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Titre Covid-19 : « La faim se nourrit de toutes les inégalités, de toutes les vulnérabilités ». Entretien avec Jean-François Riffaud, Directeur général d'Action contre la Faim, 28 janvier 2021
Auteur Jean-François Riffaud
Mir@bel Revue Tracés
Numéro no 41, 2021/2 Batailles de la faim
Rubrique / Thématique
Entretien
Page 209-220
Résumé L'interview avec Jean-François Riffaud, directeur général d'Action contre la Faim (ACF), aborde le point de vue de cette organisation non gouvernementale (ONG) sur la nature et les effets de la crise pandémique de Covid-19 ainsi que sur ses pratiques humanitaires. Bien que le taux de circulation et de reproduction du virus fût beaucoup plus faible qu'en France, les gouvernements de la plupart des pays pauvres ont pris des mesures de protection et de confinement qui ont eu de graves effets socio-économiques et psychologiques sur les populations. Entre avril et juin 2020, par exemple, ces mesures ont provoqué une baisse de 20 à 50 % de la fréquentation des centres de soins gérés par ACF, notamment ceux destinés aux enfants. Parmi d'autres facteurs (comme les conflits), cette réalité a contribué à l'augmentation des cas de malnutrition. Ainsi, les Nations unies prévoient que le nombre de personnes souffrant de malnutrition aiguë sera bientôt de deux cent trente millions à travers le monde (contre cent cinquante millions à la fin de 2020). Outre les effets secondaires des mesures de protection, avec une prévalence de la malnutrition et de l'insécurité alimentaire supérieure à la prévalence clinique du virus, J.-F. Riffaud souligne un contexte de grande incertitude dans lequel la prise de décision est particulièrement difficile. Elle l'est d'autant plus que la crise met en évidence des logiques contre-intuitives : par exemple, les personnes les plus touchées par le virus ne sont pas forcément les plus vulnérables en termes de malnutrition. L'interview nous rappelle également l'extrême fragilité des systèmes de santé et de protection sociale dans les pays pauvres, la faim résultant de dysfonctionnements structurels liés à des choix politiques et économiques spécifiques et identifiables. La nature politique de la question de la faim exige donc de ne pas limiter sa représentation à des événements exceptionnels (sécheresse, guerres, etc.), et de ne pas en réduire la gestion à un seul acte technique, au risque d'empêcher non seulement sa compréhension mais aussi la capacité de porter un regard critique sur les effets ambivalents et inattendus de certaines actions, dont celles des ONG. Dans la période actuelle, malgré les incertitudes et le risque pour le personnel, notamment les expatriés, d'être un vecteur du virus, ACF a décidé de poursuivre ses activités (programmes nutritionnels d'urgence, renforcement agro-écologique...). Pour l'ONG, il s'agit de rester fidèle à son « éthique et à son mandat auprès des communautés ». En définitive la crise semble valider trois impératifs d'un agenda commun à toutes les ONG humanitaires : la localisation de l'aide, le partenariat avec la société civile et les communautés locales, et la mutualisation, au-delà d'une simple logique de rentabilité.
Source : Éditeur (via OpenEdition Journals)
Résumé anglais The interview with Jean-François Riffaud discusses the views of Action Against Hunger (ACF) on the nature and effects of the Covid-19 pandemic crisis, as well as on its own humanitarian practices. Even if the circulation and reproduction rate of the virus (also known as R0) was much lower than in France, public authorities in most poor countries took protection and lockdown measures with serious socio-economic and psychological effects. Between April and June 2020, for example, this resulted in a 20 to 50 percent drop in attendance at ACF-run care centres, especially those for children. Among other factors (such as conflicts), this has an effect on the increase in cases of malnutrition. Thus, the United Nations predicts that the number of people suffering from acute malnutrition will soon be two-hundred-and-thirty million worldwide (against one-hundred-and-fifty million by the end of 2020). In addition to the side-effects of protection measures, with a prevalence of malnutrition and food insecurity higher than the clinical prevalence linked to the virus, J.-F. Riffaud underlines a context of great uncertainty in which decision-making is particularly difficult. It is all the more difficult because the crisis highlights counterintuitive logics: for example, the populations most affected by the virus are not necessarily the most vulnerable in terms of malnutrition. This interview also reminds us of the extreme fragility of health and social protection systems in poor countries. It shows that hunger is the result of structural dysfunctions linked to specific and identifiable political and economic choices. The political nature of the issue also shows that we should not limit the representation of hunger to exceptional events (drought, wars, etc.). Nor should we reduce its management to a single technical act, at the risk of preventing us not only from understanding it but also from being able to look critically at the ambivalent and unexpected effects of certain actions, including those of non-governmental organisations. In the current period, despite the uncertainties and the risk of staff, especially expatriates, being carriers of the virus, ACF has decided to pursue its activities (emergency nutrition programmes, agro-ecological reinforcement, etc.). For the NGO, it is a question of remaining faithful to its “mandate towards the communities and its ethical path”. Finally, the crisis seems to validate three imperatives of a common agenda for all humanitarian NGOs: localisation of aid, partnership with civil society and local communities, and mutualisation, beyond the logic of simple profitability.
Source : Éditeur (via OpenEdition Journals)
Article en ligne http://journals.openedition.org/traces/13045