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Titre Des natures historiques. Renouée avec le matérialisme spéculatif
Auteur Paul Guillibert
Mir@bel Revue Tracés
Numéro no 40, 2021/1 Matières vivantes
Rubrique / Thématique
Articles
Page 43-60
Résumé Cette contribution part d'une enquête menée auprès des associations écologistes dans la forêt de la Corniche des Forts à Romainville entre novembre 2018 et mars 2019. Cette forêt et la cité Gagarine qui la surplombe étaient promises à la destruction par suite du projet d'aménagement urbain d'un « éco-quartier » et d'une « île de loisirs » développé dans le cadre du « Grand Paris ». Or, comme l'ont montré les écologistes, on trouve dans cette forêt une plante rhizomatique dite invasive, la renouée du Japon. Cette plante qui ne pousse que sur des sols hautement pollués, notamment au plomb et au cuivre, présente un intérêt ontologique évident : d'un côté, elle signale l'existence d'une nature anthropisée, historicisée et modifiée par les activités humaines, une « nature historique » donc ; mais d'un autre côté elle témoigne de la puissance d'engendrement des organismes capables d'émerger au sein des milieux les plus transformés et les plus pollués. Tout se passe comme si cette nature détruite par deux siècles d'activités extractivistes était capable de réaffirmer sa puissance ontologique, malgré et contre le mode de production capitaliste qui l'exploite. Cet ensauvagement qui apparaît dans « les ruines du capitalisme » permettra d'évaluer la thèse de la « troisième nature » de l'anthropologue Anna Tsing. Si l'idée d'une puissance ontologique d'un réel capable de s'auto-déployer contre les activités sociales qui la détruisent est convaincante, je ferai l'hypothèse que le « matérialisme spéculatif » du philosophe Ernst Bloch offre la possibilité de penser la dynamis de la nature sans réintroduire une philosophie étapiste de son histoire (la « première », la « seconde » puis la « troisième » nature). Ce passage par la renouée du Japon nous permettra de défendre la pertinence d'une philosophie matérialiste de la nature adaptée à la catastrophe écologique.
Source : Éditeur (via OpenEdition Journals)
Résumé anglais This contribution is based on a survey conducted among environmental associations in the Corniche des Forts forest in Romainville between November 2018 and March 2019. This forest and the Gagarin housing estate that overlooks it were destined to be destroyed following the urban development project to create an “eco-neighbourhood” and a “leisure island” as part of the “Grand Paris”. However, as ecologists have shown, this forest contains a so-called invasive rhizome, Japanese knotweed. This plant, which only grows in highly polluted soils, especially those containing lead and copper, is of obvious ontological interest: on the one hand, it signals the existence of an anthropized nature, historicized and modified by human activities, a “historical nature” therefore; but on the other hand, it testifies to the engendering power of organisms capable of emerging within the most transformed and polluted environments. It is as if this nature, destroyed by two centuries of extractivist activities, were capable of reasserting its ontological power, despite and against the capitalist mode of production that is exploiting it. This wildness appearing among “the ruins of capitalism” will allow us to evaluate the anthropologist Anna Tsing's thesis of the “third nature”. While the idea of an ontological potentiality capable of deploying itself against the social activities that are destroying it is convincing, I will hypothesize that the philosopher Ernst Bloch's “speculative materialism” offers the possibility of considering the dynamis of nature without reintroducing a step-by-step philosophy of its history (the “first”, the “second” and then the “third” nature). This study of Japanese knotweed will enable us to defend the relevance of a materialist philosophy of nature adapted to ecological disaster.
Source : Éditeur (via OpenEdition Journals)
Article en ligne http://journals.openedition.org/traces/12185