, le réfractaire, loin d'être une exception, semble devenir une catégorie de plus en plus large, englobant tous ceux qui perdent plus qu'ils ne gagnent au jeu des échanges économiques. Exerçant un pouvoir de nuisance qui menace la cohésion de la société tout entière, les réfractaires rendent compte par là de la fragilité de l'édifice social, ce que Hegel décrit dans les Principes de la philosophie du droit. Les récits de Jules Vallès restituent ces figures insaisissables, faisant de cette résistance à la machine sociale une forme de vie à part entière. Mais au-delà de ces instanciations, le réfractaire en tant que propriété physique suppose dès son apparition dans le texte biblique une analogie entre une qualité matérielle et une conduite humaine, que le contexte hobbesien d'une nécessaire complaisance dans les échanges économiques entre les membres du corps social vient renforcer. Le réfractaire, matériau ou être humain, constitue un obstacle à ce métabolisme. Aussi l'analyse des matériaux dits réfractaires, inassimilables par le corps social, entravant la circulation des flux et des matières et menaçant la viabilité des sociétés et des individus eux-mêmes, permet de tester l'hypothèse d'une continuité entre le politique, le social et l'environnemental. L'exemple de l'amiante, sa nature, ses usages et ses conséquences sur les corps des malades et la solidarité du corps social, en est une illustration : le scandale suscité par l'exposition délibérée des travailleurs à la toxicité de cette fibre résistant à la combustion témoigne des limites opposées par les corps à la plasticité exigée par la logique du profit. Source : Éditeur (via OpenEdition Journals) |
|
Résumé anglais |
In Thomas Hobbes' political writings we encounter a remarkable figure who tests the limits of the political and social system by contravening the natural law of compliance. This law ensures the viability of interaction and the stability of the social bond. This figure, a refractory rebel inspired by the biblical parable of the refractory stone which becomes a cornerstone, embodies the impossible unification of society. Whereas the Bible transcends the incapacity of the refractory stone to fit into the social edifice, Hobbes recommends that refractory rebels be considered beyond redemption and treated as outcasts from society. But this rejection seems unrealistic: every society must compromise with this remnant of social incorporation which constantly threatens its stability. Accompanying the upheavals of the social and political system, the word réfractaire was, in the nineteenth century, both claimed by those who refused to accept an unfair and oppressive social order, and also used to preclude those considered incorrigible, the enemies of a society under threat from within. In the context of the pauperisation which resulted from the second industrial revolution, the réfractaires, far from being an exception, seemed to become a larger category, including all those who lost out in commerce, which undermined the unity of society, as Hegel explains in his Elements of the Philosophy of Right. Jules Vallès'collection of portraits, Les Réfractaires, presents those elusive figures whose resistance to social incorporation was a way of life. Beyond these multiple instances, the physical property of a refractory body implies an analogy between a material quality and human conduct which constitutes an obstacle to metabolism. Refractory materials which cannot be assimilated impede movement and threaten the viability of societies and of the individuals themselves. They suggest the possibility of a continuity between political, social and environmental issues. Asbestos, its characteristics, and its effects on workers' bodies and on the solidarity and cohesion of the social fabric is a good illustration: the scandal caused by the deliberate exposure of workers to this toxic, combustion-resistant material attests to the resistance bodies can mount against the malleability required by the profit motive. Source : Éditeur (via OpenEdition Journals) |
|
Article en ligne | http://journals.openedition.org/traces/10165 |