Titre | Persistent Gender and Racial Hierarchies: Marriage Migration and Mixedness in Morocco from the French Protectorate to the Present | |
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Auteur | Catherine Therrien, Catherine Phipps | |
Revue | L'année du Maghreb | |
Numéro | no 29, 2023 Dossier : Intimités en tension | |
Rubrique / Thématique | Dossier : Intimités en tension |
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Page | 63-89 | |
Résumé |
Cet article présente une approche historique et anthropologique des mariages mixtes au Maroc. Il retrace les continuités et les changements qui se sont produits entre la période coloniale française et l'époque contemporaine afin de voir de quelle façon les attitudes envers les couples mixtes ont changé, entre le Protectorat français, la période qui a suivi l'Indépendance et le monde de plus en plus globalisé du 21ème siècle. Cette approche interdisciplinaire compare des données historiques (tirées principalement d'une étude sur les mariages menée par les autorités coloniales en 1949, ainsi que de magazines, de romans et de mémoires) et des données anthropologiques (52 entretiens semi-structurés menés au Maroc entre 2018 et 2022 avec des enfants issus de couples mixtes et certains de leurs parents). Nous examinons d'abord les changements dans la composition démographique des couples mixtes ainsi que dans l'endroit où ces derniers décident de s'installer en regardant plus spécifiquement la répartition entre les sexes (est-ce que ce sont des hommes marocains avec des femmes étrangères ou bien des femmes marocaines avec des hommes étrangers?), leurs pays d'origine, leurs professions ainsi que le lieu où ils se sont rencontrés. Les lieux de rencontre se sont considérablement diversifiés tout au long du 20ème siècle : les étrangers viennent d'un plus grand nombre de pays (il ne s'agit plus seulement de soldats marocains revenus de France avec des femmes françaises) et les femmes marocaines sont désormais plus nombreuses à voyager à l'étranger. Le genre continue cependant d'influencer la mobilité puisque le pays d'installation est encore bien souvent lié à l'emploi du mari. Nous comparons ensuite les contraintes juridiques et religieuses qui affectent les couples mixtes. Durant la période coloniale, bien que les hommes européens pussent épouser des femmes marocaines, les autorités coloniales françaises ont cherché à interdire aux épouses ou partenaires des hommes marocains d'entrer au Maroc parce qu'elles percevaient ces relations comme une menace pour la hiérarchie raciale coloniale. Dans le Maroc contemporain, la migration est considérablement facilitée pour les individus provenant du Nord. Pour ce qui est du mariage mixte, le Code de la famille marocaine (la Moudawana) stipule qu'un homme étranger doit se convertir à l'Islam s'il souhaite épouser une Marocaine musulmane. Ce qui est interdit a donc changé, mais la liberté des femmes reste encore soumise à des pressions extérieures pensées comme garantes de la cohésion sociale. Enfin, nous examinons les motivations émotionnelles derrière le choix des mariages mixtes, un aspect souvent négligé par les études sur la migration. Nous avançons que les individus en couples mixtes (et ceci est visible dans l'étude historique que dans l'étude anthropologique contemporaine) sont stimulés par un « désir d'ailleurs ». La mixité conjugale offre à ces couples un espace de liberté, un moyen d'embrasser de nouvelles possibilités et une possibilité de distanciation des normes sociales. Au 20ème siècle, dans la période coloniale et post-coloniale, le mariage mixte était notamment une voie pour échapper aux normes sociales traditionnelles qui obligeait les hommes à payer une dot (sdaq) à la famille de sa future épouse. Certains hommes marocains pensaient que les femmes européennes étaient plus « évoluées » et donc feraient de meilleures partenaires que les femmes marocaines, moins éduquées en raison des inégalités entre les sexes, instaurées par le système colonial, dans l'accès à l'éducation. Aujourd'hui, l'accès des femmes marocaines à l'éducation s'est significativement amélioré. Un autre point commun entre l'étude historique et anthropologique est le fait que les couples voient en la mixité, un espace de créativité, une façon de répondre à leur désir de changements et de créer un nouveau mode de vie. Cet article rappelle que ces relations mixtes - et par le fait même les migrations qui leur sont liées - prennent d'abord et avant tout naissance au travers d'affects. Il s'agit de migrations amoureuses. Nous avons pu observer que l'amour et le sentiment de possibilités qu'il offre peuvent être considérés comme des menaces pour les structures de pouvoir existantes. Nous soutenons que, dans la période qui a suivi l'indépendance, bien que les unions mixtes ne soient plus considérés comme une menace par le pouvoir politique, les réactions sociales à la mixité révélaient toujours l'existence de frontières symboliques raciales et genrées. Ainsi, si la perception sociale de la mixité conjugale est bien passée de la peur (néo-impérialiste) à la valorisation (dans un monde globalisé), les hiérarchies de genre et les classifications raciales prévalent toujours en tant que frontières symboliques importantes façonnant les couples mixtes et les attitudes à leurs égards. Source : Éditeur (via OpenEdition Journals) |
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Résumé anglais |
This article presents a historical and anthropological approach to mixed marriages in Morocco, tracking the continuities and changes between the French colonial period and contemporary experiences to see how attitudes towards mixed couples changed in Morocco throughout the French protectorate, in the post-independence period and the increasingly globalised world of the 21st century. This interdisciplinary approach combines historic data (primarily from a 1949 study into mixed marriages conducted by the colonial government as well as magazines, novels and memoirs) with 52 anthropological semi-structured interviews (conducted in Morocco between 2018 and 2022) with children of mixed couples and some of their parents.We examine first how the demographic make-up of mixed couples and where they choose to settle has shifted, looking at their gender split, their countries of origin, their occupations and where they met. This has diversified considerably throughout the 20th century: the individuals come from a much larger number of countries (no longer primarily Moroccan soldiers who returned from France with French women) and Moroccan women are now more likely to travel abroad. But gender still impacts mobility as the country of settlement is still often linked to the husband's job. We then compare how in some cases legal and religious restraints have affected which mixed couples can marry. Although European men could marry Moroccan women, the French colonial authorities sought to ban European wives or partners of Moroccan men from entering Morocco because they believed these relationships would threaten the hierarchies of colonial rules. However, in contemporary Morocco migration is considerably easier for individuals from the Global North. Today the Moroccan family law (Mudawana) states that a foreign man has to convert to Islam if he wishes to marry a Moroccan Muslim woman. What is forbidden has changed, but women's freedom remains subject to external pressures to maintain social cohesion. Finally, we examine the emotional motivations behind choosing mixed marriages, often overlooked by studies of migration, arguing that mixed marriage in Morocco has always shown a “desire for elsewhereness” and offered a space of freedom, a way to embrace new possibilities and turn away from certain social norms. In the 20th century, in the colonial and post-independence period, many Moroccan men used mixed marriage as a way to escape traditional pressures to pay a bride price (sdaq) to a Moroccan woman's family. Some Moroccan men also expressed colonialist ideas that European women were more “evolved” and would make better partners than Moroccan women as they were more educated because of gender inequalities in access to education. This has changed due to Moroccan women's improved access to education. But emotions are still at the heart of these experiences of intimacy across racial, national and religious borders. Contemporary and historical couples see mixedness as imbued with new opportunities to express their desire for change, for a new way of living and for creativity. Mixed marriages provide a change to re-evaluate customs and lifestyles, but these are also deeply intimate relationships born out of emotional attachment. This article reminds readers that marriage migration is, at heart, a migration for love. This love, and the feeling of possibility it offers, can be considered a threat to existing power structures. We argue that in post-independence Morocco, mixed marriages are no longer considered a threat to political power but that they still reveal the existence of persistent racial and gender symbolic boundaries. Indeed, social perception of mixed couples has shifted from a fear of neo-imperialism to a feeling of opportunities in a globalized world, but gender and racial hierarchies still prevail as significant symbolic boundaries that shape mixed couples and attitudes towards them. Source : Éditeur (via OpenEdition Journals) |
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Article en ligne | https://journals.openedition.org/anneemaghreb/11600 |