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Titre Les syndicats, les commissaires et le politique : (re)valorisations et conflits autour de la profession policière en Tunisie (2011-2022)
Auteur Audrey Pluta
Mir@bel Revue L'année du Maghreb
Numéro no 30, 2023 Dossier : L'ordre et la force
Rubrique / Thématique
Dossier : L'ordre et la force
Résumé Les conditions socioprofessionnelles des agents de l'appareil sécuritaire ont fait l'objet d'une publicisation croissante après le 14 janvier 2011, mais aussi d'une mobilisation inédite des policiers tunisiens. Constitués en syndicats, ces derniers ont entamé des cycles de négociation avec les gouvernements successifs, s'imposant comme des interlocuteurs légitimes des pouvoirs publics. À travers une trentaine d'entretiens avec des syndicalistes policiers appartenant à trois organisations concurrentes à Tunis, Gafsa et Sfax, cet article revient sur le rôle des syndicats policiers tunisiens dans les évolutions statutaires des agents du ministère de l'Intérieur. En se penchant sur les enjeux qu'ont constitué les salaires, les avancées en grade et la séparation entre corps « civil » et corps de la « tenue », il montre que la période post-2011 voit une (re)valorisation du statut de l'agent, notamment à travers des augmentations salariales importantes, mais aussi des perspectives de montées en grade renouvelées. Si le régime de Ben Ali était souvent qualifié d'« État policier », cela avait tendance à obscurcir les conditions socioprofessionnelles réelles des agents de l'institution sécuritaire. Le contrôle politique exercé sur les agents des forces de sécurité avant janvier 2011 reposait, entre autres, sur le maintien des agents dans une situation économique assez précaire. L'irruption des groupes d'intérêt policiers sur la scène publique modifie radicalement le rapport de force entre élite politique et sécuritaire, et agents de la force publique. Ces derniers, en s'alignant sur le fond et la forme des revendications salariales par la centrale syndicale UGTT, parviennent à obtenir la signature d'un accord gouvernemental pour des augmentations par tranches de leurs salaires. L'impact des syndicats policiers ne se limite pas à des aspects matériels. Ils négocient, et obtiennent une montée en grade pour les agents de grades inférieurs. Ils négocient également un réagencement des règles d'avancement dans l'institution, pour une prise en compte des titres scolaires dans les montées en grade. Ces éléments tendent à opérer un renversement de la pyramide hiérarchique au sein de la police, mais aussi à créer des horizons professionnels désirables pour des agents qui étaient auparavant exclus de certaines fonctions. À cet égard, les syndicats s'inscrivent dans les thèmes révolutionnaires et la construction politique d'un discours de « la dignité » dans une acception socioprofessionnelle. Enfin, ces bouleversements des normes institutionnelles par l'action syndicale sont visibles dans la remise en cause d'une répartition des postes sur la base d'une division historique entre corps « civils » (correspondant notamment aux commissaires, aux inspecteurs, etc.) et « de la tenue » (officiers, commandants, brigadiers, etc.). Alors que les commissaires ont occupé les principales positions de pouvoir sous Ben Ali, les officiers du corps de la tenue tendent maintenant à occuper des postes dans la haute hiérarchie ministérielle. Ces évolutions vont dans le sens de l'émergence d'une nouvelle génération de cadres sécuritaires. Cet article montre que ces évolutions modifient profondément la répartition des pouvoirs au sein de l'appareil sécuritaire, ainsi que les rapports entre supérieurs hiérarchiques et subordonnés. Les revendications socioprofessionnelles alimentent une concurrence intersyndicale qui favorise l'adoption des mesures préconisées, ainsi que la construction de marges d'autonomie des bases à l'égard de la hiérarchie. À travers l'analyse des évolutions des normes socioprofessionnelles dans la police tunisienne, cet article réinterroge les effets des changements de régime sur les institutions régaliennes.
Source : Éditeur (via OpenEdition Journals)
Résumé anglais After 14 January 2011, the socio-professional conditions of members of the security forces became increasingly public, but also led to an unprecedented mobilisation of Tunisian police officers. Organised into trade unions, they began to negotiate with successive governments, establishing themselves as legitimate interlocutors with the authorities. Drawing on some thirty interviews with police unionists from three competing organisations in Tunis, Gafsa and Sfax, this article examines the role of Tunisian police unions in changing the status of Ministry of the Interior employees. Focusing on issues of pay, promotion and the separation of the 'civilian' and 'uniformed' corps, it shows that the post-2011 period has seen a (re)improvement in the status of officers, particularly through significant pay increases and renewed prospects for promotion. Although Ben Ali's regime was often described as a 'police state', this tended to obscure the real socio-professional conditions of security officers. The political control exercised over members of the security forces before January 2011 was based, among other things, on keeping them in a rather precarious economic situation. The emergence of police interest groups on the public scene has radically altered the balance of power between the political and security elite and the law enforcement officers. By aligning themselves with the content and form of the UGTT's wage demands, the latter succeeded in getting the government to sign an agreement for a gradual increase in their salaries. The impact of the police unions was not limited to material aspects. They negotiated and won a pay rise for lower-ranking officers. They also negotiated a reorganisation of the rules governing promotion within the institution, so that academic qualifications would be taken into account in promotions. These elements tend to reverse the hierarchical pyramid within the police, but also create desirable professional horizons for officers who were previously excluded from certain functions. In this respect, the trade unions are part of the revolutionary themes and the political construction of a discourse of "dignity" in a socio-professional sense. Finally, these upheavals of institutional norms as a result of union action can be seen in the questioning of a distribution of posts based on a historical division between "civilian" bodies (corresponding in particular to commissioners, inspectors, etc.) and "uniformed" bodies (officers, commanders, brigadiers, etc.). While police chiefs held the key positions of power under Ben Ali, uniformed officers now tend to occupy positions in the senior ministerial hierarchy. These developments point to the emergence of a new generation of security executives. This article shows that these developments are profoundly changing the distribution of power within the security apparatus, as well as relations between superiors and subordinates. Socio-professional demands are fueling inter-union competition, which is encouraging the adoption of the measures advocated, as well as the construction of margins of autonomy for the rank and file in relation to the hierarchy. By analysing changes in socio-professional norms in the Tunisian police force, this article re-examines the impact of regime change on institutions.
Source : Éditeur (via OpenEdition Journals)
Article en ligne https://journals.openedition.org/anneemaghreb/12429