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Titre « Deux millions de Parisiens tenant deux millions de verres noircis » : L'éclipse totale de soleil du 17 avril 1912, un événement médiatique
Auteur Charly Pellarin
Mir@bel Revue Sociétés & Représentations
Numéro no 54, 2022 Cultures publicitaires
Rubrique / Thématique
Hors cadre
Page 337-359
Résumé À la fin du xixe siècle, et plus particulièrement après 1900, les éclipses deviennent de plus en plus massives, tant par le public qu'elles réunissent que par le bruit qu'elles génèrent dans la presse. En cela, elles nous permettent d'éclairer l'émergence d'une culture de l'événement. L'éclipse de 1912, visible à Paris, provoque une véritable hypertrophie médiatique et fait la une des plus grands titres, le plus souvent au détriment du naufrage du Titanic. Aussi, différents pouvoirs – la République, la presse et la science – investissent de concours cet événement pour faire valoir différents intérêts qui leur sont propres. L'éclipse est notamment l'occasion de célébrer les œuvres républicaines – l'instruction des masses, la démocratisation des loisirs – mais aussi de (ré)affirmer le rôle de la science au sein de la société. La presse à grand tirage y trouve aussi un intérêt commercial, ce qui explique la façon dont celle-ci s'attache à « fabriquer » l'événement. Car c'est bien la diffusion d'un discours médiatique récurrent qui permet de rassembler et de fédérer, en somme de créer cet événement autour de valeurs et de symboles communs. Tout cela montre combien la presse a une emprise sur le quotidien des Français et sur la circulation de l'information, mais aussi qu'elle assure un rôle de tribune pour des discours de légitimation des pouvoirs. C'est en manipulant divers éléments de l'imaginaire social des éclipses, dans une poétique journalistique moderne, que celle-ci parvient à forger un consensus médiatique, une doxa – symptomatique de ce que Géraldine Muhlmann appelle le « journalisme de rassemblement ». Cependant, en contextualisant les poétiques médiatiques et les ensembles discursifs, en croisant les différents types de sources, tout en bénéficiant de la plurivocité du paysage médiatique, on constate que cette doxa est bien souvent déconnectée de la réalité des pratiques, en somme des expériences vécues. La mise en lumière de ces décalages permet de dégager les enjeux qui sous-tendent la promotion et les multiples récupérations de tels événements. En somme, cet article s'attache à décrypter les enjeux des mystifications dont l'éclipse fait l'objet, à une période où elles réunissent un public sans précédent.
Source : Éditeur (via Cairn.info)
Résumé anglais At the end of the 19th century, and more particularly after 1900, eclipses became increasingly massive, both in terms of the public they gathered and the attention they drew in the press. In this way, they allow us to shed light on the emergence of a culture of the event. The eclipse of 1912, visible in Paris, provoked an absolute media frenzy and made the headlines, most often to the detriment of the sinking of the Titanic. Different powers—the Republic, the press and science—used this event to promote their own interests. In particular, the eclipse was an opportunity to celebrate republican works—the education of the masses, the democratisation of leisure—but also to (re)affirm the role of science within society. The large-circulation press also found it commercially interesting, which explains the way in which it set out to “manufacture” the event. For it is indeed the dissemination of a recurrent media discourse that makes it possible to gather and federate, in short to create this event around common values and symbols. All this shows how much the press has a hold on the daily life of the French and on the circulation of information, but also that it acts as a platform for the legitimisation of power. It is by manipulating various elements of the social imaginary of eclipses, in a modern journalistic poetics, that it manages to forge a media consensus, a doxa—symptomatic of what Géraldine Muhlmann calls the “journalism of gathering”. However, by contextualising media poetics and discursive ensembles, by crossing different types of sources, while benefiting from the plurivocity of the media landscape, we note that this doxa is often disconnected from the reality of practices, in other words, from lived experiences. The highlighting of these discrepancies allows us to identify the issues underlying the promotion and the multiple recuperations of such events. In short, this article attempts to decipher the issues at stake in the mystifications of which the eclipse is the object, at a time when they are attracting an unprecedented audience.
Source : Éditeur (via Cairn.info)
Article en ligne http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=SR_054_0337 (accès réservé)