Contenu du sommaire : Dossier : Intimités en tension
Revue | L'année du Maghreb |
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Numéro | no 29, 2023 |
Titre du numéro | Dossier : Intimités en tension |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Editorial
- Édito : Dans l'intimité de la fabrication d'un numéro under pressure - Perrine Lachenal, Loïc Le Pape, Céline Lesourd, Nessim Znaien p. 3-6
Dossier : Intimités en tension
- Introduction. Intimités en tension - Marion Breteau, Michela De Giacometti, Laura Odasso p. 11-21
- On writing about illness in Kuwait. A discussion with Shahd Al Shammari - Marion Breteau p. 23-37 À l'occasion de la sortie du dernier livre de Shahd Al Shammari, Head Above Water : Reflections on Illness (2022) au Koweït, Marion Breteau est allée à la rencontre de l'auteure afin de l'interviewer sur l'expérience de l'écriture de l'intime. L'autrice, professeure de littérature anglaise à la Gulf University for Science and Technology of Kuwait, a déjà signé plusieurs ouvrages de fiction et des travaux universitaires dans le domaine des disability studies et des études de genre. Dans cet entretien, elle revient sur son dernier ouvrage et l'expérience d'écriture auto-ethnographique dans une perspective féministe. L'intimité dont il est question dans Head Above Water est donc la sienne : en retraçant l'évolution de la sclérose en plaques dont elle souffre depuis l'âge de 18 ans, la narration a pour centralité la problématique du corps malade. Entre les mains des médecins, à travers les discours médicaux, entre les quatre murs des hôpitaux, Shahd Al Shammari explore les transformations de son corps adolescent, vit ses premières histoires d'amour, tout en faisant son entrée dans le monde universitaire. L'intime, via le corps, devient ainsi le véhicule de sa construction personnelle et de son identité de genre. Avec ce livre, Shahd Al Shammari met en lumière la tension entre intime et public par l'acte d'écrire. Cette tension est d'autant plus forte qu'au Koweït, cet acte peut fragiliser les auteurs locaux qui, comme elle, écrivent en anglais, un choix linguistique souvent perçu comme une menace à l'identité culturelle et linguistique du pays. Dès lors, écrire l'intime devient un acte politique. Cela peut aussi devenir une « politique de l'amour », lorsque l'expression de la douleur et de la colère est moins importante que de sensibiliser et inviter à la solidarité par l'écriture et l'enseignement. L'entretien revient d'abord sur le contexte de la pandémie du Covid-19 et la manière dont celui-ci a entraîné une remise en question de l'enseignement et de la recherche : dépossédés de leurs moyens de recherche et des salles de cours, beaucoup d'universitaires ont en effet eu à se réinventer. C'est le cas pour S. Al Shammari qui a pris cette occasion pour se pencher sur le projet de Head Above Water. L'entretien aborde ensuite les étapes de construction de la narration de l'ouvrage, puis sa réception auprès du public koweïtien. L'autrice discute son choix d'écrire en anglais ainsi que ses positionnements théoriques, fortement ancrés dans une perspective féministe littéraire. Compte tenu de la nature revendicative de l'approche auto-ethnographique, il a donc fait sens pour elle d'adopter cette méthodologie. L'entretien aborde également la réception de l'ouvrage dans le milieu de la recherche. L'auteure pointe la précarité des études sur le handicap qui, comme elle l'explique, témoigne d'une forme de validisme patriarcal universitaire. Cette critique permet enfin de souligner le rôle de l'enseignement dans la carrière académique. C'est grâce aux échanges en classe, et à la pratique de la transmission, que ce qui pourrait être rage se transforme en outil de cohésion et d'éveil, dans un contexte où l'égalité des chances est impactée par les rôles de genre et où le handicap « non-visible » est sous-estimé. À terme, les domaines éditoriaux et académiques se font les réceptacles de la construction de l'intime par l'expérience même de sa mise en mots. Bien que l'ouvrage soit la restitution d'un récit qui se déroule en majeure partie au Koweït, il n'en est pas moins un témoignage partagé, point d'honneur sur lequel l'autrice insiste, consciente du regard orientaliste dont son ouvrage fait l'objet.On the occasion of the release of Shahd Al Shammari's latest book, Head Above Water: Reflections on Illness (2022) in Kuwait, Marion Breteau went to meet the author to interview her about the experience of writing intimacy. Shahd Al Shammari, who is a professor of English literature at the Gulf University for Science and Technology of Kuwait, has already published several works of fiction and academic works in the field of disability studies and gender studies. In this interview, she discusses her latest book and the experience of autoethnographic writing from a feminist perspective. Intimacy, in Head Above Water, is thus her own: by tracing the evolution of multiple sclerosis she suffers from since the age of 18, the narrative has as its centrality the problematic of the sick body. In the hands of doctors, through medical discourses, between the four walls of hospitals, Shahd Al Shammari explores the transformations of her adolescent body, she experiences her first love stories, while taking her first steps into the academic world. The intimate, through the body, becomes the vehicle of her personal construction and her gender identity. With this book, she highlights the tension between intimacy and publicity through the act of writing. This tension is all the more acute because, in Kuwait, the act of writing can undermine local authors who, like her, write in English, a linguistic choice often perceived as a threat to the country's cultural and linguistic identity. From then on, writing the intimate becomes a political act. It can also become a “politics of love” when expressing pain and anger is less important than raising awareness and inviting to solidarity through writing and teaching. The interview first looks at the context of the Covid-19 pandemic and how it has led to a rethinking of teaching and research: stripped of their research resources and classrooms, many academics have indeed had to reinvent themselves. This is the case for S. Al Shammari who took this opportunity to look at the Head Above Water project. The interview goes on to discuss the stages of the book's narrative construction, and then its reception by the Kuwaiti public. The author discusses her choice to write in English as well as her theoretical positions, which are strongly rooted in a literary feminist perspective. Given the advocacy nature of the autoethnographic approach, it made sense for her to adopt this methodology. The interview also discusses the reception of the book in the research community. S. Al Shammari points to the scarcity of disability studies, which, as she explains, reflects a form of patriarchal academic ableism. Finally, this critique serves to highlight the role of teaching in her academic career. It is through classroom exchanges, and the practice of transmission, that what could be rage is transformed into a tool for cohesion and enlightenment, in a context where equal opportunity is impacted by gender roles and where "non-visible" disability is underestimated. Eventually, the editorial and academic fields become the receptacles of intimacy building through the very experience of putting it into words. Although the book is the restitution of a story that takes place mostly in Kuwait, it is nonetheless a shared testimony, a point of honor on which the author insists, aware of the orientalist gaze to which her work is subjected.
- Les voyages reproductifs vers la Tunisie : l'intime au prisme des pratiques de l'assistance médicale à la procréation - Irene Maffi, Betty Rouland, Carole Wenger p. 39-61 Bien qu'au Maghreb, et plus largement en Afrique, l'infertilité soit source de stigmatisation et de souffrances sociales et individuelles, nombreux sont les pays du continent encore dépourvus de cliniques d'assistance médicale à la procréation (AMP) et de professionnel∙les de santé formé∙es en médecine de la reproduction. Cette situation s'explique par les coûts élevés des technologies utilisées, le manque de formation spécialisée et l'absence de politiques nationales et internationales visant à soutenir les couples infertiles en Afrique. Depuis quelques années, la Tunisie émerge comme un hub régional des soins reproductifs au Maghreb, et plus largement en Afrique francophone. Les services d'AMP y occupent une position commerciale stratégique dans la région, donnant cours à une pluralité de nouvelles mobilités reproductives. Les chercheures ont ainsi collecté les différents récits des couples infertiles se croisant au sein d'un centre d'AMP privé à Tunis. Dans cet article, nous exposerons les récits des couples en provenance des pays voisins à la Tunisie (Libye, Algérie), de l'Afrique sub-saharienne ainsi que les Tunisiens résidents à l'étranger (TRE) en provenance des différents pays d'émigration (Europe, Pays du Golfe). Les observations menées au sein du centre de fertilité, les échanges avec le personnel médical ainsi qu'avec les équipes de direction et de communication permettent d'appréhender les itinéraires reproductifs vers la Tunisie. L'article examine la problématique de l'infertilité au Maghreb, l'évolution des services privés d'AMP en Tunisie et la dimension de l'intimité au travers des enjeux, des stigmates et des normes genrées qui caractérisent les pratiques médicales dans ce domaine. Nos recherches démontrent notamment la persistance de certaines normes qui s'inscrivent dans un régime de genre plus ancien dans lequel les femmes sont les seules responsables de l'infertilité. Nous nous penchons également sur les paysages reproductifs au Maghreb, en nous intéressant à la fois aux itinéraires reproductifs et à la condition des couples infertiles rencontrés, en passant par les espaces dématérialisés (internet). Dans le domaine de la santé en général comme dans celui de l'infertilité en particulier, les espaces virtuels et l'existence de ces communautés en ligne revêtent un rôle prépondérant. Ils permettent en outre de préserver l'intimité et l'anonymat puisque les internautes touché∙es par l'infertilité peuvent échanger sur leurs expériences et exprimer leurs souffrances sans peur d'être stigmatisé∙es. La surreprésentation des femmes sur ces plateformes numériques est significative des normes genrées qui continuent à dominer la procréation dans les pays du Maghreb comme ailleurs. Tissés et articulés par les couples infertiles maghrébins et ouest africains rencontrés, les paysages reproductifs transnationaux analysés offrent une perspective originale pour aborder l'intime au Maghreb. Dans le contexte de l'AMP, l'intime se définit à la fois à travers les relations au sein du couple, des rapports avec la famille et les proches ; et d'autre part, dans la relation thérapeutique avec le personnel médical. Les itinéraires reproductifs empruntés invitent à décentrer le regard et à se focaliser sur d'autres types d'espaces de circulations depuis le Maghreb jusqu'à la rive sud du Sahara et même au-delà (pays européens et du Golfe où sont installés les TRE) ; à spatialiser les récits de couples en mouvement tout en se saisissant des transformations sociales mondialisées qu'elles caractérisent (biomobilités, bioéconomies, biotechnologies) ; et à appréhender le caractère sensible de ces récits qui portent une très forte charge émotionnelle. La matérialité des itinéraires reproductifs déployés (structures médicales, technologies, moyens de transports et de communications, etc.) s'entremêle à d'autres aspects immatériels intimement liés à la dimension affective du désir de procréer et de la souffrance morale et sociale face à son impossibilité. La stigmatisation sociale liée au recours à l'AMP cause l'invisibilisation de ces trajectoires transnationales. En conclusion, nos recherches ouvrent des chantiers concernant les nouvelles mobilités transnationales en santé reproductive ainsi que leurs implications morales, sociales, familiales et émotionnelles.Although in the Maghreb, and more broadly in Africa, infertility is a source of stigmatisation and social and individual suffering, many countries on the continent still lack reproductive health clinics and health professionals trained in reproductive medicine. This is due to the high cost of biomedical technologies, the lack of specialised training and the absence of national and international policies to support infertile couples in Africa. In recent years, Tunisia has emerged as a regional hub for reproductive care in the Maghreb, and more broadly in French-speaking Africa. Private IVF clinics occupy a strategic commercial position in the region, giving rise to a plurality of new reproductive mobilities. The researchers collected the stories of infertile couples crossing paths in a private fertility clinic in Tunis. In this article, we will present the stories of couples from neighbouring countries to Tunisia (Libya, Algeria), sub-Saharan Africa as well as Tunisians residing abroad (TRA) from different countries of emigration (Europe, Gulf Countries). The observations carried out within the fertility clinic, the exchanges with the medical staff as well as with the management and communication teams provide an understanding of these reproductive itineraries to Tunisia. In this article, we examine the problem of infertility in the Maghreb, the evolution of private IVF clinics in Tunisia and the dimension of intimacy through the stakes, stigmas and gendered norms that characterise medical practices in this field. In particular, our research demonstrates the persistence of certain norms that are part of an older gender regime in which women are solely responsible for infertility. We also look at the reproscapes in the Maghreb, focusing on reproductive itineraries and social conditions of the infertile couples we met, including the dematerialised spaces (internet) they resort to. In the field of health in general, as in that of infertility in particular, virtual spaces and the existence of these online communities have come to play a prominent role. They preserve intimacy and anonymity allowing Internet users affected by infertility to share their experiences and express their suffering without fear of being stigmatised. The over-representation of women on these digital platforms is indicative of gender norms that continue to dominate procreation in Maghreb countries and beyond. Articulated by the infertile North African and West African couples encountered, the transnational reproductive landscapes analysed in the paper offer an original perspective to approach the intimate in the Maghreb. In the context of ARTs, intimacy is defined on the one hand through relationships within the couple, relationships with family and loved ones; and on the other hand, in the therapeutic relationship with medical staff. The reproductive routes taken, invite us to decentralise the gaze and focus on other types of circulation from the Maghreb to the southern shore of the Sahara and even beyond (European and Gulf countries where the TRA have emigrated); to spatialise the narratives of couples in motion while grasping the globalised social transformations they characterise (biomobility, bioeconomies, biotechnologies); and to understand the sensitive nature of these narratives, which carry a very strong emotional charge. The materiality of the reproductive routes deployed (medical structures, technologies, means of transport and communication, etc.) is intertwined with other immaterial aspects intimately linked to the affective dimension behind the desire to procreate and the moral and social suffering in the face of its impossibility. The social stigma linked to the use of ARTs causes the invisibilisation of these transnational trajectories. In conclusion, our research opens up paths of analysis concerning new transnational mobilities in reproductive health as well as their moral, social, familial and emotional implications.
- Persistent Gender and Racial Hierarchies: Marriage Migration and Mixedness in Morocco from the French Protectorate to the Present - Catherine Therrien, Catherine Phipps p. 63-89 Cet article présente une approche historique et anthropologique des mariages mixtes au Maroc. Il retrace les continuités et les changements qui se sont produits entre la période coloniale française et l'époque contemporaine afin de voir de quelle façon les attitudes envers les couples mixtes ont changé, entre le Protectorat français, la période qui a suivi l'Indépendance et le monde de plus en plus globalisé du 21ème siècle. Cette approche interdisciplinaire compare des données historiques (tirées principalement d'une étude sur les mariages menée par les autorités coloniales en 1949, ainsi que de magazines, de romans et de mémoires) et des données anthropologiques (52 entretiens semi-structurés menés au Maroc entre 2018 et 2022 avec des enfants issus de couples mixtes et certains de leurs parents). Nous examinons d'abord les changements dans la composition démographique des couples mixtes ainsi que dans l'endroit où ces derniers décident de s'installer en regardant plus spécifiquement la répartition entre les sexes (est-ce que ce sont des hommes marocains avec des femmes étrangères ou bien des femmes marocaines avec des hommes étrangers?), leurs pays d'origine, leurs professions ainsi que le lieu où ils se sont rencontrés. Les lieux de rencontre se sont considérablement diversifiés tout au long du 20ème siècle : les étrangers viennent d'un plus grand nombre de pays (il ne s'agit plus seulement de soldats marocains revenus de France avec des femmes françaises) et les femmes marocaines sont désormais plus nombreuses à voyager à l'étranger. Le genre continue cependant d'influencer la mobilité puisque le pays d'installation est encore bien souvent lié à l'emploi du mari. Nous comparons ensuite les contraintes juridiques et religieuses qui affectent les couples mixtes. Durant la période coloniale, bien que les hommes européens pussent épouser des femmes marocaines, les autorités coloniales françaises ont cherché à interdire aux épouses ou partenaires des hommes marocains d'entrer au Maroc parce qu'elles percevaient ces relations comme une menace pour la hiérarchie raciale coloniale. Dans le Maroc contemporain, la migration est considérablement facilitée pour les individus provenant du Nord. Pour ce qui est du mariage mixte, le Code de la famille marocaine (la Moudawana) stipule qu'un homme étranger doit se convertir à l'Islam s'il souhaite épouser une Marocaine musulmane. Ce qui est interdit a donc changé, mais la liberté des femmes reste encore soumise à des pressions extérieures pensées comme garantes de la cohésion sociale. Enfin, nous examinons les motivations émotionnelles derrière le choix des mariages mixtes, un aspect souvent négligé par les études sur la migration. Nous avançons que les individus en couples mixtes (et ceci est visible dans l'étude historique que dans l'étude anthropologique contemporaine) sont stimulés par un « désir d'ailleurs ». La mixité conjugale offre à ces couples un espace de liberté, un moyen d'embrasser de nouvelles possibilités et une possibilité de distanciation des normes sociales. Au 20ème siècle, dans la période coloniale et post-coloniale, le mariage mixte était notamment une voie pour échapper aux normes sociales traditionnelles qui obligeait les hommes à payer une dot (sdaq) à la famille de sa future épouse. Certains hommes marocains pensaient que les femmes européennes étaient plus « évoluées » et donc feraient de meilleures partenaires que les femmes marocaines, moins éduquées en raison des inégalités entre les sexes, instaurées par le système colonial, dans l'accès à l'éducation. Aujourd'hui, l'accès des femmes marocaines à l'éducation s'est significativement amélioré. Un autre point commun entre l'étude historique et anthropologique est le fait que les couples voient en la mixité, un espace de créativité, une façon de répondre à leur désir de changements et de créer un nouveau mode de vie. Cet article rappelle que ces relations mixtes - et par le fait même les migrations qui leur sont liées - prennent d'abord et avant tout naissance au travers d'affects. Il s'agit de migrations amoureuses. Nous avons pu observer que l'amour et le sentiment de possibilités qu'il offre peuvent être considérés comme des menaces pour les structures de pouvoir existantes. Nous soutenons que, dans la période qui a suivi l'indépendance, bien que les unions mixtes ne soient plus considérés comme une menace par le pouvoir politique, les réactions sociales à la mixité révélaient toujours l'existence de frontières symboliques raciales et genrées. Ainsi, si la perception sociale de la mixité conjugale est bien passée de la peur (néo-impérialiste) à la valorisation (dans un monde globalisé), les hiérarchies de genre et les classifications raciales prévalent toujours en tant que frontières symboliques importantes façonnant les couples mixtes et les attitudes à leurs égards.This article presents a historical and anthropological approach to mixed marriages in Morocco, tracking the continuities and changes between the French colonial period and contemporary experiences to see how attitudes towards mixed couples changed in Morocco throughout the French protectorate, in the post-independence period and the increasingly globalised world of the 21st century. This interdisciplinary approach combines historic data (primarily from a 1949 study into mixed marriages conducted by the colonial government as well as magazines, novels and memoirs) with 52 anthropological semi-structured interviews (conducted in Morocco between 2018 and 2022) with children of mixed couples and some of their parents.We examine first how the demographic make-up of mixed couples and where they choose to settle has shifted, looking at their gender split, their countries of origin, their occupations and where they met. This has diversified considerably throughout the 20th century: the individuals come from a much larger number of countries (no longer primarily Moroccan soldiers who returned from France with French women) and Moroccan women are now more likely to travel abroad. But gender still impacts mobility as the country of settlement is still often linked to the husband's job. We then compare how in some cases legal and religious restraints have affected which mixed couples can marry. Although European men could marry Moroccan women, the French colonial authorities sought to ban European wives or partners of Moroccan men from entering Morocco because they believed these relationships would threaten the hierarchies of colonial rules. However, in contemporary Morocco migration is considerably easier for individuals from the Global North. Today the Moroccan family law (Mudawana) states that a foreign man has to convert to Islam if he wishes to marry a Moroccan Muslim woman. What is forbidden has changed, but women's freedom remains subject to external pressures to maintain social cohesion. Finally, we examine the emotional motivations behind choosing mixed marriages, often overlooked by studies of migration, arguing that mixed marriage in Morocco has always shown a “desire for elsewhereness” and offered a space of freedom, a way to embrace new possibilities and turn away from certain social norms. In the 20th century, in the colonial and post-independence period, many Moroccan men used mixed marriage as a way to escape traditional pressures to pay a bride price (sdaq) to a Moroccan woman's family. Some Moroccan men also expressed colonialist ideas that European women were more “evolved” and would make better partners than Moroccan women as they were more educated because of gender inequalities in access to education. This has changed due to Moroccan women's improved access to education. But emotions are still at the heart of these experiences of intimacy across racial, national and religious borders. Contemporary and historical couples see mixedness as imbued with new opportunities to express their desire for change, for a new way of living and for creativity. Mixed marriages provide a change to re-evaluate customs and lifestyles, but these are also deeply intimate relationships born out of emotional attachment. This article reminds readers that marriage migration is, at heart, a migration for love. This love, and the feeling of possibility it offers, can be considered a threat to existing power structures. We argue that in post-independence Morocco, mixed marriages are no longer considered a threat to political power but that they still reveal the existence of persistent racial and gender symbolic boundaries. Indeed, social perception of mixed couples has shifted from a fear of neo-imperialism to a feeling of opportunities in a globalized world, but gender and racial hierarchies still prevail as significant symbolic boundaries that shape mixed couples and attitudes towards them.
- Entre espaces domestiques et « espaces domestiqués » : « L'autonomisation intime » des étudiantes en Turquie - Tuğba Gökduman p. 91-113 Cet article s'intéresse aux enjeux familiaux, sociaux et institutionnels de la construction d'une forme d'« autonomie intime » par les jeunes femmes dans le contexte de la Turquie contemporaine. Dans cet article, l'« autonomie intime » renvoie à l'idée selon laquelle l'individu est défini comme « auteur de ses activités » dans sa vie privée et sexuelle. Les jeunes femmes célibataires, font souvent l'objet d'une double représentation : à la fois considérées comme de potentielles victimes sexuelles ou des corruptrices morales, elles sont soumises à une surveillance qui s'exerce au nom de la « protection ». La famille est la principale structure responsable de cette « protection », et l'espace domestique reproduit des mécanismes de contrôle visant à réguler le corps et la sexualité des jeunes femmes. Mais comment cela continue-t-il si les jeunes femmes s'éloignent de la zone de surveillance ? Le cas des étudiantes partant à Istanbul pour leurs études universitaires constitue un cadre pertinent pour l'étude de cette question. L'article fait l'hypothèse que cette mobilité, considérée au premier abord comme une échappatoire aux normes sexuelles en vigueur, ne signifie pas pour autant un voyage linéaire vers l'émancipation sexuelle. Les habitations estudiantines jouent ici un rôle important. Afin d'éclairer les relations existantes entre jeunes femmes, intimité, espace et structures de contrôle, l'article examine d'abord les rapports de pouvoir au sein de l'espace domestique et les marges de manœuvre dont disposent les jeunes femmes habitant chez leurs parents. Ensuite, le départ à Istanbul et les nouveaux espaces habités (les résidences étudiantes et les (co)locations) sont présentés. Ces logements, surveillés par les institutions et les résidents des quartiers où ils sont situés, prennent en charge le rôle de la famille patriarcale concernant la « protection » morale des femmes. J'appelle ces espaces des « espaces domestiqués » car visant la « domestication » d'une sexualité féminine redoutée en l'absence de contrôle familial, tout en étant des espaces façonnés par les subjectivités des jeunes femmes. La « domestication » patriarcale de la sexualité des femmes et des espaces privés ne veut pas dire une obéissance totale des jeunes femmes, les tactiques de contournement sont ainsi analysées. A travers des exemples tirés du terrain, j'illustre comment l'agentivité (agency) individuelle et la résistance quotidienne s'articulent avec le respect de la morale collective. Ces jeunes femmes participent ainsi de ce processus de domestication patriarcale tout en le contournant. Enfin, la non-linéarité de l'émancipation sexuelle, le passage à l'âge adulte et l'évolution des rapports de genre et intergénérationnels sont étudiés à travers le suivi des allers-retours des jeunes femmes entre espaces domestiques et domestiqués. L'article conclut que les règles de ces espaces n'empêchent pas les femmes de rechercher les voies conduisant à l'émancipation sexuelle, et qu'elles construisent leur individualité et leur accès à la sexualité au carrefour de normes sexuelles et d'attentes morales différentes. Une autre conclusion importante est faite sur l'évolution des structures de pouvoir, notamment au sein du logement parental où les relations familiales sont marquées à la fois par le conflit, la divergence, le compromis, la négociation, la solidarité et l'affection. À cet égard, l'article prend en compte le caractère mouvant des relations et des espaces. Cet article utilise des données obtenues dans le cadre d'une recherche en master à l'EHESS. Il s'appuie sur une enquête sociologique menée entre 2018 et 2020 auprès de jeunes femmes installées à Istanbul sans leurs proches. Ces jeunes femmes – âgées entre 20 et 25 ans, étudiantes ou récemment diplômées – avaient intégré des universités publiques ou privées d'Istanbul et habité dans les résidences étudiantes et en (co)locations. L'enquête de terrain a consisté à mener des entretiens individuels semi-directifs regroupant des questions sur le départ du domicile familial et l'installation à Istanbul, l'évolution des rapports familiaux suivant la mobilité géographique et la construction de l'autonomie intime dans une recherche de liberté sexuelle. Les entretiens effectués ont été accompagnés par une ethnographie de terrain consistant à faire des observations et des conversations informelles dans des lieux de socialisation estudiantine, parmi lesquels des campus d'universités, cafés, bars et boîtes de nuit.This article focuses on the familial, social and institutional issues related to the construction of a form of “intimate autonomy” by young women in the context of contemporary Turkey. In this article, “intimate autonomy” refers to the idea that the individual is defined as the “author of their action” in their private and sexual life. Young unmarried women, often viewed as potential sexual victims or corrupters of the moral order, are subject to surveillance in the name of “protection.” The family is the main structure responsible for this “protection”, and the domestic space reproduces mechanisms of control that aim to regulate young women's bodies and sexualities. But how is control exercised when young woman physically moves away from family's surveillance? The case of female students going to Istanbul for their university studies provides a relevant framework for the study of this question. The article makes the hypothesis that this mobility into the city, which is considered at first sight as an escape from the dominant sexual norms and from parental control, does not however mean a linear journey towards sexual emancipation. Student accommodations play an important role here. In order to shed light on the relationship between intimacy, space, young women and structures of control, the article first examines the power relations within the domestic space by describing the leeway available to young women living with their parents. Then, the departure to Istanbul and the new living spaces (student dormitories and (co)rentals) are presented. These residential spaces are regulated by institutions which are in charge of maintaining the moral order and of undertaking the role hold by families in regards to the moral “protection” of women. I call these spaces “domesticated spaces” where “taming” women's sexuality is at play in the absence of parental control. I take inspiration from the researches of Suad Joseph (1997) who shows the fluidity of boundaries between what she defines as the governmental, non-governmental and domestic spaces, to explain the permeability of moral values from one space to another. The patriarchal “domestication” of women's sexuality and of private spaces is not unanswered, thus the article analyzes the tactics of circumvention and so-called conformism. Through some examples taken from my fieldwork, I illustrate how individual agency and daily resistance are articulated with the respect for the collective morality. Finally, the non-linearity of sexual emancipation, the transition to adulthood and the evolution of gender and intergenerational relations is studied through the following of the back-and-forth journeys of young women between domestic and domesticated spaces. The article concludes that the rules of these spaces do not refrain women to search for ways leading to sexual emancipation. It also underlines that these women construct their individuality and their access to sexuality at the crossroads of different sexual norms and moral expectations. Another important conclusion is made on the changing of power structures, especially within the parental house where family relationships are marked simultaneously by conflict, divergence, compromise, negotiation, solidarity and affection. In this regard, the article takes into account the moving nature of relationships and of spaces. This article uses some of the data I collected during a master's research at the EHESS. It draws from a sociological survey conducted between 2018-2020 among young women living in Istanbul without their families. These women, most of them being heterosexual and aged between 20-25, were mainly issued from middle-class families from different towns and villages in Turkey. At the time of my enquiry, they were students or recent graduates. They had integrated public or private universities in Istanbul and lived in student dormitories or in (co)rentals. The field survey consisted in conducting semi-structured individual interviews bringing together questions about their experience of leaving the family home and settling in Istanbul, but also about the evolution of gender and family relations following student mobility to Istanbul. These interviews were accompanied by observations and informal conversations which took place in different spaces of student socialization, such as university campuses, cafes, bars, or nightclubs.
- Le flirt à Rabat au Maroc : Engagements des corps et arrangements socio-spatiaux - Chadia Arab, Christophe Guibert p. 115-136 Au Maroc, de nombreux signes témoignent de la possibilité de flirter dans l'espace public. Les pratiques de séductions hétérosexuelles au Maroc ne vont pourtant pas de soi dans un pays les corps, a fortiori ceux des femmes, font l'objet d'un fort contrôle politique et social. Notre article entend rompre avec les discours dominants et les visions ethnocentriques, au Maroc comme en France, qui considèrent les sexualités au Maroc uniquement par le prisme du religieux et de la passivité des femmes. Cet article traite spécifiquement des enjeux de pouvoir et des corps dans l'espace public : de ce qu'il est possible de faire et de ce qui ne l'est pas. Notre analyse se focalise sur les couples hétérosexuels marocains non mariés à partir d'enquêtes de type exploratoires (observations non participantes dans des lieux sélectionnés durant plusieurs journées consécutives et une quinzaine d'entretiens semi-directifs avec des couples) menées en avril 2016 à Rabat, la capitale administrative du pays. Selon les résultats de notre enquête qualitative, les manières de flirter avant le mariage, potentiellement répréhensibles au regard de la société, sont assez homogènes. L'article montre que les jeunes femmes et les jeunes hommes innovent en termes de stratégies pour vivre leurs expressions de l'intime au travers de ce que nous avons nommé « bulles géographiques », identifiées au préalable et qui constituent des lieux qui à la fois protègent des regards indiscrets et réprobateurs et permettent une intimité. Les couples, et plus encore les femmes dans les couples, portent ainsi une attention cruciale aux choix des lieux de leurs rencontres amoureuses : il s'agit de ne pas être vu, tout en demeurant en sécurité pour flirter. L'article s'organise en deux parties. La première présente le cadre juridique et moral contraignant de la sexualité au Maroc, tout en mettant en lumière une récente dynamique de transition sociale et sexuelle. Cette transition est éminemment liée à la publicisation des questions de libertés individuelles et sexuelles, dont l'émergence a permis de mettre en débat la sexualité des Marocaines et des Marocains, en participant à la normaliser et à la rendre licite que celle-ci s'exprime dans le cadre du mariage ou en dehors. La seconde partie porte plus spécifiquement sur deux lieux de l'enquête. Le café le Printemps constitue une « bulle géographique » en plein centre-ville de Rabat, dans le quartier Hassan : il offre un espace privé ouvert au public où les jeunes couples sont très présents, beaucoup plus qu'ailleurs dans ce quartier de la ville, et autorise le flirt. Les corniches et les plages sont aussi des lieux où les jeunes couples peuvent se retrouver, à l'abri des regards indiscrets, comme le montrent les photographies qui illustrent l'article. Les couples se comportent tels des « équipes », ainsi que le formule Erving Goffman (1973), opérant conjointement un strict contrôle de leurs gestes, de leurs représentations, des distances corporelles et enfin des regards venant de l'extérieur. Complicité dans le couple donc, mais également entre les couples dans un même lieu. Ces précautions sous-tendent l'existence de ces « bulles géographiques » et du flirt en leur sein, à distance du contrôle des autorités : la pratique intime et individuelle se révèle donc également une pratique collective et pensée au regard du groupe. Les « bulles géographiques » permettent ainsi de préserver la respectabilité des jeunes femmes (surtout) au sein des familles et d'éviter les mécanismes d'exclusion et de marginalisation. Elles témoignent en définitive de pratiques territorialisées qui contribuent, même modestement, à remettre en cause les comportements hétéronormés dominants. Les couples rencontrés lors de l'enquête, du fait de leur simple présence dans l'espace public, participent à la déconstruction des comportements institutionnels de genre et donc à un processus localisé de la mixité femmes-hommes.In Morocco, the possibility of flirting in the public space is evident in many ways. However, heterosexual seduction practices in Morocco are not to be taken for granted in a country where bodies, especially women's bodies, are subject to strong political and social control. Our article intends to break with the dominant discourses and ethnocentric visions, in Morocco as in France, which consider sexualities in Morocco only through the prism of religion and women's passivity. This article deals specifically with issues of power and bodies in the public space : what is possible and what is not. Our analysis focuses on unmarried Moroccan heterosexual couples. It is drawn from exploratory surveys (non-participant observations in selected locations during several consecutive days and 15 semi-structured interviews with Moroccan couples) conducted in April 2016 in Rabat, the country's administrative capital. According to the results of our qualitative survey, the ways of flirting before marriage, potentially reprehensible in the eyes of society, are quite homogeneous. The article shows that young women and men innovate in terms of strategies for living out their expressions of intimacy through what we have called “geographical bubble”. These bubbles, identified beforehand, constitute places that both protect them from indiscreet and reproachful eyes and allow for intimacy. Couples, and especially women, pay crucial attention to the choice of locations for their romantic encounters : they want to avoid being seen, while remaining safe to flirt. The article is organized in two parts. The first presents the restrictive legal and moral framework of sexuality in Morocco, while highlighting a recent dynamic of social and sexual transition. This transition is eminently linked to the publicization of issues of individual and sexual freedom, the emergence of which has made it possible to debate the sexuality of Moroccan men and women, helping to normalize it and make it legitimate whether it is expressed within or outside of marriage. The second part of the paper focuses more specifically on two locations of the survey. The Printemps café, a “geographical bubble” in the heart of downtown Rabat, offers a private space open to the public where young couples are very present, much more so than elsewhere in the city, and allows flirting. The cornices and beaches are also places where young couples can meet, away from prying eyes, as shown in the photographs that illustrate the article. The couples behave like “teams”, as Erving Goffman (1973) formulates it, operating jointly a strict control of their gestures, representations, body distances and finally of the glances coming from outside. Complicity within the couple therefore, but also between couples in the same place. These precautions underlie the existence of these “geographical bubbles” and of flirting within them, at a distance from the control of the authorities : the intimate and individual experiences are thus also revealed to be a group practice and conceived with regard to the group. The “geographical bubbles” thus make it possible to preserve the respectability of young women (especially) within families and to avoid the mechanisms of exclusion and marginalization. In the end, they are evidence of territorialized practices that contribute, even if modestly, to questioning dominant heteronormative behaviors. The couples met during the survey, by their mere presence in the public space, participate in the deconstruction of institutional gender behaviors and thus in a localized process of gender mixing.
- Mettre l'intime en bande dessinée. Un dialogue avec Léna Merhej et Noémie Honein - Michela De Giacometti, Laura Odasso p. 137-162 Cet entretien rend compte de l'échange que nous avons eu avec Noémie Honein et Léna Merhej – deux artistes libanaises particulièrement connues pour leurs travaux en bande dessinée – au sujet de leurs trajectoires, ainsi que de leurs quêtes, interrogations et pratique artistiques. Leurs parcours, singuliers et témoignant de générations différentes, convergent dans leur volonté de mettre en récit et en dessin l'intimité. Dans De l'importance du poil de nez, Noémie Honein explore son expérience de la maladie, alors qu'à l'âge de vingt ans elle apprend être atteinte d'un cancer. La mise en récit de cette période de sa vie, sous forme de bande dessinée, s'apparente à un voyage à la découverte de ses relations intimes : celles qu'elle entretient avec sa famille et celles qu'elle développe avec son corps qui se métamorphose au fur et à mesure des thérapies. Elle interroge ainsi son rapport à la sexualité, également affectée par la maladie. Née d'une mère allemande et d'un père libanais, Léna Merhej consacre l'un de ses premiers travaux Laban et confiture, ou comment ma mère est devenue Libanaise à narrer une intimité familiale traversée par la guerre du Liban (1975-1990), la reconstruction du pays, et encore la guerre de l'été 2006. Elle y explore la question des identités plurielles dans la pratique du quotidien et joue habilement avec les stéréotypes d'une prétendue identité libanaise. En 2007, Léna Merhej fonde au Liban, avec trois autres artistes et dessinateurs, la revue Samandal (« salamandre » en arabe), dont la vocation est d'être, à l'image de cet amphibien, une entité hybride. Il s'agit, à l'origine, d'un projet expérimental destiné à soutenir la publication d'œuvres de ce premier groupe d'artistes. La revue se transforme rapidement en un collectif et élargit ses horizons pour inclure les bandes dessinées d'autres artistes du monde arabe et d'ailleurs. En 2016, Samandal publie en France, pour des raisons de censure, aux éditions Alifbata, le numéro intitulé Ça restera entre nous : un ouvrage sans fard sur le thème de la sexualité qui offre des planches illustrées, dans quatre langues (arabe, français, anglais et italien), de 27 artistes internationaux. Lever le voile sur les expériences singulières des corps – celles de la sexualité et celles de la maladie – invite à explorer les contextes dans lesquels celles-ci prennent forme : les vécus personnels de ces femmes sont en effet intimement mêlés à des conjonctures politiques et à l'expérience collective. Ces deux artistes – qui vivent désormais entre la France et le Liban – se racontent, parlent de leur famille et dressent aussi le portrait de leur pays d'origine, le Liban.In this interview, we talk with Lebanese artists Léna Merhej and Noémie Honein about their respective practices and trajectories as cartoonists, a craft for which they are particularly known. Issued from two different generations, Léna Merhej and Noémie Honein use of their singular experiences to draw and narrate the intimate, thus testifying of converging interests. In her De l'importance du poil de nez, Noémie Honein explores her experience of the disease, after discovering, at the age of twenty, that she had cancer. Translating this period of her life into comics represents to this artist a journey into the intimate relationships she maintains with her family, with a body submitted by therapies to radical transformations, and with sexuality. Born of a German mother and a Lebanese father, Léna Merhej devotes one of her first works, Laban and Jam, or how my mother became Lebanese to narrate domestic intimacy during the Lebanese war (1975-1990), the reconstruction of the country, and the 2006 summer's war. Here, she explores her and her mother's plural identities and family daily's practices, and skillfully plays with the stereotypes of an imaged Lebanese identity. In 2007, Léna Merhej founded, with three Lebanese artists and cartoonists, the magazine Samandal (“salamander” in Arabic), whose vocation is to be, like this amphibian, a hybrid entity. Originally born as a publishing platform to support works from this first group of artists, the magazine soon transformed into a collective and broadened its horizons to include comics made by artists from the Arab world and beyond. To avoid censorship, Samandal published in France, in 2016, the issue entitled Ça restera entre nous (It will remain between us), an unvarnished work about sexuality which includes the illustrated boards of 27 international artists in four different languages (Arabic, French, English and Italian). By lifting the veil on the body and its multiple experiences, such as sexuality and illness, Léna Merhej and Noémie Honein invites us to explore social and political contexts in which these experiences are embedded: these women's lives are indeed intimately intertwined with political conjunctures and the collective experience. These two artists – who now live between France and Lebanon – tell their own stories through the portrait they paint of their country of origin, Lebanon, and of their families.
Varia et travaux en cours
- « La baraque [les camps], on y était ! » Faire la preuve administrative de son statut d'enfant de harki - Alice Baudy p. 165-183 Depuis le début de l'année 2019, les descendants de harkis peuvent prétendre à une aide financière, pour avoir séjourné dans des camps et hameaux de forestage après le rapatriement de 1962. Cet article s'intéresse à la production et à l'appropriation d'une catégorie administrative, celle d'enfant de harki passé par les camps, dans le cadre d'un dispositif d'action publique visant à réparer des préjudices liés au passé colonial. Il s'appuie sur une enquête par observations et entretiens, menée auprès de l'Office national des anciens combattants et des victimes de guerre (ONAC-VG) et de ses publics enfants de harkis. L'article retrace tout d'abord la genèse du dispositif « Fonds de solidarité » pour les enfants de harkis, dans un contexte judiciaire et mémoriel qui, depuis la fin des années 2010, associe l'expérience du rapatriement et des camps à la notion de préjudice. Alors que les politiques d'intégration, menées depuis les années 1980, concernaient jusqu'alors l'ensemble des fils et filles d'anciens supplétifs, l'introduction d'un critère de séjour d'au moins 90 jours dans les camps conduit à une redéfinition des frontières de la catégorie de publics formée par les enfants de harkis. Pour l'administration, la conception du dispositif Fonds de solidarité s'accompagne de la production négociée d'un discours historique et technique sur l'histoire des camps et des hameaux. Il s'agit en effet de déterminer, parmi les nombreux sites qui ont accueilli des familles de harkis, lesquels ont relevé d'une gestion administrative dérogatoire, ouvrant droit à une réparation. L'administration définit également un régime de preuve autoréférencée, dans lequel les enfants de harkis attestent de leur éligibilité au dispositif à l'aide de documents administratifs issus de leur prise en charge administrative passée. La seconde partie de l'article examine la manière dont les enfants de harkis engagés dans des démarches administratives se font reconnaître comme ayants droit du dispositif. La possibilité de convertir leur appartenance sociale et historique au groupe en statut administratif attaché à des ressources suppose de surmonter certains obstacles cognitifs et symboliques. Les enfants de harkis doivent tout d'abord apprendre l'existence de l'aide, généralement via des membres du groupe mieux informés et devenus, au fil de contacts répétés avec les administrations, intermédiaires de l'action publique. L'identification à la catégorie de publics concernés par le dispositif engendre des coûts symboliques, notamment liés au stigmate de l'assistance et à la lourdeur administrative du dossier. Pour faire la preuve de leur éligibilité, les requérants du dispositif s'efforcent ensuite de retrouver des documents relatifs à la période coloniale et post-coloniale, constitués en preuves de l'appartenance au groupe. Si ces documents, anciens, sont a priori difficiles à obtenir, les pratiques de conservation minutieuses des parents et les compétences administratives qu'ont acquises certains membres de la fratrie, généralement les filles aînées, permettent le plus souvent aux enfants de harkis de se conformer aux demandes de l'administration. Enfin, les fonctionnaires de l'administration, notamment lorsqu'ils établissent des relations personnalisées avec les requérants, jouent fréquemment un rôle de facilitateurs des démarches administratives.Since the beginning of 2019, descendants of harkis have been eligible for financial assistance, for having stayed in camps and forestage hamlets after the repatriation of 1962. This article looks at the production and appropriation of an administrative category, that of the child of a harki who has passed through the camps, within the framework of a public action program aimed at repairing prejudices linked to the colonial past. It is based on a survey of observations and interviews conducted in the National Office for Veterans and Victims of War (ONAC-VG) and its recipients who are children of harkis. The article begins by tracing the genesis of the Solidarity Fund for the children of harkis, in a judicial and memorial context that, since the end of the 2010s, has associated the experience of repatriation and the camps with the notion of prejudice. While the integration policies conducted since the 1980s had previously concerned all sons and daughters of former auxiliaries, the introduction of a criterion of at least 90 days' stay in the camps led to a redefinition of the boundaries of the category of recipients formed by the children of harkis. For the administration, the design of the Solidarity Fund was accompanied by the negotiated production of a historical and technical discourse on the history of the camps and hamlets. It was a matter of determining which of the many sites that had housed harki families had been subject to exceptional administrative management, giving rise to a right to compensation. The administration also defines a system of self-referential proof system, in which the children of harkis attest to their eligibility for the program with the help of administrative documents from their past administrative care. The second part of the article examines the way in which the children of harkis involved in administrative procedures are recognized as entitled to financial aid. The possibility of converting their social and historical belonging to the group into an administrative status attached to resources implies overcoming certain cognitive and symbolic obstacles. The children of harkis must first learn of the existence of aid, generally through better informed members of the group who, through repeated contacts with the administrations, have become relays for public action. Identifying with the category of public concerned by the system generates symbolic costs, particularly linked to the stigma of assistance and the administrative burden of filling out the application. To prove their eligibility, applicants for the program then try to find documents relating to the colonial and post-colonial period, as proof of membership of the group. Although these old documents are a priori difficult to obtain, the meticulous conservation practices of the parents and the administrative skills acquired by certain members of the siblings, generally the eldest daughters, most often enable the children of harkis to comply with the demands of the administration. Finally, the administration's civil servants, especially when they establish personalized relations with the claimants, frequently play a role in facilitating administrative procedures.
- Des bidonvilles aux sites de relogement à Témara : la quête d'une identité urbaine légitime - Aziz Benkorti p. 185-201 L'image dévalorisante associée aux bidonvilles engendre chez leurs habitants un sentiment de stigmatisation. Pour certains de ces habitants, le relogement est imaginé comme un nouveau départ, une occasion pour s'approprier une identité urbaine légitime à leurs yeux, en accédant à un logement légal et décent. Cette identité visée est construite en interaction avec les autorités et les non-résidents des bidonvilles, et est associée à un statut urbain légitime. À travers une enquête sociologique qualitative, cet article étudie comment la quête d'une nouvelle identité urbaine dans le quartier Nasr, un habitat collectif destiné à reloger des ex-bidonvillois à Témara, a créé des logiques d'exclusion et de hiérarchisation sociale. Il analyse les effets de lieu, les logiques d'exclusion et les techniques mobilisées par les stigmates pour comprendre les rapports de voisinage et les rapports entretenus par les relogés avec le reste de la ville. L'objectif est de savoir si ce relogement leur a permis de combler le sentiment de stigmatisation ressenti dans les bidonvilles. L'article est structuré en trois parties. La première partie fournit une description du quartier étudié et des conditions d'installation. Construit dans le cadre du programme national « villes sans bidonvilles » (VSB), le quartier Nasr reflète la gouvernementalité urbaine néolibérale promue par la Banque mondiale pour le développement. Une politique contribuant à la fabrication des pauvres endettés. Pour certains anciens résidents de bidonville, le relogement est vécu comme une forme de ruralisation, car il se situe loin du centre-ville et de ses commodités. La dégradation des conditions sociales de cette population alimente une certaine hostilité et un mécontentement envers les autorités. La deuxième partie de l'article met en lumière les conditions de vie précaires pour une grande partie des relogés. En effet, pour certains, les appartements étaient une désillusion par rapport à leurs attentes. Cela est lié en grande partie à l'objectif des autorités de déconstruire des habitats considérés comme un mal à la fois spatial et social sans mettre en place une stratégie d'accompagnement social plus efficace et qui réponde aux attentes de la population. Le sentiment d'abandon dû à l'absence d'un suivi social a donné lieu à des moyens de résistance subalternes, tels que le travail associatif, la mobilisation individuelle et collective, l'indignation envers les pouvoirs publics, et la construction d'un marché informel afin de répondre à leurs besoins. Le passage précaire des bidonvilles au quartier de relogement a aggravé la situation économique et sociale de certains habitants. Au niveau économique, de nombreuses familles, notamment les plus défavorisées (femmes cheffes de ménage et certains habitants exerçant des métiers journaliers) éprouvent des difficultés à assumer les nouvelles charges, telles que les traites bancaires, les frais d'eau et d'électricité. Enfin, la troisième partie analyse les rapports sociaux au sein du quartier. Les appartements y ont été attribués de manière arbitraire, ce qui a entraîné une rupture des liens sociaux existants entre les habitants des bidonvilles. De plus, le départ de certains relogés et l'arrivée d'autres catégories sociales a créé une hiérarchisation sociale basée sur le volume de capital économique possédé et les tentatives d'adaptation à la nouvelle vie. Ce qui a entraîné une sorte de méfiance et un repli social. Bien que cette hiérarchisation sociale soit invisible à l'extérieur, les habitants du quartier sont considérés comme homogènes et jugés en fonction de l'image que les autres ont de leur quartier. Cela conduit les habitants à vouloir fuir le quartier afin de se distinguer et de s'approprier une nouvelle identité urbaine.The devaluing image associated with slums leads to a feeling of stigmatisation among their inhabitants. For some slum dwellers, rehousing is imagined as a new start, an opportunity to take on an urban identity that is legitimate in their eyes, by accessing legal and decent housing. This intended identity is constructed in interaction with the authorities and non-residents of the slums, and is associated with a legitimate urban status. Through a qualitative sociological survey, this article studies how the quest for a new urban identity in the Nasr neighbourhood, a collective housing project designed to rehouse former residents of Témara, has created logics of exclusion and social hierarchisation. It analyses the effects of place, the logics of exclusion and the techniques mobilised by stigmas in order to understand neighbourhood relations and the relations maintained by the ex-bidonvillois with the rest of the city. The aim is to find out whether the rehousing of former slum dwellers has enabled them to overcome the feeling of stigmatisation felt in the slums. The article is structured in three parts. The first part provides a description of the neighbourhood studied and the conditions of settlement. Built within the framework of the national ‘Cities without Slums' (CSB) programme, the Nasr neighbourhood reflects the neoliberal urban governmentality promoted by the World Bank for Development. A policy contributing to the fabrication of the indebted poor. For some ex-slum dwellers, rehousing is experienced as a form of ruralization, as it is located far from the city centre and its amenities, which were accessible in the slum context. The deterioration of the social conditions of this population fuels a certain hostility and discontent towards the authorities. The second part of the article highlights the precarious living conditions for a large proportion of ex-bidonvillians. Indeed, the flats were a disillusionment for some ex-bidonvillians in relation to their expectations. This is largely linked to the authorities' objective of deconstructing habitats considered to be both a spatial and social evil without putting in place a more adequate social support strategy that meets the expectations of the population. The feeling of abandonment due to the lack of social support has given rise to subaltern means of resistance such as associative work, individual and collective mobilisation, indignation towards the public authorities, and the construction of an informal market to respond to their needs. The precarious transition from the slums to the resettlement area has worsened the economic and social situation of some inhabitants. At the economic level, many families, particularly the most disadvantaged (women heads of household and some ex-slum dwellers working in day jobs), have difficulty in covering new expenses, such as bank bills, water and electricity costs. Finally, the third part analyses the social relations within the neighbourhood. Flats were allocated arbitrarily, which led to a breakdown in the existing social ties between the slum dwellers. Moreover, the departure of some ex-slum dwellers and the arrival of other social categories created a social hierarchy based on the amount of economic capital owned and the attempts to adapt to the new life. This has led to a kind of mistrust and social withdrawal. Although this social hierarchy is invisible to the outside world, the inhabitants of the neighbourhood are seen as homogeneous and judged according to the image that others have of their neighbourhood. This leads the inhabitants to want to flee the neighbourhood in order to distinguish themselves and to appropriate a new urban identity.
- Construire des ressources relationnelles pour franchir des frontières multiples : Trajectoires de jeunes Tunisiens - Hasnia-Sonia Missaoui p. 203-220 Cet article restitue les résultats d'une enquête réalisée entre 2014 et 2016 auprès de jeunes adultes originaires de la région frontalière tuniso-algérienne du Kef. Nous avons collecté plusieurs trajectoires sociales de « diplômés-chômeurs » quelques années après le renversement du régime du président Zine el-Abidine Ben Ali le 14 janvier 2011 afin de comprendre comment le bouillonnement d'expression démocratique porté par de puissants mouvements de mobilisations collectives liés à la fin de la dictature peut infléchir le quotidien d'une classe d'âge particulièrement médiatisée mais invisibilisée ou instrumentalisée par les pouvoirs publics. Ces trajectoires nous montrent d'abord le désenchantement d'un groupe d'âge aux contours flous qui est lié aux situations d'injustices socio-économiques qu'ils vivent au quotidien. Ces jeunes expriment un sentiment d'exclusion face aux nombreuses inégalités subies dans le cercle familial, confrontés à de nombreux conflits intergénérationnels autant qu'à la faible présence des pouvoirs publics. Ces revendications, peu audibles du pouvoir et des élites, expriment en effet une demande pour plus d'égalité sociale au quotidien, plus de liberté de circulation et, plus généralement, de reconnaissance de la part de l'État. Les injustices vécues quotidiennement par les jeunes « diplômés chômeurs » s'apparentent aussi à des formes de demande sociale. En somme, nous percevons un réel processus de construction identitaire des citoyens en formation et l'émergence d'une « critique sociale » visant à combattre l'immobilisme social et le désenchantement « post-révolutionnaire ». Dans ce contexte difficile, les mobilités sociale et géographique sont par conséquent pour les jeunes adultes des leviers nécessaires afin de prendre les initiatives qui leur semblent nécessaires pour pallier les manques qu'ils éprouvent du fait de leur origine sociale et géographique. Les jeunes « diplômés chômeurs » subissent à la fois de nombreuses formes de précarité qu'ils cumulent mais aussi des inégalités sociales et territoriales. Ils développent cependant de nombreux projets professionnels. Ceux-ci visent généralement à accéder au micro-entrepreneuriat, et/ou à un projet migratoire, que ces mobilités se réalisent ou qu'elles soient projetées, qu'elles soient à courte ou longue distance. Ils témoignent ainsi d'une forte détermination à combattre l'immobilisme social auquel ils se sentent assignés et, pour ce faire, ils multiplient les franchissements d'univers sociaux et territoriaux. Leurs initiatives sont parfois peu visibles de leurs entourages. Elles passent d'abord par la construction de ce qui leur manque le plus, c'est-à-dire des compétences relationnelles afin de créer des cercles de solidarité, d'amitié, d'entraide, de conseils professionnels, en Tunisie et parfois aussi à l'étranger. Ils combinent alors ces compétences à différentes formes de mobilités pour construire leur propre trajectoire et tenter d'échapper à l'assignation identitaire de citoyens en marge de la société. Afin de saisir les différents moments et lieux-clés qui participent à l'élaboration de leur devenir, nous avons mobilisé les outils usuels de la sociologie compréhensive (entretiens, récits de vie, observations) en menant des entretiens à Tunis et dans la région du Kef. Ces informations sont ensuite exploitées selon des méthodes relevant de l'analyse des relations sociales, notamment le protocole dit de « générateur de noms ». En procédant ainsi, il devient possible de mettre en lumière des trajectoires individuelles qui s'apparentent à des rencontres de circonstance, souvent aléatoires mais que les concernés savent saisir. Pour éphémères qu'ils soient, ces contacts sont en effet susceptibles de procurer des ressources essentielles pour l'accès à l'autonomie sociale de ceux qui les construisent. Ces liens qui peuvent demeurer ponctuels ou durer toute une vie, peuvent contrebalancer des aspirations « verticales » souvent déçues et le sentiment constant d'être au pied du mur. Ils peuvent parfois être de réels leviers d'ascension mais, plus généralement, alors que l'engagement collectif s'étiole quelques années après la chute de la dictature, ils redonnent un sentiment d'appartenance et peuvent constituer un antidote au désenchantement.This article presents the results of a survey conducted between 2014 and 2016 among young adults from the Tunisian-Algerian border region of Kef. We collected several social trajectories of “unemployed graduates” a few years after the overthrow of President Zine el-Abidine Ben Ali's regime on January 14, 2011 in order to understand how the bubbling of democratic expression carried by powerful collective mobilization movements linked to the end of the dictatorship can influence the daily life of an age group that is particularly mediatized but invisibilized or instrumentalized by the public authorities. These trajectories show us first of all the disenchantment of an age group with blurred contours that is linked to the situations of socio-economic injustice that they experience on a daily basis. These young people express a feeling of exclusion in the face of the many inequalities suffered in the family circle, confronted with numerous inter-generational conflicts as well as the weak presence of the public authorities. These demands, which are hardly heard by the authorities and the elites, express a demand for more social equality in everyday life, more freedom of movement and, more generally, recognition by the State. The injustices that young 'unemployed graduates' experienced daily are also forms of social demand. In other words, we can see a real process of identity building among citizens in training and the emergence of a “social critique” aimed at combating social immobilism and “post-revolutionary” disenchantment. In this difficult context, social and geographical mobility are therefore necessary resources for young adults in order to take the initiatives they feel are necessary to compensate for the shortcomings they experience because of their social and geographical origin. Young “unemployed graduates” suffer from many forms of precariousness, which they accumulate, as well as from social and territorial inequalities. However, they develop many professional projects. These generally aim to access micro-entrepreneurship and/or a migratory project, whether these mobilities are realised or planned, and whether they are short or long distance. They thus show a strong determination to fight the social immobility to which they feel assigned and, to do so, they multiply the crossing of social and territorial universes. Their initiatives are sometimes not very visible to those around them. They start by building what they lack most, i.e. relational skills in order to create circles of solidarity, friendship, mutual aid and professional advice, in Tunisia and sometimes also abroad. They then combine these skills with different forms of mobility in order to build their own trajectory and try to escape the identity assignment of citizens on the margins of society. In order to grasp the different key moments and places that participate in the elaboration of their future, we have mobilised the usual tools of comprehensive sociology (interviews, life stories, observations) by conducting interviews in Tunis and in the Kef region. This information was then analysed using methods relating to the analysis of social relations, in particular the so-called “name generator” protocol. By proceeding in this way, it becomes possible to highlight individual trajectories that are similar to chance encounters, often random, but which the people concerned know how to grasp. However ephemeral they may be, these contacts are in fact likely to provide essential resources for access to social autonomy for those who build them. These links, which may be one-off or last a lifetime, can counterbalance “vertical” aspirations that are often disappointed and the constant feeling of being up against the wall. They can sometimes be a real resource for upward mobility, but more generally, as collective commitment wanes a few years after the fall of the dictatorship, they restore a sense of belonging and can be an antidote to disenchantment.
- « La baraque [les camps], on y était ! » Faire la preuve administrative de son statut d'enfant de harki - Alice Baudy p. 165-183