Contenu du sommaire : Dossier : Libye(s) en devenir. Déchiffrer le changement sociopolitique en diachronie et à plusieurs échelles
Revue | L'année du Maghreb |
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Numéro | no 28, 2022 |
Titre du numéro | Dossier : Libye(s) en devenir. Déchiffrer le changement sociopolitique en diachronie et à plusieurs échelles |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Editorial
- Édito : à l'horizon - François Dumasy, Éric Gobe, Céline Lesourd, Loïc Le Pape, Nessim Znaïen p. 3-10
Dossier : Libye(s) en devenir
- Libye(s) en devenir. Déchiffrer le changement sociopolitique en diachronie et à plusieurs échelles - Chiara Loschi, Chiara Pagano p. 13-25
- Pouvoir politique et pouvoir religieux. L'exploitation de la Sanusiyya au sein de la Libye indépendante (1951-1958) - Carlotta Marchi p. 27-40 Le Royaume Uni de Libye, établi le 24 décembre 1951 sous la couronne d'Idris al-Sanusi, a trouvé son fondement de légitimité dans l'Islam selon la voie de la Sanusiyya, une confrérie religieuse soufie fondée près de La Mecque en 1837 qui avait son centre d'expansion religieuse dans l'arrière-pays cyrénaïque et qui devint, au cours du 20ème siècle, l'un des symboles de la résistance au colonialisme. A partir de l'examen de sources d'archives européennes, cette contribution vise à reconstituer le processus de métamorphose et d'exploitation de la Sanusiyya au sein du Royaume Uni de Libye de 1951 à 1958 en mettant en relief ses causes et conséquences et en s'intéressant plus particulièrement à son utilisation en tant qu'instrument de légitimation politique. En effet, dans le cas de la Libye indépendante, on peut affirmer que l'Islam selon la voie de la Sanusiyya a représenté une forme de gestion du pouvoir politique dans le cadre du paradigme national-étatique. Parallèlement, il s'agit d'observer le processus de bureaucratisation de la confrérie dans la Libye indépendante, c'est-à-dire une dégénération institutionnelle dont le seul but était la préservation du pouvoir. Partant d'un bref aperçu de la gestion du pouvoir politique dans le Royaume Uni de Libye, cette étude s'appuie, dans les deuxième et troisième parties, sur des exemples qui témoignent de l'exploitation de la religion à des fins politiques par le roi, par les branches principales de la Sanusiyya et par les personnalités liées à la confrérie en raison de leur appartenance religieuse. Ils montrent comment la métamorphose de la Sanusiyya s'est faite à travers l'instrumentalisation du passé de la ṭarīqa (anniversaires, célébrations), la reconstitution de son réseau de zawāyā et l'exploitation du lien d'affiliation à la confrérie, dans une logique de réinvestissement politique de ces éléments en faveur de l'État. Ils permettent aussi de mettre en lumière la façon dont la gestion des affaires politiques internes, comme l'éducation et la politique étrangère ont pu être mobilisés en opposition aux idéaux du nationalisme arabe et du nassérisme, qui se diffusent dans les années 1950 dans le Royaume depuis la frontière égyptienne, notamment par le biais du secteur éducatif. Tous ces éléments ont finalement contribué au déclin du prestige social et religieux de la Sanusiyya au sein de la Libye indépendante en même temps qu'ils participaient du phénomène de bureaucratisation de la figure du šayḫ et des affiliés. S'il est possible d'affirmer que dans les années 1950 l'Islam selon la voie de la Sanusiyya et la reconstruction de sa structure ont constitué le « barycentre du nouvel État », ces éléments ont néanmoins perdu leur autonomie et ont été soumis à un phénomène extrême d'exploitation politique mise en œuvre par la monarchie. Au sein de la Libye indépendante, la ṭarīqa apparait donc comme un instrument politique utilisé à différents niveaux. Il en a résulté une profonde dévalorisation de son rôle dans la société, notamment au sein de la jeunesse. Par conséquent, bien qu'elle ait été la base sur laquelle la Libye indépendante a été construite et légitimée, la Sanusiyya et son idée d'Islam sont restées dépendants de l'État, ce qui s'est traduit par leur transformation en appareil administratif. Le changement de la Sanusiyya au sein de l'État résulte ainsi d'une combinaison de causes liées avant tout au positionnement politique de son šayḫ dans la nouvelle Libye et la définition d'une nouvelle fonctionnalité pour la ṭarīqa. Alors que dans le passé, le succès de la Sanusiyya avait dépendu de son autonomie envers les structures impériales ottomanes puis coloniales, le šayḫ ayant un rôle central pour la préservation de la Voie et la transmission du savoir islamique, l'évolution de la fonction et de la légitimité de ce dernier, en tant qu'émir et roi, a entraîné une redéfinition de toute la structure de la ṭarīqa elle-même. Dans le cas libyen, la mise en place d'un État-nation, construite sur la ṭarīqa et légitimé par elle, a radicalement changé la structure et la fonction d'une institution religieuse, initiant un processus d'adaptation à un modèle non plus théocentrique mais théocratique. Le contact avec une forme moderne d'État, fondée sur la ṭarīqa et légitimée par elle, a également modifié la fonction de l'Islam par rapport à l'État lui-même. Il est donc possible d'affirmer qu'au sein de la Libye indépendante, le processus de changement et de bureaucratisation de la Sanusiyya s'est traduit par l'imposition d'un nouveau cadre institutionnel qu'elle avait elle-même contribué à créer en développant une légitimité politique basée sur des présupposés religieux.The United Kingdom of Libya, established on 24 December 1951 under the crown of Idris al-Sanusi, found its legitimacy in Islam according to the way of the Sanusiyya, a religious Sufi brotherhood founded near Mecca in 1837, which had its centre of religious expansion in the Cyrenaic hinterland, and which became, during the 20th century, one of the symbols of the resistance to colonialism. Based on the examination of European archival sources, this paper aims to reconstruct the process of metamorphosis and exploitation of the Sanusiyya within the United Kingdom of Libya from 1951 to 1958, as well as to study its causes and consequences and its role as instrument of political legitimisation within the reign. Indeed, in the case of independent Libya, it can be argued that the Sanussi Islam represented a form of political power management within the national-state paradigm. Likewise, as the source of political legitimisation of independent Libya, the Sanusiyya underwent a process of bureaucratisation, i.e. an institutional degeneration whose sole purpose was the preservation of power. Starting with a brief overview of the organisation of political power in independent Libya, the essay develops by focusing, in the second and third paragraphs, on concrete examples that testify the exploitation of religion for political purposes made by the King, by the descendant branches of the Sanusiyya, and by personalities linked to the ṭarīqa through religious affiliation. The exploitation of the Sanusiyya, in fact, took place through the instrumentalisation of the ṭarīqa's past (anniversaries, celebrations), through the reconstitution of its religious network, as well as through the exploitation of the Sanusiyya membership, in order to obtain a political position in the State, or, in a more general way, some kind of power. These elements were exploited in the management of internal political affairs, such as educational matters, as well as for the foreign policy, in opposition to the ideals of Arab nationalism and Nasserism that were flourishing during the 1950s and penetrated the Kingdom from the Egyptian border, particularly through the educational sector. All these elements eventually sanctioned the decline of the social and religious distinction of the Sanusiyya within independent Libya, as well as a process of bureaucratisation. It can be said that, in the 1950s, Islam according to the way of the Sanusiyya and the reconstruction of its structure became the “barycentre of the new state”. Nevertheless, they lost their autonomy and were subjected to an extreme phenomenon of political exploitation implemented by the monarchy and, more in general, by the state itself. The ṭarīqa thus appeared to be a political instrument used at different levels: the result was a profound devaluation of its traditional role in society, which was experienced by the younger generation. Consequently, although it was the basis on which the independent Libya was built and legitimised, the Sanusiyya and its idea of Islam remained dependent on the state, which resulted in their transformation into an administrative apparatus. The change of the Sanusiyya within the State was thus defined by a combination of causes, first and foremost the political positioning of its šayḫ in the new Libya and the definition of a new functionality for the ṭarīqa. Whereas in the past the success of the Sanusiyya had depended on a precise autonomy toward the imperial structure of the Ottoman and colonial empires, so that the figure of the šayḫ was functional for the preservation of the Sufi Way and the transmission of Islamic knowledge, the political legitimisation of his function, as emir and king, led to a redefinition of the whole structure of the ṭarīqa. Hence, in the Libyan case, the establishment of a nation-state, built on and legitimised by the ṭarīqa, radically changed the structure and function of a religious institution, decreeing an adaptation to a model that was no longer theocentric but theocratic. The clash with a modern State model, built on the ṭarīqa and legitimised by it, also changed the function of Islam in relation to the State itself. It is therefore possible to argue that, within independent Libya, occurred a process of change and bureaucratisation for the Sanusiyya, to the extent that the ṭarīqa found itself acting within a new institutional framework that the brotherhood itself had helped to create and consolidate, by guaranteeing a political legitimacy based on religious assumptions.
- Les élites de l'ancien régime libyen : reconfigurations politiques en contexte transnational - Soraya Rahem p. 41-57 À l'effondrement de la Jamahiriya, les élites de l'ancien régime libyen subissent un déclassement politique et prennent la route de l'exil, notamment vers l'Égypte et la Tunisie voisine. Les bouleversements politiques induits par les révoltes et les révolutions arabes de 2011 tant en Libye que dans les pays voisins et l'émergence de nouveaux acteurs politiques rendent nécessaires une reconfiguration en contexte transnational. Héritiers de l'idéologie politique développée par Mouammar Kadhafi, les anciens du régime tentent de se réorganiser politiquement depuis l'étranger pour se repositionner en contexte postrévolutionnaire. S'ils dénoncent collectivement les évènements ayant conduit à la chute de Mouammar Kadhafi, ces acteurs n'incarnent pas pour autant une force politique unifiée. Une analyse de leur réorganisation politique met ainsi en évidence l'hétérogénéité de la « mouvance verte », divisée en plusieurs courants. Progressivement, les transformations géopolitiques induites par l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle présidence en Égypte en 2014 et par la mobilisation des acteurs internationaux pour la résolution du conflit depuis la Tunisie permettent aux élites en exil de faire entendre leur voix. Aussi, face à l'évolution de la guerre civile en Libye, les élites d'ancien régime parviennent à se redéployer politiquement par le biais de coalitions transnationales, en instrumentalisant l'instabilité politique et la menace islamiste. Elles se montrent ainsi capables de mobiliser leurs réseaux pour influencer le conflit à distance et façonner un environnement politique plus favorable à leur retour en Libye. Cet article analyse la reconfiguration des élites politiques de l'ancien régime libyen et met en lumière la façon dont l'espace transnational a pu constituer une opportunité politique leur permettant ultérieurement de se redéployer vers les sphères politiques nationales.Following the collapse of the Jamahiriya, former Libyan regime elites suffered a political downgrading and went into exile, notably to Egypt and neighboring Tunisia. The political upheavals brought about by the 2011 Arab revolts, revolutions both in Libya and in neighboring countries and the emergence of new political actors make it necessary to rearrange their situation in a transnational context. Heirs to the political ideology developed by Muammar Gaddafi, the regime's elders are trying to reorganize themselves politically from abroad in order to reposition themselves in a post-revolutionary context. Although they collectively denounce the events that led to the fall of Muammar Gaddafi, these actors do not represent a unified political force. An analysis of their political reorganization thus highlights the heterogeneity of the "green movement", divided into several currents. Gradually, the geopolitical transformations brought about by the arrival in power of a new presidency in Egypt in 2014 and by the mobilization of international actors for the resolution of the conflict from Tunisia are allowing the exiled elites to make their voices heard. Also, in the face of the evolving civil war in Libya, former regime elites are managing to redeploy themselves politically through transnational coalitions, by instrumentalizing political instability and the Islamist threat. They are thus able to mobilize their networks to influence the conflict from a distance and shape a political environment more favorable to their return to Libya. This article analyses the reconfiguration of the political elites of the former Libyan regime and highlights the way in which the transnational space may have constituted a political opportunity that allowed them to redeploy to the national political spheres.
- Être touareg dans le Sud libyen en transition: une citoyenneté encore inachevée - Pauline Poupart p. 59-81 À travers le portait du mouvement civil La Lil Tamyiz (« Non à la discrimination ») formé début 2020 par un groupe de jeunes touaregs originaires des régions de Ghât, d'Oubari et de Sebha dans le sud libyen, cet article se propose d'interroger, dans une perspective socio-historique, l'évolution de la mobilisation pour l'accès à la nationalité libyenne au sein de la communauté touarègue des années 1950 jusqu'au délicat contexte actuel. Ce mouvement comprend notamment un nombre important de jeunes touaregs d'origine saharo-sahélienne, nés et été éduqués en Libye mais qui ne bénéficient pas de l'ensemble des droits accordés aux citoyens libyens. A titre d'exemples, leur capacité de vote demeure limitée, de même que la possibilité pour eux d'accéder à certains établissements universitaires publics. Ils n'ont également pas accès à un passeport. Le mouvement a ainsi pour objectif principal l'accès à une nationalité libyenne « totale » représentée par la naturalisation, l'inscription sur le registre principal de l'état civil et l'obtention d'un livret de famille. Si l'ensemble de ces inégalités les contraint au quotidien dans leurs trajectoires personnelles et professionnelles, elles introduisent également une différenciation latente entre Touaregs « libyens » et Touaregs « sahéliens ». En effet, les premiers font originellement partie du groupe socio-politique des Kel Ajjer établi entre l'Algérie et la Libye. Bien qu'ils soient toujours restés mobiles entre les deux pays, ils ont été enregistrés comme libyens lors de l'indépendance du pays. Ils possèdent, depuis lors, un livret de famille et ont accès à la représentation politique ainsi qu'à l'ensemble des services publics de l'État. Les Touaregs dits « sahéliens » se sont, quant à eux, installés plus tardivement dans le Sud libyen. Ils y ont notamment trouvé refuge dans les années 1970, à la suite de sécheresses répétées au Nord du Mali et du Niger ainsi que des politiques de contrôle, voire de répression, exercées contre eux par les pouvoirs malien et nigérien de l'époque. En plus d'y trouver de meilleures conditions de vie et des opportunités de travail, la Libye de Kadafi fut aussi un moyen pour certaines franges politiques touarègues de venir se former au maniement des armes avant de lancer des épisodes de rébellion dans les années 1990. Un certain nombre d'entre eux sont alors revenus par la suite en Libye avec leurs familles. En dépit des décennies passées sur le territoire et des demandes renouvelées de naturalisation, les seuls papiers en leur possession demeurent les cartes d'identité ainsi que des numéros administratifs changeants. Cette distinction durable au sein de la communauté a actuellement des répercussions sur sa représentation politique et sur sa capacité plus large à être reconnue comme partie intégrante et légitime de l'ensemble national. La première partie de cet article s'intéressera ainsi à ces jeunes militants, à la fois comme héritiers des relations instrumentales entre le régime du Colonel Kadhafi et les Touaregs venus du Niger et du Mali et représentants d'une « nouvelle génération » qui utilise les réseaux sociaux, les manifestations et les adresses publiques aux autorités politiques comme moyens pour faire aboutir des procédures administratives qui ont connu des décennies de fluctuations pendant et après la chute du régime Kadhafi. La seconde partie est consacrée à l'analyse des limites rencontrées par une mobilisation pacifique telle que La lil tamyiz qui a, certes, pu se structurer et se déployer dans le pays comme à l'étranger mais dont la capacité d'action est désormais entravée par les blocages politiques au niveau national, les rivalités au sein de la communauté touarègue et, plus encore, par la multiplication des groupes armés au Sud qui par leur violence confisquent l'espace public et font de celle-ci, dans leur rhétorique, le moyen le plus efficace pour accéder à terme à l'obtention des droits. Cette recherche s'appuie à la fois sur des références bibliographiques concernant les Touaregs en Libye, sur des documents et publications issus du mouvement et sur une sélection d'entretiens menés à l'oral ou à l'écrit en arabe, en français et en anglais, via les réseaux sociaux (WhatsApp, Skype) - avec des militants et militantes résidants dans le Sud libyen ou à l'étranger. Des échanges menés lors de mes terrains de thèse au Sud de l'Algérie et au Nord du Niger sont également utilisés comme compléments du fait des témoignages qu'ils apportent sur l'expérience combattante de certains Touaregs maliens et nigériens au sein de la Légion islamique et sur leur conservation d'attaches familiales en Libye.This article draws a portrait of a civil movement named La Lil Tamyiz (“No to discrimination”), formed at the beginning of 2020 by a group of young Tuaregs originating from the regions of Ghat, Ubari and Sebha. It questions, from a socio-historical perspective, the evolution of the mobilisation to access Libyan citizenship undertaken by the Tuareg community since the 1950s. This movement includes an important number of young Tuaregs of Sahelian origins, who were born and raised in Libya but did not benefit from the same rights granted to Libyan citizens. As an illustration, their voting capacity is limited as to their possibility of registering in the public universities of their choice. They also cannot apply for a national passport. The movement's first goal is to gain access to “full” Libyan nationality, meaning naturalisation, inscription on the general population register and obtention of the ‘family booklet'. These inequities are a hurdle in their daily individual and professional lives. They also have negative repercussions by creating a differentiation between “Libyan” Tuaregs and “Sahelian” ones. The first group mentioned is originally part of the Kel Ajjer community that established itself between Algeria and Libya. Despite their historic transnational movements and connections between both countries, they were registered as Libyan citizens when Libya became independent. Since the 1950s, they possess a family booklet that grants them access to political representation and all public services. The “Sahelian” Tuaregs came later to the country, looking for better conditions in the 1970s, as they were hit by repeated droughts and growing political surveillance and repression by the Malian and Nigerien authorities at the time. In addition, in order to improve their living conditions and potential job opportunities, they also found under Ghadafi's regime the possibility to be trained militarily, hoping to use these skills in further rebellions in their home countries during the 1990s. Some of them did return to Libya after and joined the ones who decided to settle with their families. Despite the decades spent in the Libyan South and the renewed demands for naturalisation, the only papers they possess are identity cards and changing administrative numbers. This lasting distinction in the community currently results in a flawed political representation and questions the ability to be recognised more broadly as a whole and legitimate part of the national ensemble. The first part of the argument will present these militants both as heirs of the instrumental relations that connected the Gadhafi regime with the Tuaregs from Niger and Mali and as representatives of a “new generation” who uses social networks, demonstrations and public addresses to national authorities, hoping to advance the ever-changing administrative procedures engaged during Gadhafi's time and after. The second part will analyse the limits to peaceful mobilisations like La Lil Tamyiz. If the movement could structure itself and expand in the country and abroad, it is currently constrained in its capacity for action. The main hardships it faces are the blocked political situation at the national level, internal rivalries among the Tuareg community and, most of all, the multiplication of armed groups who confiscated the public space while framing the use of force as the ultimate tool to access rights. This research is based on a review of the leading publications about Tuaregs in Libya, on documents and publications issued by the movement as to a selection of interviews with militants in the country and abroad via written or oral exchanges using social media (Whatsapp, Skype). Additional interviews from my PhD fieldwork in South Algeria and North Niger are also used as complementary elements regarding the experiences of former Malian and Nigerien Tuareg fighters in the “Islamic legion” who have maintained family ties in Libya.
- Regarder au-delà des élections : l'historicité complexe de la participation politique dans la Libye contemporaine - Chiara Loschi, Chiara Pagano p. 83-108 Au lendemain de la chute du régime Kadhafi, lorsque le Conseil national de transition soutenu par l'OTAN a proclamé le début de la transition du pays dans l'aout 2011, une inquiétude croissante s'est manifestée quant à la future configuration institutionnelle de la Libye et à la nécessité de désigner de nouvelles autorités par des élections. Depuis lors, les élections ont été considérées par de nombreux chercheur.e.s internationaux comme des critères permettant de mesurer les progrès du changement de régime en Libye et de statuer sur l'(im)possibilité de la démocratie et l'incapacité de la société libyenne à mettre en place des modes de gouvernance institutionnalisés. Plusieurs études critiques ont abordé le changement politique en Afrique du Nord et au Moyen-Orient après 2011 en déplaçant l'attention des institutions et de la compréhension procédurale de la praxis démocratique au plus près de la société et de ses transformations structurales, en soulignant le rôle des mobilisations populaires visant à remettre en question les décisions de la classe dirigeante, à articuler des demandes politiques alternatives à celles articulées par les autorités intérimaires, ou encore à rejeter des élections considérées comme des simples outils de la « mise en scène de la démocratie » (Benzenine, 2020 ; Gana et Van Hamme, 2020). Cependant, rarement ces perspectives ont été appliquées à l'analyse de la Libye d'après-Kadhafi, où l'acquisition axiomatique de l'existence d'un lien positif entre les élections et la transition démocratique a occulté les potentialités d'un débat englobant toutes les politiques du devenir qui se déroulent même à travers des mobilisations politiques qui échappent et souvent contestent la dynamique électorale. Le choix de l'élection comme la priorité absolue de la Libye post-Kadhafi et le moyen de mettre fin aux rivalités entre les autorités intérimaires, pourtant, n'a jamais été interrogé de façon critique. Dans ces lectures, l'abstentionnisme ou la pratique de délégitimation des autorités élues ont été attribués au manque de la part des citoyens libyens de culture politique démocratique et de la connaissance des instruments institutionnels tant au niveau individuel que collectif, après quelques 42 ans de dictature. Notre contribution soutient qu'il est nécessaire de se départir de ces conceptions normatives du politique en général pour formuler un autre regard et débattre des formes alternatives de gouvernance délibérative. Nous proposons de renverser la perspective transitologique qui se penche sur l'absence, le report ou l'inefficacité des élections libyennes pour expliquer l'obstacle à l'émergence d'un État démocratique. C'est le manque de canaux efficaces pour promouvoir un débat véritablement inclusif sur la Libye postrévolutionnaire qui entrave la possibilité d'achever le processus de révolution d'un système de pouvoir oppressif, excluant et corrompu initié par le soulèvement du 17 février 2011. Afin d'éclairer le scénario politique actuel, nous proposons ici de reconsidérer le politique par le bas, là où les seules perturbations à l'ordre du modèle néo-libéral ont été détectés jusqu'à présent – et donc désignées par les termes de « chaos », « d'absence d'État » ou de « culture politique ». En adoptant une approche qui se veut centrée sur les stratégies et pratiques de renégociation du politique par les Libyen.ne.s, et raisonnant donc en termes de politique du devenir plutôt qu'en termes de politique de la transition (Dakhlia, 2016), cette analyse requiert de reconsidérer les expériences historiques d'expérimentations politiques et mobilisations sociales qui ont caractérisée le pays dans la longue durée comme des précédents utiles à mieux saisir les formes actuelles d'engagement politique aux niveaux individuelle et collective. Pour faire cela, nous nous inspirons de l'historiographie sur la Libye moderne, afin de donner une perspective diachronique au débat sur les pratiques multiformes de participation, de légitimation et de délibération politiques dans le pays, au-delà du modèle néolibéral de démocratie. L'enjeu est d'interroger les raisons pour lesquelles les organes représentatifs transitoires de la Libye ne se sont simplement pas effondrés au lendemain des premières élections de juillet 2012 mais, au contraire, ont essaimés en centres de pouvoir rivaux ainsi que, dans certains cas, en institutions fantômes, tout en donnant naissance à des organes locales plus efficaces au niveau infranational. La perspective historique montre, en effet, que ces stratégies de mobilisation conflictuelle témoignent non pas du refus des procédures démocratiques, mais plutôt de la partialité des procédures de représentation des autorités transitoires. Les formes actuelles de mobilisation individuelle et collective, alternatives et même opposées à la démocratie électorale, peuvent constituer des moyens de participer au processus d'articulation d'imaginaires radicalement nouveaux pour les présents de la Libye post-Kadhafi. Ils ne représentent pas non plus la résurgence de conflits prétendument inhérents à la société libyenne labélisée selon certaines expressions orientalistes comme « traditionnelle », incapable de toute forme de capacité d'organisation politique, caractérisée par « l'anarchie », le « désordre » ou « l'immaturité politique ». Elles témoignent plutôt du refus stratégique par certain.e.s citoyen.ne.s, associations, et organisations des représentants intérimaires perçus comme incapables de fournir des formes significatives de représentation politique. Ces revendications constituent des manières de pratiquer la démocratie en abordant la question de la représentation « autrement », ce qui fait écho à d'autres phases de l'histoire du pays.In the aftermath of the Gaddafi regime's fall, when the NATO-backed National Transitional Council proclaimed the start of the country's transition, in August 2011, a growing concern emerged about the future institutional configuration of Libya and the need to designate new authorities through elections. Since then, many international scholars have considered elections as a yardstick to measure the progress of Libya's regime change and to determine the (im)possibility of democracy or the inability of Libyan society to establish institutionalised modes of governance. Several critical studies have approached political change in North Africa and the Middle East after 2011 by shifting the focus from institutions and procedural understandings of democratic praxis to society and its structural transformations. The role has been emphasized of popular mobilisations aimed at challenging the decisions of the ruling class, articulating alternative political demands to those articulated by the interim authorities, or rejecting elections as mere tools for the 'staging of democracy' (Benzenine, 2020; Gana and Van Hamme, 2020). However, these perspectives have been rarely applied to the analysis of post-Gaddafi Libya, where the axiomatic acquisition that a positive link exists between elections and democratic transition has obscured the potentialities of engaging into a scholarly debate encompassing all the “politics of becoming” that might be detected by looking even at those mobilisations that escape and often contest the electoral dynamic. The choice of individuating elections as the top priority of post-Gaddafi Libya and the means to end rivalries between interim authorities, in fact, has never been critically interrogated. In these readings, abstentionism or the practice of delegitimising the elected authorities has been attributed to the lack of democratic political culture and knowledge of institutional instruments on the part of Libyan citizens, both individually and collectively, after some 42 years of dictatorship. Our contribution argues that it is necessary to move away from these normative conceptions of politics in general in order to formulate different readings on and discuss alternative forms of deliberative governance. We propose to reverse the transitological perspective that focuses on the absence, postponement, or ineffectiveness of Libyan elections as an obstacle to the emergence of a democratic state. We argue it is the lack of effective channels to promote a truly inclusive debate on post-revolutionary Libya that hinders the possibility of completing the process of revolutionizing an oppressive, exclusionary, and corrupt power system initiated by the 17 February 2011 uprising. To shed light on the current political scenario, we propose here to reconsider the political from below, and namely by looking where only disruptions to the neo-liberal model of functioning democracies have been detected so far - and thus in most manifestations referred to as 'chaos', 'statelessness' or absence of 'political culture'. In order to adopt an approach that focuses on the strategies and practices of renegotiating politics experimented by Libyan citizens, and thus reasoning in terms of the politics of becoming rather than the politics of transition (Dakhlia, 2016), this analysis has required reconsidering the historical experiences of political experimentation and social mobilisation that have characterised the country over the long term as useful precedents to better understand current forms of political engagement at the individual and collective levels. We, therefore, draw on the historiography of modern Libya so as to approach the debate on the multifaceted practices of political participation, legitimation and deliberation in the country from a diachronic perspective and moving beyond the neoliberal model of democracy. The challenge is to interrogate why Libya's interim representative bodies did not simply collapse in the aftermath of the first elections in July 2012 but, instead, swarmed into rival centres of power as well as, in some cases, shadow institutions, while giving rise to more effective local bodies at the sub-national level. The historical perspective shows, in fact, that these strategies of conflictual mobilisation do not reflect a refusal of democratic procedures, but rather the partiality of the representation procedures of so-called transitional authorities. The current forms of individual and collective mobilisation, which are alternative and even opposed to electoral democracy, may be considered as other modes of popular participation in the process of articulating radically new imaginaries for the many possible presents that are currently in-the-making in post-Gaddafi Libya's. Hence, they do not represent the mere resurgence of conflicts allegedly inherent to Libyan society labelled according to certain orientalist expressions as "traditional", incapable of any form of political organisation capacity, characterised by "anarchy", "disorder" or "political immaturity". Rather, they reflect the strategic rejection by some citizens, associations, and organisations of interim representatives perceived as incapable of providing meaningful forms of political representation. These claims are ways of practising democracy by addressing the issue of representation 'otherwise', which also echoes other phases of the country's history.
- Imagined Libya: geopolitics of the margins - Luca Raineri p. 109-124 Qu'il s'agisse de l'artificialité de sa construction (post-)coloniale ou de la fragmentation de sa souveraineté depuis 2011, la faiblesse de l'État libyen est un thème récurrent du discours politique et scientifique. Les recherches en histoire et politique internationale ont élargi le cadre d'analyse du processus de (dé)formation de l'État (qui sous-tend les fragilités de la Libye contemporaine) au-delà du paradigme problématique de l'« État défaillant », afin d'intégrer des perspectives multi-scalaires et de longue durée. L'article s'appuie sur ces avancées théoriques mais constate également la nécessité d'un emploi plus cohérent de l'approche socio-constructiviste. Il adopte dès lors la perspective de la géopolitique critique pour explorer les discours et les imaginaires spatiaux, tant nationaux qu'importés, qui ont façonné la « Libye », dans ses composantes internes et son environnement externe, à travers les processus historiques de construction d'identités, altérités et appartenances. Puisque la notion de géopolitique et ses variantes critiques sont utilisées – parfois abusivement – de façon très diverses, la première section de l'article tâche de clarifier le sens, la pertinence et la méthodologie de l'approche de géopolitique critique employée. On avance l'idée que la Libye se trouve à l'intersection d'imaginaires géopolitiques rivaux et de sphères d'influence concurrentes qui se chevauchent et se heurtent. Les sections suivantes de l'article analysent les discours géopolitiques issus de différentes sources afin de passer en revue certains imaginaires spatiaux importants qui ont contribué à représenter, constituer et appréhender la Libye en tant que sujet et objet de la politique internationale : l'environnementalisme de la géographie ancienne ; le colonialisme impérial de l'Italie ; le panarabisme et, plus tard, le panafricanisme de Kadhafi ; et le pan-Ottomanisme turc. Avant la colonisation moderne, l'imaginaire du territoire libyen a longtemps été appréhendé à travers la dichotomie entre espaces urbains (hadari) et ruraux (badawi), dont le centre de gravité politique et normatif oscillait des premiers (pendant l'hégémonie arabe puis ottomane) aux seconds (lors de la montée des Sanussi). Pendant la colonisation italienne, la Libye a été subsumée dans les projections méditerranéennes de l'Italie, aussi bien comme « quatrième rive » nécessaire à l'expansion italienne dans son « propre » Lebensraum, qu'en tant que lien connectant l'Europe et l'Afrique au sein d'une entité géopolitique unitaire appelée Eurafrique. Le panarabisme et le panafricanisme de Kadhafi combinaient un opportunisme politique à court terme avec une tentative plus ambitieuse de remettre en question les imaginaires géopolitiques coloniaux et néocoloniaux concernant l'identité et l'appartenance du pays, ainsi que les priorités de sécurité qui en découlent. Pourtant, ils ont tous deux contribué à la manipulation des clivages ethniques, à l'instrumentalisation (de la recherche) de l'histoire du pays, et finalement à la progressive perte de légitimité du régime. Aujourd'hui, la Libye a acquis un rôle de premier plan dans l'imaginaire géopolitique de la Turquie. Après plus d'un siècle d'indifférence, l'émergence d'un répertoire géopolitique pan-Ottoman en Turquie et l'accent nationaliste mis sur la rédemption du vatan (la patrie) permettent d'interpréter le regain d'intérêt turc pour la Libye et la justification de son intervention militaire. L'exploration de ces imaginaires géopolitiques importants à propos de la Libye met en lumière les tensions, les intersections et les divergences qui sous-tendent les interprétations d'un même territoire. L'héritage durable de ces imaginaires géopolitiques concurrents se révèle comme un facteur constitutif plausible à l'origine des polarisations et des conflits qui mettent en danger la stabilité et la survie de l'État libyen. La mise au jour d'imaginaires géopolitiques concurrents peut donc contribuer à éclairer les approches divergentes des acteurs internationaux qui interviennent dans le pays, et celles de leurs alliés libyens qui luttent pour être reconnus, y compris les alliés de la Turquie ou les acteurs libyens qui se posent en gardiens des portes de l'Europe dans les itérations contemporaines de l'imaginaire géopolitique ambivalent de l'Eurafrique. Une approche de géopolitique critique permet ainsi de remettre en question la vision obsolète et pourtant répandue de la marginalité de la Libye dans le système international, montrant qu'elle se fonde sur des idées reçues et réifiées de la partition, la position et la constitution de l'État libyen. Au contraire, c'est précisément la position de la Libye à la périphérie des imaginaires géopolitiques rivaux et des sphères d'influence concurrents qui en fait un confluent de vecteurs stratégiques et donc un centre de préoccupation.Whether referring to the artificiality of its (post-)colonial construction or to the fragmentation of its sovereignty since 2011, the weakness of Libya's statehood is a recurrent theme in policy and scholarly discourses. Scholars of history and international politics have expanded the framework to apprehend the processes of state (de/)formation underpinning Libya's fragilities beyond the problematic “failed state” paradigm to accommodate longue-durée and multi-scalar perspectives. Building on these advances, yet noting the need for a more consistent use of social constructivist lenses, the article adopts the perspective of critical geopolitics to explore the spatial discourses and imaginaries, both domestic and imported, that across history have shaped “Libya”, as well as its internal constituents and its external environment, through processes of identification, othering and belonging. Given the diversity of uses – and abuses – connoting geopolitics and its critical variants, the first section of the article clarifies the meaning, relevance and methodology of the critical geopolitics approach herein employed. It is argued that Libya sits at the intersection of rival geopolitical imaginaries and competing spheres of influence that overlap and collide here. The subsequent sections analyze geopolitical discourses from different sources to offer a review of some important spatial imaginaries that have contributed to representing, constituting and apprehending Libya as a subject and an object of international politics: ancient geography's environmentalism; Italy's imperial colonialism; Gaddafi's pan-Arabism and, later, pan-Africanism; and Turkey's pan-Ottomanism. Before modern colonisation, the imaginary of (today's) Libyan territory was long apprehended through the dichotomy between urban (hadari) and rural (badawi) spaces, with the political and normative centre of gravitation oscillating from the former (during the Arab and later Ottoman hegemony) to the latter (during the rise of the Sanussi order). During the Italian colonisation, Libya was subsumed in Italy's Mediterranean projections, whether as a necessary “fourth shore” to Italy's expansion in its “own” Lebensraum, or as a bridge welding Europe and Africa within a unitary geopolitical entity called Eurafrica. Gaddafi's pan-Arabism and pan-Africanism combined short-term political opportunism with a more ambitious attempt to challenge (neo-)colonial geopolitical imaginaries about the country's identity and belonging, and its related security priorities. Yet they both contributed to the abusive manipulation of domestic ethnic cleavages, the weaponization of (the research into) the country's history, and the progressive de-legitimation of the regime. Today, Libya has acquired a prominent role in Turkey's geopolitical imaginary. After more than a century of substantial disregard, the rise of a pan-Ottoman geopolitical repertoire in Turkey and the nationalistic emphasis on the redeeming of the vatan (homeland) provide the key for interpreting Turkey's resurrecting interest in Libya, and the justification of its military intervention vis-à-vis Ankara's domestic audiences. The exploration of these prominent geopolitical imaginaries on, by and about Libya highlights the tensions, intersections, and divergences underpinning different interpretations of the same territory. The enduring legacy of competing geopolitical imaginaries points to a plausible constitutive factor laying at the root of the polarisations and conflict dynamics that endanger the stability and survival of the Libyan state. Unearthing the competing geopolitical imaginaries on Libya can thus help illuminate the divergent approaches of the international actors intervening in the country, and those of their Libyan proxies struggling for recognition, be they Turkey's allies, or Libya's armed actors posturing as Europe's gatekeepers in the contemporary iterations of the ambivalent geopolitical imaginary of Eurafrica. A critical geopolitics approach thus helps challenge the obsolete yet widespread view of Libya's marginality in the international system, by unsettling reified spatial assumptions about the partition, position and constitution of Libya's state. It is precisely Libya's position at the periphery of rival geopolitical imaginaries and asserted spheres of influence that makes of it a crossroad of strategic vectors, a hotspot of collisions, and therefore a centre of concern.
Varia et recherches en cours
- La maternité célibataire au Maroc : pour une approche dynamique de l'expérience - Amal Bousbaa p. 127-140 Dans cet article, nous partons du principe qu'une lecture fataliste de la maternité célibataire au Maroc fait échapper à l'analyse des aspects importants en lien avec les modalités de gestion de cette expérience et les actions adoptées au quotidien par les mères célibataires pour réorganiser leur vécu. L'hypothèse à vérifier consiste à présumer que la maternité célibataire, en dépit de l'exclusion et de la précarité qu'elle engendre, ne représente pas nécessairement une expérience qui sépare entièrement les mères célibataires du monde social et qui les dépossède de toute possibilité d'action et d'affirmation. L'enquête qualitative menée par le biais d'entretiens approfondis et de l'observation (directe et participante) ont permis de s'arrêter sur les logiques d'actions des mères célibataires et sur leur positionnement dans les interactions au quotidien avec leur entourage social. Les données du terrain issues de cette enquête démontrent une tendance chez elles à s'efforcer de surmonter les implications des facteurs objectifs (analphabétisme, insuffisance scolaire, travail précaire, chômage, etc.) et subjectifs (stigmatisation, mise à l'écart, etc.) de leur précarité et de leur exclusion. Elles manifestent une résistance face à la difficulté de leur vécu par le recours à des adaptations et à des stratégies multiples. Pour échapper aux répercussions d'une image sociale souillée par le stigmate, systématiquement associée à leur statut, des mères célibataires s'approprient d'autres statuts matrimoniaux ayant plus de légitime sociale, d'autres cherchent à contrôler l'information sur leur stigmate en quittant le quartier d'habitation ou la ville d'origine. Quand les stratégies de contournement du stigmate ne peuvent être mises en œuvre, des mères célibataires s'affirment dans leurs interactions sociales en faisant face aux jugements négatifs des autres. Affrontements, conflits, contre-rejet sont autant de réactions qui procurent aux mères célibataires le sentiment qu'elles font autorité et leur permettent de préserver une image positive d'elles-mêmes. Suite à leur transgression des normes sociales communément admise, les liens sociaux des mères célibataires se trouvent souvent affectés. Toutefois, cela n'implique pas nécessairement une rupture irrémédiable de ces liens avec leur entourage social. En effet, en dépit de la fragilisation des liens sociaux, notamment ceux antérieurs à la maternité célibataire (famille, amis, voisins, etc.), des mères célibataires arrivent à réinstaurer les liens délités et à mobiliser des ressources en provenance de leur nouvel environnement social. Cela dit, elles ne sont pas entièrement séparées du monde social, leur sociabilité est en permanente construction et remodelage. Ainsi, des liens se dissocient, d'autres se renouent et se créent. Les mères célibataires mobilisent aussi bien des ressources sociales antérieures, que celles renouées avec la maternité célibataire. La mobilisation de ces ressources sociales leur permet de se renseigner sur les manières de s'adapter, de parvenir à calfeutrer une identité dévalorisée socialement, de surmonter leur précarité socio-économique, et de là savoir se comporter face aux difficultés de la vie quotidienne avec un minimum d'effort et de temps. Aux ressources sociales mobilisées s'ajoute des ressources institutionnelles, notamment associatives, et aussi des ressources professionnelles permettant aux mères célibataires de s'intégrer facilement dans le domaine du travail, en dépit de la précarité des emplois exercés. Avec autant de ressources, une mère célibataire tend vers une reconstitution d'une nouvelle place dans le monde en y tissant de nouveaux rapports à soi et aux autres. L'analyse démontre que les mères célibataires ne demeurent pas passives face aux manifestations de leur stigmatisation et de leur précarité sociale. Leur affirmation se traduit par une mise en place d'un éventail de stratégies (stratégies de contournement, stratégies d'alliance, stratégies de survie) dont le but principal est le repositionnement dans les rapports sociaux. Ces stratégies permettent de contrecarrer les menaces de basculement dans une position plus défavorable socialement.Single motherhood in Morocco often refers to a difficult experience marked by social exclusion. Indeed, pre-established legal, religious and social norms prohibit sexuality and reproduction outside of marriage. In a context marked by social control of reproduction and the repression of transgressive sexualities, particularly sexual relations outside of marriage, single mothers find themselves alone to take care for a child born out of wedlock, and to face an experience marked by social stigmatization and precariousness. The aim of this article is to understand how single mothers act in the face of an excluding social environment. How do they manage to adapt and reorganize their lives around the experience of single motherhood? What are the strategies and resources deployed to achieve this? The hypothesis put forward here consists in assuming that single mothers do not go through the path of exclusion without showing resistance and an ability to reorganize their new life. Based on a qualitative survey conducted as part of a doctoral thesis in Sociology, the analysis aims to account for the adaptations of single mothers and the strategies put in place to deal with the repercussions of stigma in everyday social interactions.
- Une gestion plurielle des illégalismes : négociations et contradictions dans la régulation des eaux usées au Maroc - Pierre-Louis Mayaux, Naïma Fezza, Zhour Bouzidi p. 141-156 Les travaux sur la gestion des illégalismes par l'État se focalisent le plus souvent sur leur traitement différentiel selon les groupes sociaux concernés. Ce faisant, ils s'intéressent moins aux rapports de force, négociations et compromis internes à l'État qui façonnent la régulation des pratiques illicites. En miroir de la gestion différentielle des illégalismes, cet article se penche ainsi, dans le cas du Maroc, sur leur gestion plurielle, telle qu'elle émerge des interactions entre une diversité d'organisations publiques concernées par un même ensemble de pratiques extra-légales, et qui nourrissent des positionnements différents à leur égard. Il le fait en étudiant l'utilisation d'eaux usées non traitées, donc fortement contaminées, pour une petite agriculture maraîchère au cœur de la ville de Meknès. La gestion de ces usages d'eau illicites implique en premier lieu les agents locaux du ministère de l'Intérieur (les moqqadems) ainsi que leur hiérarchie (caïds, Direction générale des affaires intérieures à Rabat). Mais elle mobilise également d'autres acteurs publics, à l'image de la Régie autonome de distribution de l'eau et d'électricité de Meknès (RADEM), de l'Agence de bassin hydraulique du Sebou (ABHS) qui délivre les autorisations d'usage de l'eau, et de la commune de Meknès. Comment toutes ces organisations interagissent-elles donc dans la gestion de ces illégalismes, et avec quels effets ? L'enquête révèle que la gestion des illégalismes est parcourue de tensions et de contradictions entre ces différents segments de l'État. Ces tensions engendrent des compromis instables et de fréquents basculements entre indulgence, négociations et coercition. Ainsi, les moqqadems se montrent structurellement portés à l'indulgence en raison de deux facteurs principaux : leur confrontation directe et quotidienne avec les capacités de résistance collective des usagers, qui les dissuade de réprimer trop fortement ; et leur homologie de position subalterne avec ces derniers, qui les rend sensible à l'économie morale de la subsistance qui anime les agriculteurs. Mais cette posture d'indulgence avive les tensions avec d'autres acteurs publics. C'est notamment le cas de la RADEM, qui voit une partie des eaux usées être interceptées avant de parvenir à sa station de traitement, ce qui en menace le bon fonctionnement. Ses responsables regrettent la tolérance dont font preuve les moqqadems, en même temps qu'ils critiquent l'inaction de l'ABHS qui a pour mandat légal de vérifier, en collaboration avec le ministère de l'Intérieur, la légalité des prélèvements en eau. La commune de Meknès cherche également à interrompre ces pratiques qui vont à l'encontre de sa stratégie de mise en place d'une zone paysagère et récréative dans cet espace urbain central. Ces diverses pressions conduisent les moqqadems à façonner des compromis changeants et incertains avec les agriculteurs, marqués en particulier par une recherche d'invisibilisation des illégalismes dans l'espace public. Ainsi, et contrairement à ce que la littérature sur les indulgences de l'État tend le plus souvent à montrer, la régulation des pratiques illicites ne garantit nullement un échange politique minimalement satisfaisant entre gouvernants et gouvernés. Les frustrations abondent plutôt de part et d'autre. Nombres d'acteurs administratifs souhaiteraient en effet des sanctions bien plus fermes ; tandis que les moqqadems sont sans cesse exposés à des pressions contradictoires, entre demandes de coercition, capacités de résistance des agriculteurs et reconnaissance de leur droit à la subsistance. Quant aux agriculteurs, la perpétuation de leurs pratiques illicites ne leur ouvre pas la perspective d'un véritable développement, mais témoigne plutôt d'une situation d'impasse et d'absence d'alternative. Comme ailleurs, la situation irrégulière est vécue comme une forme de « citoyenneté dégradée » : elle constitue un agencement complexe, précaire et sans cesse modifié de légalité et d'illégalité. L'élargissement de l'analyse à l'ensemble des intervenants étatiques impliqués dans la gestion des illégalismes permet ainsi de ne pas présupposer trop hâtivement la fonctionnalité de cette gestion pour la reproduction de l'ordre social. La régulation plurielle et souvent contradictoire des illégalismes n'engendre pas nécessairement la gratitude et la loyauté politique des publics concernés. Elle révèle tout autant la fragilité et l'instabilité des compromis entre l'État et ses populations subalternes, et les frustrations que ces compromis engendrent.Foucaldian studies on the management of popular illegalisms tend to focus on their differential treatment by the State according to the social groups concerned. In doing so, they have been less interested in the everyday power relations, negotiations and compromises within the state that shape the regulation of illegal practices. In the case of Morocco, this article thus looks at the plural management of illegalisms -rather than their differential one- as it emerges from the interactions between a variety of public agencies concerned with the same set of extra-legal practices, and which have different positions regarding them. It does so by studying the use of untreated, and therefore highly contaminated, wastewater for small-scale market gardening in the heart of the city of Meknes. The management of these illicit water uses primarily involves local agents of the Ministry of the Interior (the moqqadems) as well as their hierarchy (qaïds, General Directorate of Local Authorities in Rabat). But it also includes other public agencies, such as the water company (RADEM), the Sebou river basin agency (ABHS) which issues water use permits, and the city of Meknès. How, then, do all these organizations interact in the management of these illegalities, and with what effects ? The fieldwork reveals that the management of illegalisms is fraught with tensions and contradictions between different segments of the state. These tensions lead to unstable compromises and frequent shifts between forbearance, negotiation and coercion. Thus, the moqqadems are structurally inclined to forbearance because of two main factors : their daily confrontation with users' capacities of resistance, which dissuades them from repressing too harshly ; and their homology of subaltern position with the latter, which makes them sensitive to the moral economy of subsistence that animates the farmers. However, this posture of indulgence only heightens tensions with other State actors. This is particularly the case with the water company, RADEM, which sees some of its wastewater being intercepted before reaching the treatment plant, which threatens its proper functioning. RADEM officials lament the tolerance shown by the moqqadems, while also criticizing the inaction of the ABHS despite its legal mandate to verify, in collaboration with the Ministry of the Interior, the legality of water withdrawals. The municipality of Meknes is also trying to put an end to farming practices, which run counter to its strategy of setting up a “green” and recreational space in the area. These various pressures lead the moqqadems to forge shifting and uncertain compromises with the farmers, marked in particular by an attempt to invisibilize their practices in the public space. Thus, and contrary to what the literature on state indulgences generally demonstrates, the regulation of illicit practices in no way guarantees a minimally satisfactory political exchange between the rulers and the ruled. Rather, frustrations abound on both sides. Many State actors would like to see much stronger sanctions, while the moqqadems are constantly exposed to contradictory pressures, including calls for coercion, farmers' capacity to resist and adapt, and the recognition of their moral right to subsistence. As for the farmers, the perpetuation of their illicit practices does not open up any prospect of genuine development, but rather epitomizes a situation of deadlock and lack of alternative. As elsewhere, the illegal condition is experienced as a form of "degraded citizenship" : it constitutes a complex, precarious and constantly shifting combination of legality and illegality. Broadening the analysis so as to include all state actors involved in the management of illegality thus makes it possible not to presume the functionality of this management for the reproduction of the social order. The plural and often contradictory regulation of illegalisms does not necessarily nurture the gratitude and political loyalty of the public concerned. It reveals as much the precarity and instability of the compromises between the state and its subaltern populations, and the frustrations that these compromises engender.
- L'entrepreneuriat touristique local : une opportunité d'inversion du processus de marginalisation d'un centre historique ? Une analyse dans la médina de Fès au Maroc - Merryl Joly p. 157-170 Cet article s'intéresse au processus de démarginalisation de la médina de Fès par l'entrepreneuriat touristique. Il l'explore sous trois angles complémentaires : la représentation de l'espace de la médina qui a évolué positivement, le « laisser-faire » des pouvoirs publics locaux qui a aussi servi d'encouragement et le statut des nouveaux entrepreneurs marocains qui analysent leur propre action. Ils défendent notamment leur mise en valeur synonyme d'« authenticité marocaine » dans leur discours auprès des touristes ; ils s'impliquent dans les débats politiques sur le développement touristique local par le biais des associations et des réseaux professionnels. Les enquêtes de terrain ont été menées en juin-juillet 2018 et en décembre 2019, complétées par des observations réalisées comme résidente dans la médina de Fès entre 2016 et 2020, puis à nouveau à deux reprises lors de la crise sanitaire. Vingt entretiens au total ont été conduits : dix avec des familles modestes qui ont reconverti leur maison progressivement, à partir de revenus tirés d'emplois peu qualifiés dans différentes branches (tourisme, artisanat, restauration) ; deux dans des foyers défavorisés qui ont bénéficié de l'aide des pouvoirs publics par le biais du programme « Ziyarates Fès » ; trois auprès d'entrepreneurs touristiques qui sont aussi de grands propriétaires. Ces derniers possèdent des agences de voyage, des restaurants et/ou plusieurs maisons d'hôtes ou hôtels, en médina comme dans la ville nouvelle. Cinq entretiens enfin ont eu lieu avec des acteurs associatifs et publics locaux, qu'ils soient membres de l'Association des riads et maisons d'hôtes de Fès (ARMH-Fès), de la municipalité, du Centre régional d'investissement ou du Conseil régional du tourisme de la ville. Dans un premier temps, l'article dresse un état des lieux synthétique de la médina depuis le Protectorat français (1912-1956) jusqu'à la fin des années 2010. Il insiste sur sa marginalisation sociale, économique et politique jusqu'au début des années 1980. L'engouement pour les anciennes maisons et leur reconversion en maisons d'hôtes par des étrangers ont ensuite suscité l'intérêt des pouvoirs publics qui ont cherché à accompagner cette nouvelle dynamique entrepreneuriale pour mieux l'encadrer et la gérer. Le cadrage juridique à l'échelle nationale, défini en 2002, s'est vite montré insuffisant et la définition d'un nouveau réglement, en 2014, n'a pas permis de répondre à la diversité des nouvelles formes d'hébergement. Cependant, les pouvoirs publics locaux ont suppléé partiellement à ces carences en délivrant des autorisations de « maison prête à louer » à partir de 2009. Ils ont ainsi permis à de nombreux entrepreneurs touristiques marocains et étrangers d'ouvrir et d'exploiter leurs maisons d'hôtes. Parallèlement à ces autorisations, un programme d'accompagnement des familles les plus modestes a été mis en place pour la reconversion des maisons. Il encourage le logement chez l'habitant par le biais du label « Ziyarates Fès ». Ces mesures locales ont aidé les familles défavorisées à s'impliquer dans la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine matériel et immatériel de la médina. Chaque profil d'entrepreneur met en avant sa défense d'une « authenticité marocaine » articulée autour de l'héritage immatériel, notamment familial. Cependant, de nouvelles différenciations sociales creusent les écarts entre ces acteurs privés. Leur engagement associatif témoigne d'un renforcement de la position socio-économique des grands propriétaires au détriment des plus modestes. Ces derniers restent à la marge des discussions au sein de l'ARMH-Fès quand ils n'en sont pas exclus. Ceux qui ne disposent que du statut de « maison prête à louer » apparaissent dans une position fragile. Leurs difficultés à se constituer en collectif nuit également à leur reconnaissance. Ils se débattent alors dans une forme d'informalité, tolérés par les autorités locales mais à l'écart des débats sur le développement touristique de la médina de Fès.This article focuses on the process of demarginalization of the medina of Fez through tourism entrepreneurship. It explores it from three complementary angles: the representation of the medina space that has evolved positively, the "laissez-faire" of local public authorities that has also served as an incentive, and the status of the new Moroccan entrepreneurs who analyze their own actions. In particular, they defend their development, which is synonymous with "Moroccan authenticity" in their discourse with tourists; they are involved in political debates on local tourism development through associations and professional networks. Field surveys were conducted in June-July 2018 and December 2019, supplemented by observations conducted as a resident in the medina of Fez between 2016 and 2020, and again twice during the health crisis. A total of 20 interviews were conducted: ten with modest families who have gradually converted their homes from income derived from low-skilled jobs in different sectors (tourism, crafts, catering); two with disadvantaged households who have benefited from government assistance through the "Ziyarates Fez" program; and three with tourism entrepreneurs who are also large property owners. The latter own travel agencies, restaurants and/or several guest houses or hotels, both in the medina and in the new city. Finally, five interviews were held with local associations and public actors, whether they are members of the Association of Riads and Guest Houses of Fez (ARMH-Fez), the municipality, the Regional Investment Center or the Regional Tourism Council of the city. Initially, the article provides a summary of the medina since the French Protectorate (1912-1956) until the late 2010s. It emphasizes its social, economic and political marginalization until the early 1980s. The craze for old houses and their conversion into guest houses by foreigners then aroused the interest of public authorities who sought to accompany this new entrepreneurial dynamic to better supervise and manage it. The legal framework at the national level, defined in 2002, quickly proved insufficient and the definition of a new regulation, in 2014, did not make it possible to respond to the diversity of the new forms of accommodation. However, the local authorities partially compensated for these shortcomings by issuing "ready-to-rent" permits, starting in 2009. This has enabled many Moroccan and foreign tourism entrepreneurs to open and operate their guest houses. In parallel with these authorizations, a program to support the poorest families has been put in place to convert houses. It encourages home-stay accommodation through a label. These local measures have helped disadvantaged families to become involved in the safeguarding and development of the tangible and intangible heritage of the medina. Each entrepreneur profile puts forward its defense of a "Moroccan authenticity", articulated around the intangible heritage, particularly the family. However, new social differentiations are widening the gaps between these private actors. Their involvement in associations testifies to a strengthening of the socio-economic position of large landowners to the detriment of the more modest. The latter remain on the margins of discussions within the ARMH-Fès, when they are not excluded. Those who only have the status of "house ready to rent" appear in a fragile position. Their difficulties in forming a collective also undermine their recognition. They struggle in a form of informality, tolerated by the local authorities but outside the debates on the development of tourism in the medina of Fez.
- La maternité célibataire au Maroc : pour une approche dynamique de l'expérience - Amal Bousbaa p. 127-140
Chroniques politiques
Algérie
- Algérie 2021 : un pouvoir renforcé et une autorité en crise - Louisa Dris-Aït Hamadouche p. 175-196
- Chronologie Algérie 2021 - Louisa Dris-Aït Hamadouche p. 192-196
Maroc
- De la débâcle du Parti de la justice et du développement (PJD) aux élections de 2021 : les significations de l'alternance politique au Maroc - Thierry Desrues, Saïd Kirhlani p. 199-221
- Chronologie Maroc 2021 - Thierry Desrues, Saïd Kirhlani p. 220-221
Tunisie
- La Tunisie en 2021 : un coup politique peut masquer un coup d'État - Éric Gobe p. 225-260
- Chronologie Tunisie 2021 - Éric Gobe p. 258-260