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Titre « Paroles de flics ». Communications policières et actualité politique au Maroc (2005-2023)
Auteur Mériam Cheikh
Mir@bel Revue L'année du Maghreb
Numéro no 30, 2023 Dossier : L'ordre et la force
Rubrique / Thématique
Dossier : L'ordre et la force
Résumé En février 2005, une publication de presse inhabituelle au Maroc prend place au milieu de la profusion des titres (quotidien, hebdomadaires et mensuels) qui, depuis les années 1990, se multiplient en arabe et en français sur les étals des kiosques à journaux des grandes villes du pays. Il s'agit du magazine de la police, Police Magazine, annoncé en grandes pompes, entendant ainsi sortir des publications institutionnelles classiques qui ont existé jusqu'alors et qui ne s'adressaient pas au large public. Animé d'un fort désir de s'adresser en arabe et en français directement au large public, les responsables de la revue – responsables de la police par ailleurs – ont pour objectif de réconcilier leur service de sécurité pâtissant d'une mauvaise réputation et s'emparer de la nouvelle vulgate sur l'ouverture politique et le processus de démocratisation. Conscients d'être, théoriquement parlant, un acteur majeur de la protection et de l'application des droits de l'homme, la police marocaine encore discréditée pour les violations dont elle s'est rendue célèbre durant les années dites de plomb et qui ont été commentées lors des débats portés par l'Instance équité et réconciliation (IER), revendique son attachement à ces idéaux alors que se closent les travaux de l'IER. La renaissance de la publication policière (en arabe et en français) va signer le premier jalon de la constitution d'un travail de communication rendu visible à tou.tes et qui va au fil de ces deux dernières décennies (2005-2023) au fur et à mesure devenir un véritable service professionnel qui aura en charge, fait nouveau, non pas de nier mais de traiter par le discours la forte tension entre action policière et libertés. Pour ce faire, et dans un contexte de réforme de l'institution et de rationalisation managériale de ses effectifs, la police va se mettre en scène chaque mois pour donner à voir son travail, la diversité de ses services (sécurité publique en charge de la délinquance, police judiciaire en charge des enquêtes criminelles, renseignements généraux, police des frontières en charge des flux migratoires vers l'Europe et maintien de l'ordre) et les définitions qu'elle en a. Celles-ci permettent non seulement de voir comment est organisé de l'intérieur la police mais aussi quelles sont ses nouvelles priorités en tête desquelles figurent la délinquance urbaine et juvénile.Au moyen d'un passage en revue exploratoire de deux décennies d'une publication, qui s'intitulera Police Magazine de 2005 à 2013 puis Revue de Police de 2014 à aujourd'hui, il s'agira dans cet article de voir comment les forces de sécurité entrent dans le jeu de la communication institutionnelle à destination de la population marocaine et quelles formes elle prend selon des phases politiques qui vont de l'ouverture à la fermeture. Sans entrer dans les détails des 101 numéros passés en revue (l'espace imparti ne nous permet pas une analyse textuelle des discours), le but est de relever les éléments les plus significatifs à même de démontrer ces phases d'ouverture puis de fermeture du discours de la police sur elle-même. Ainsi, après avoir proposé, dans une première partie, une rapide histoire de la mise en image de la police au Maroc allant de l'Indépendance en 1956 à la fin des années 1990, moment de l'alternance politique censée marquer le début de ce que certains analystes nommeront hâtivement « la transition démocratique », il s'agira de revenir, dans une seconde partie, sur le travail qu'effectue la police sur sa représentation en optant pour une forme d'écriture davantage journalistique que communicationnelle, donnant l'impression qu'elle cherche à dire quelque chose de vrai sur elle-même en mobilisant les termes de la « nouvelle ère » du régime : ceux du développement humain et social. La dernière partie est consacrée quant à elle à la mise en scène du métier de policier à mesure que le métier de communicant policier s'affine. Il s'agira, toujours en lien avec les phases de réajustements politiques, d'acter l'ancrage d'une communication de moins en moins à destination du grand public et de plus en plus centrée sur les agents des forces de sécurité.
Source : Éditeur (via OpenEdition Journals)
Résumé anglais In February 2005, an unusual press publication in Morocco appeared amid the profusion of titles (dailies, weeklies and monthlies) that had been appearing in Arabic and French on the newsstands of the country's major cities since the 1990s. One of these is the new police journal, entitled Police Magazine, which has been heralded with great fanfare as a move away from the traditional institutional publications that have existed until now and which were not always aimed at the general public. Driven by a strong desire to address the general public directly in Arabic and French, the magazine's editors - who happen to be in positions of responsibility within the police force - aim to reconcile their security service, which suffers from a bad reputation, and to seize upon the new vulgate on political liberalisation and the democratisation process. Aware that they are, theoretically speaking, a key player in the protection and enforcement of human rights, the Moroccan police, while still discredited for the violations of which they became notorious during the so-called years of lead, and which were addressed in the debates led by the Equity and Reconciliation Commission (Instance équité et réconciliation - IER), are now asserting their attachment to these ideals as the IER's work draws to a close. The resurgence of police publishing (in Arabic and French) will mark the first milestone in the establishment of a system of communication that will be visible to all and which, over the course of the last two decades (2005-2023), will gradually become a fully-fledged professional service responsible, for the first time, not for denying but for addressing through discourse the strong tension between police action and civil liberties. To this end, and in the context of police reform and managerial rationalisation of its workforce, the Police Department will be showcasing its work each month, the diversity of its services (Public Security in charge of crime, Criminal Investigation Department in charge of criminal investigations, General Intelligence, Border Police in charge of migratory flows to Europe and Law Enforcement) and the ways in which it defines these services. These not only show how the police are organised from the inside but also what their new priorities are, with urban and juvenile delinquency at the top of the list.By examining two decades of a publication known as “Police Magazine” from 2005 to 2013, then “Revue de Police” from 2014 to the present day, this article will look at how the security forces engage in institutional communication aimed at the Moroccan public, and what forms this takes according to different political shifts, ranging from political openness to political closedness. Without going into the details of the 101 issues of Police Magazine and Revue de Police under review (the space available does not allow for text analysis), the aim is to highlight the most significant elements that demonstrate the stages of opening up and then of closing down of the police's discourse on itself. In the first section, we provide a brief history of the development of police imagery in Morocco, from independence in 1956 to the end of the 1990s, the time of the political transition that was supposed to mark the beginning of what some analysts have hastily termed “the democratic transition”, In the second part, we look at how the police represent themselves by opting for a form of writing that is more journalistic than communication-based, giving the impression that they are trying to tell the truth about themselves by using the language of the regime's “new era”: namely that of human and social development. The final section is devoted to the shaping of the police profession as the profession of police communicator becomes more refined. In line with the political readjustment period, communication will become less and less aimed at the general public and more and more focused on members of the security forces.
Source : Éditeur (via OpenEdition Journals)
Article en ligne https://journals.openedition.org/anneemaghreb/12374