Titre | Pouvoir politique et pouvoir religieux. L'exploitation de la Sanusiyya au sein de la Libye indépendante (1951-1958) | |
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Auteur | Carlotta Marchi | |
Revue | L'année du Maghreb | |
Numéro | no 28, 2022 Dossier : Libye(s) en devenir. Déchiffrer le changement sociopolitique en diachronie et à plusieurs échelles | |
Rubrique / Thématique | Dossier : Libye(s) en devenir |
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Page | 27-40 | |
Résumé |
Le Royaume Uni de Libye, établi le 24 décembre 1951 sous la couronne d'Idris al-Sanusi, a trouvé son fondement de légitimité dans l'Islam selon la voie de la Sanusiyya, une confrérie religieuse soufie fondée près de La Mecque en 1837 qui avait son centre d'expansion religieuse dans l'arrière-pays cyrénaïque et qui devint, au cours du 20ème siècle, l'un des symboles de la résistance au colonialisme. A partir de l'examen de sources d'archives européennes, cette contribution vise à reconstituer le processus de métamorphose et d'exploitation de la Sanusiyya au sein du Royaume Uni de Libye de 1951 à 1958 en mettant en relief ses causes et conséquences et en s'intéressant plus particulièrement à son utilisation en tant qu'instrument de légitimation politique. En effet, dans le cas de la Libye indépendante, on peut affirmer que l'Islam selon la voie de la Sanusiyya a représenté une forme de gestion du pouvoir politique dans le cadre du paradigme national-étatique. Parallèlement, il s'agit d'observer le processus de bureaucratisation de la confrérie dans la Libye indépendante, c'est-à-dire une dégénération institutionnelle dont le seul but était la préservation du pouvoir. Partant d'un bref aperçu de la gestion du pouvoir politique dans le Royaume Uni de Libye, cette étude s'appuie, dans les deuxième et troisième parties, sur des exemples qui témoignent de l'exploitation de la religion à des fins politiques par le roi, par les branches principales de la Sanusiyya et par les personnalités liées à la confrérie en raison de leur appartenance religieuse. Ils montrent comment la métamorphose de la Sanusiyya s'est faite à travers l'instrumentalisation du passé de la ṭarīqa (anniversaires, célébrations), la reconstitution de son réseau de zawāyā et l'exploitation du lien d'affiliation à la confrérie, dans une logique de réinvestissement politique de ces éléments en faveur de l'État. Ils permettent aussi de mettre en lumière la façon dont la gestion des affaires politiques internes, comme l'éducation et la politique étrangère ont pu être mobilisés en opposition aux idéaux du nationalisme arabe et du nassérisme, qui se diffusent dans les années 1950 dans le Royaume depuis la frontière égyptienne, notamment par le biais du secteur éducatif. Tous ces éléments ont finalement contribué au déclin du prestige social et religieux de la Sanusiyya au sein de la Libye indépendante en même temps qu'ils participaient du phénomène de bureaucratisation de la figure du šayḫ et des affiliés. S'il est possible d'affirmer que dans les années 1950 l'Islam selon la voie de la Sanusiyya et la reconstruction de sa structure ont constitué le « barycentre du nouvel État », ces éléments ont néanmoins perdu leur autonomie et ont été soumis à un phénomène extrême d'exploitation politique mise en œuvre par la monarchie. Au sein de la Libye indépendante, la ṭarīqa apparait donc comme un instrument politique utilisé à différents niveaux. Il en a résulté une profonde dévalorisation de son rôle dans la société, notamment au sein de la jeunesse. Par conséquent, bien qu'elle ait été la base sur laquelle la Libye indépendante a été construite et légitimée, la Sanusiyya et son idée d'Islam sont restées dépendants de l'État, ce qui s'est traduit par leur transformation en appareil administratif. Le changement de la Sanusiyya au sein de l'État résulte ainsi d'une combinaison de causes liées avant tout au positionnement politique de son šayḫ dans la nouvelle Libye et la définition d'une nouvelle fonctionnalité pour la ṭarīqa. Alors que dans le passé, le succès de la Sanusiyya avait dépendu de son autonomie envers les structures impériales ottomanes puis coloniales, le šayḫ ayant un rôle central pour la préservation de la Voie et la transmission du savoir islamique, l'évolution de la fonction et de la légitimité de ce dernier, en tant qu'émir et roi, a entraîné une redéfinition de toute la structure de la ṭarīqa elle-même. Dans le cas libyen, la mise en place d'un État-nation, construite sur la ṭarīqa et légitimé par elle, a radicalement changé la structure et la fonction d'une institution religieuse, initiant un processus d'adaptation à un modèle non plus théocentrique mais théocratique. Le contact avec une forme moderne d'État, fondée sur la ṭarīqa et légitimée par elle, a également modifié la fonction de l'Islam par rapport à l'État lui-même. Il est donc possible d'affirmer qu'au sein de la Libye indépendante, le processus de changement et de bureaucratisation de la Sanusiyya s'est traduit par l'imposition d'un nouveau cadre institutionnel qu'elle avait elle-même contribué à créer en développant une légitimité politique basée sur des présupposés religieux. Source : Éditeur (via OpenEdition Journals) |
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Résumé anglais |
The United Kingdom of Libya, established on 24 December 1951 under the crown of Idris al-Sanusi, found its legitimacy in Islam according to the way of the Sanusiyya, a religious Sufi brotherhood founded near Mecca in 1837, which had its centre of religious expansion in the Cyrenaic hinterland, and which became, during the 20th century, one of the symbols of the resistance to colonialism. Based on the examination of European archival sources, this paper aims to reconstruct the process of metamorphosis and exploitation of the Sanusiyya within the United Kingdom of Libya from 1951 to 1958, as well as to study its causes and consequences and its role as instrument of political legitimisation within the reign. Indeed, in the case of independent Libya, it can be argued that the Sanussi Islam represented a form of political power management within the national-state paradigm. Likewise, as the source of political legitimisation of independent Libya, the Sanusiyya underwent a process of bureaucratisation, i.e. an institutional degeneration whose sole purpose was the preservation of power. Starting with a brief overview of the organisation of political power in independent Libya, the essay develops by focusing, in the second and third paragraphs, on concrete examples that testify the exploitation of religion for political purposes made by the King, by the descendant branches of the Sanusiyya, and by personalities linked to the ṭarīqa through religious affiliation. The exploitation of the Sanusiyya, in fact, took place through the instrumentalisation of the ṭarīqa's past (anniversaries, celebrations), through the reconstitution of its religious network, as well as through the exploitation of the Sanusiyya membership, in order to obtain a political position in the State, or, in a more general way, some kind of power. These elements were exploited in the management of internal political affairs, such as educational matters, as well as for the foreign policy, in opposition to the ideals of Arab nationalism and Nasserism that were flourishing during the 1950s and penetrated the Kingdom from the Egyptian border, particularly through the educational sector. All these elements eventually sanctioned the decline of the social and religious distinction of the Sanusiyya within independent Libya, as well as a process of bureaucratisation. It can be said that, in the 1950s, Islam according to the way of the Sanusiyya and the reconstruction of its structure became the “barycentre of the new state”. Nevertheless, they lost their autonomy and were subjected to an extreme phenomenon of political exploitation implemented by the monarchy and, more in general, by the state itself. The ṭarīqa thus appeared to be a political instrument used at different levels: the result was a profound devaluation of its traditional role in society, which was experienced by the younger generation. Consequently, although it was the basis on which the independent Libya was built and legitimised, the Sanusiyya and its idea of Islam remained dependent on the state, which resulted in their transformation into an administrative apparatus. The change of the Sanusiyya within the State was thus defined by a combination of causes, first and foremost the political positioning of its šayḫ in the new Libya and the definition of a new functionality for the ṭarīqa. Whereas in the past the success of the Sanusiyya had depended on a precise autonomy toward the imperial structure of the Ottoman and colonial empires, so that the figure of the šayḫ was functional for the preservation of the Sufi Way and the transmission of Islamic knowledge, the political legitimisation of his function, as emir and king, led to a redefinition of the whole structure of the ṭarīqa. Hence, in the Libyan case, the establishment of a nation-state, built on and legitimised by the ṭarīqa, radically changed the structure and function of a religious institution, decreeing an adaptation to a model that was no longer theocentric but theocratic. The clash with a modern State model, built on the ṭarīqa and legitimised by it, also changed the function of Islam in relation to the State itself. It is therefore possible to argue that, within independent Libya, occurred a process of change and bureaucratisation for the Sanusiyya, to the extent that the ṭarīqa found itself acting within a new institutional framework that the brotherhood itself had helped to create and consolidate, by guaranteeing a political legitimacy based on religious assumptions. Source : Éditeur (via OpenEdition Journals) |
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Article en ligne | https://journals.openedition.org/anneemaghreb/11141 |