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Titre Microdéconnexions : discontinuités et ruptures du contact communicationnel. Entretien avec Laurence Allard et Edgar Mbanza
Auteur Camille Paloque-Bergès, Laurence Allard, Edgar Mbanza
Mir@bel Revue Tracés
Numéro no 42, 2022/1 Sans contact
Rubrique / Thématique
Entretiens
Page 139-166
Résumé Le contexte pandémique a révélé des sociétés inquiètes, en pratique comme en théorie, d'organiser une proxémie de la distance sociale. Or les ressources numériques existantes et développées pour l'occasion font plutôt penser à une société prête à faire les choses à distance en contexte de crise, hyperconnectée : « sans contact » direct, le citoyen covidé est néanmoins activement communiquant grâce aux médiations numériques, devenues enjeu sanitaire. De fait, le domaine communicationnel s'appuie sur le principe de la mise en contact médiée (par les sens ou des appareils) et généralisée dans des systèmes de transmission et de rétroaction. Tracés s'est demandé, dans le cadre des interrogations de ce dossier, comment une communication pouvait être « sans contact » : c'est-à-dire, au-delà des raisons techniques de la transmission d'information (une carte bancaire interagit « sans contact » avec le terminal de paiement), que se passe-t-il quand le courant ne passe plus, au propre et au figuré, quand les systèmes de communication défaillent, s'interrompent, disparaissent… voire ne sont jamais vraiment construits ou mis à disposition. Cette autre inquiétude, envers de supposés excès communicationnels comme envers leur mise en défaut, va jusqu'à voir naître de nouveaux domaines d'études en media studies, les études de déconnexion qui se penchent sur les applications, les usages et les systèmes des manières de rompre, temporairement ou de manière plus radicale, avec le tout-numérique. Nous avons invité deux sociologues des usages et de la communication, Laurence Allard et Edgar Mbanza, qui, à travers leur intérêt pour les pratiques, ont eu à faire très concrètement à ces ruptures de communication – des microdéconnexions – sur leurs terrains. L'intérêt du regard de nos deux invités sur le sujet de la déconnexion consiste d'abord à casser le dualisme usage/non-usage qui prédomine dans la pensée des connexions numériques aujourd'hui. Cette interview invite à penser le fait d'être non connecté comme une pluralité de ces phénomènes et ceci à plusieurs échelles d'observation, d'où l'idée de microdéconnexions qui éclaire la diversité des pratiques tout en signalant la norme existante de l'hyperconnexion. Elle ouvre également le regard aux territoires de la communication en rupture, depuis l'individu incorporant la technique jusqu'au renforcement des collectifs, depuis les contextes locaux de la débrouillardise au quotidien jusqu'aux politiques publiques, voire supranationale, d'équipement numérique des pays et de leurs populations, des applications aux infrastructures. En ceci, cette conversation montre toute la difficulté de penser le non-usage en contexte de communication, comme les apories d'une distinction trop binaire d'avec la notion d'usage. L'idée d'une « communication sans contact » reposerait ainsi sur l'attention à des pratiques non normatives des connexions numériques et de leurs appareils, à une géographie sociale des systèmes de communication qui ne serait pas tout entière prise dans la convergence des technologies mais révélerait ses effets d'échelle et de fragmentation, et au regard critique face aux discours injonctifs sur la « nécessité de communiquer ».
Source : Éditeur (via OpenEdition Journals)
Résumé anglais TThe pandemic context has revealed societies concerned, in practice as well as in theory, about organising the proxemics of social distance. However, the digital resources developed on this occasion are rather suggestive of a hyperconnected society ready to do things remotely in the context of a crisis: directly “contactless”, the Covid citizen nevertheless actively communicates thanks to digital mediations, which have become a health issue. In fact, the communication field postulates that there is always some kind of contact happening through mediated senses or technical means, something which becomes a system through the generalisation of transmission and feedback processes. Tracés wondered, within the framework of this special issue, how communication can be “contactless”: that is to say, beyond the technical reasons behind information transmission (a bank card interacts in a “contactless” manner with the payment terminal), what happens when the current no longer flows, literally and figuratively, when communication systems fail, are interrupted, disappear,... or even are never really implemented or made available. This other concern, regarding supposed communicational excesses as well as regarding their failure, goes so far as to open up new research fields in Media studies: Disconnection studies, which look at the applications, uses and systems of ways to break away, temporarily or more radically, from the all-digital. We invited two sociologists of uses and communication, Laurence Allard and Edgar Mbanza, who, through their interest in practices, have had to deal very concretely with these breakdowns in communication –micro-disconnections– in their fields. Our two guests help us, first of all, to break away from the use/non-use dualism which predominates in digital connections thought today. Furthermore, this interview invites us to see the fact of being unconnected as a plurality of these phenomena –this on several scales of observation– hence the idea of micro-disconnections which sheds light on the diversity of practices while signaling the existing norm of hyperconnection. It also broadens our outlook on the territories of disruptive communication, from the individual who incorporates technology to the strengthening of collectives; from the local contexts of everyday resourcefulness to public and even supranational policies for the digital equipment of countries and their populations, from applications to infrastructures. In this respect, this conversation reveals the difficulty of thinking about non-use in the context of communication, as well as the aporias of an overly binary distinction from the notion of use. The idea of “contactless communication” would thus be based on the attention to non-normative practices of digital connections and their devices, to a social geography of communication systems that would not be entirely caught up in the convergence of technologies but would reveal its scale and fragmentation effects, and to the critical eye facing the injunctive discourse on the “need to communicate”.
Source : Éditeur (via OpenEdition Journals)
Article en ligne http://journals.openedition.org/traces/13928