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Titre « La baraque [les camps], on y était ! » Faire la preuve administrative de son statut d'enfant de harki
Auteur Alice Baudy
Mir@bel Revue L'année du Maghreb
Numéro no 29, 2023 Dossier : Intimités en tension
Rubrique / Thématique
Varia et travaux en cours
Page 165-183
Résumé Depuis le début de l'année 2019, les descendants de harkis peuvent prétendre à une aide financière, pour avoir séjourné dans des camps et hameaux de forestage après le rapatriement de 1962. Cet article s'intéresse à la production et à l'appropriation d'une catégorie administrative, celle d'enfant de harki passé par les camps, dans le cadre d'un dispositif d'action publique visant à réparer des préjudices liés au passé colonial. Il s'appuie sur une enquête par observations et entretiens, menée auprès de l'Office national des anciens combattants et des victimes de guerre (ONAC-VG) et de ses publics enfants de harkis. L'article retrace tout d'abord la genèse du dispositif « Fonds de solidarité » pour les enfants de harkis, dans un contexte judiciaire et mémoriel qui, depuis la fin des années 2010, associe l'expérience du rapatriement et des camps à la notion de préjudice. Alors que les politiques d'intégration, menées depuis les années 1980, concernaient jusqu'alors l'ensemble des fils et filles d'anciens supplétifs, l'introduction d'un critère de séjour d'au moins 90 jours dans les camps conduit à une redéfinition des frontières de la catégorie de publics formée par les enfants de harkis. Pour l'administration, la conception du dispositif Fonds de solidarité s'accompagne de la production négociée d'un discours historique et technique sur l'histoire des camps et des hameaux. Il s'agit en effet de déterminer, parmi les nombreux sites qui ont accueilli des familles de harkis, lesquels ont relevé d'une gestion administrative dérogatoire, ouvrant droit à une réparation. L'administration définit également un régime de preuve autoréférencée, dans lequel les enfants de harkis attestent de leur éligibilité au dispositif à l'aide de documents administratifs issus de leur prise en charge administrative passée. La seconde partie de l'article examine la manière dont les enfants de harkis engagés dans des démarches administratives se font reconnaître comme ayants droit du dispositif. La possibilité de convertir leur appartenance sociale et historique au groupe en statut administratif attaché à des ressources suppose de surmonter certains obstacles cognitifs et symboliques. Les enfants de harkis doivent tout d'abord apprendre l'existence de l'aide, généralement via des membres du groupe mieux informés et devenus, au fil de contacts répétés avec les administrations, intermédiaires de l'action publique. L'identification à la catégorie de publics concernés par le dispositif engendre des coûts symboliques, notamment liés au stigmate de l'assistance et à la lourdeur administrative du dossier. Pour faire la preuve de leur éligibilité, les requérants du dispositif s'efforcent ensuite de retrouver des documents relatifs à la période coloniale et post-coloniale, constitués en preuves de l'appartenance au groupe. Si ces documents, anciens, sont a priori difficiles à obtenir, les pratiques de conservation minutieuses des parents et les compétences administratives qu'ont acquises certains membres de la fratrie, généralement les filles aînées, permettent le plus souvent aux enfants de harkis de se conformer aux demandes de l'administration. Enfin, les fonctionnaires de l'administration, notamment lorsqu'ils établissent des relations personnalisées avec les requérants, jouent fréquemment un rôle de facilitateurs des démarches administratives.
Source : Éditeur (via OpenEdition Journals)
Résumé anglais Since the beginning of 2019, descendants of harkis have been eligible for financial assistance, for having stayed in camps and forestage hamlets after the repatriation of 1962. This article looks at the production and appropriation of an administrative category, that of the child of a harki who has passed through the camps, within the framework of a public action program aimed at repairing prejudices linked to the colonial past. It is based on a survey of observations and interviews conducted in the National Office for Veterans and Victims of War (ONAC-VG) and its recipients who are children of harkis. The article begins by tracing the genesis of the Solidarity Fund for the children of harkis, in a judicial and memorial context that, since the end of the 2010s, has associated the experience of repatriation and the camps with the notion of prejudice. While the integration policies conducted since the 1980s had previously concerned all sons and daughters of former auxiliaries, the introduction of a criterion of at least 90 days' stay in the camps led to a redefinition of the boundaries of the category of recipients formed by the children of harkis. For the administration, the design of the Solidarity Fund was accompanied by the negotiated production of a historical and technical discourse on the history of the camps and hamlets. It was a matter of determining which of the many sites that had housed harki families had been subject to exceptional administrative management, giving rise to a right to compensation. The administration also defines a system of self-referential proof system, in which the children of harkis attest to their eligibility for the program with the help of administrative documents from their past administrative care. The second part of the article examines the way in which the children of harkis involved in administrative procedures are recognized as entitled to financial aid. The possibility of converting their social and historical belonging to the group into an administrative status attached to resources implies overcoming certain cognitive and symbolic obstacles. The children of harkis must first learn of the existence of aid, generally through better informed members of the group who, through repeated contacts with the administrations, have become relays for public action. Identifying with the category of public concerned by the system generates symbolic costs, particularly linked to the stigma of assistance and the administrative burden of filling out the application. To prove their eligibility, applicants for the program then try to find documents relating to the colonial and post-colonial period, as proof of membership of the group. Although these old documents are a priori difficult to obtain, the meticulous conservation practices of the parents and the administrative skills acquired by certain members of the siblings, generally the eldest daughters, most often enable the children of harkis to comply with the demands of the administration. Finally, the administration's civil servants, especially when they establish personalized relations with the claimants, frequently play a role in facilitating administrative procedures.
Source : Éditeur (via OpenEdition Journals)
Article en ligne https://journals.openedition.org/anneemaghreb/11844