Titre | Réprimer par le droit : L'intervention de la Brigade nationale de police judicaire dans les procès du Hirak El-Rif | |
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Auteur | Mariam Benalioua | |
Revue | L'année du Maghreb | |
Numéro | no 30, 2023 Dossier : L'ordre et la force | |
Rubrique / Thématique | Dossier : L'ordre et la force |
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Résumé |
Cet article s'intéresse à l'intervention de la Brigade nationale de police judiciaire (BNPJ) dans la gestion judicaire du mouvement social marocain « Hirak ». Il s'agit d'un mouvement de contestation qui s'est développé dans le Rif, au Maroc, à la suite de la mort d'un poissonnier écrasé par une benne à ordure alors qu'il tentait de récupérer sa marchandise confisquée par les autorités. Le mouvement naissant dénonce la marginalité socio-économique et politique dont souffre la région et revendique des réformes profondes pour le développement du Rif. Accusés de « porter atteinte à la sûreté d'État », les militants arrêtés considérés comme les cadres du mouvement, ont été condamnés à des peines allant de 5 ans à 20 ans de prison ferme. En s'appuyant sur des entretiens réalisés avec des ex-détenus graciés, des avocats, l'analyse des documents judiciaires, les rapports de l'Instance équité et réconciliation (IER), ainsi qu'une revue de presse qui retrace toutes les apparitions médiatiques des directeurs de la BNPJ, cet article étudie les modalités de répression de la dissidence politique par cette brigade. Il s'interroge également sur sa stratégie pour remplir sa mission principale : la préservation de la sécurité intérieure, donc du maintien d'un ordre politique, mission qu'elle accomplie depuis sa création. Le changement politique initié au Maroc par l'alternance consensuelle et la mise en place de l'IER a obligé cette brigade à se réinventer. Le suivi de l'évolution historique de cette brigade depuis la fin des années 1990 jusqu'à aujourd'hui montre comment elle a élargi son champ d'intervention, passant d'une brigade traitant seulement des affaires liées à la sûreté d'État, qui s'occupe principalement du dossier des opposants politiques de gauche, à une brigade incluant les affaires d'ampleur nationale et relevant de la lutte contre le crime organisé (terrorisme, trafic de drogue, etc.). Ce remaniement dans sa structure et son fonctionnement a permis à cette brigade de se professionnaliser dans sa gestion des dossiers politiques en orientant sa stratégie de répression vers la collecte des preuves conduisant à la criminalisation du mouvement contestataire. En décrivant les pratiques d'arrestation et d'interrogatoire des militants du Hirak, cet article montre comment la BNPJ a abandonné les anciennes méthodes de disparition forcée, de torture et de détention arbitraire, pour faire du droit son arme de répression. L'argument que je défends consiste à montrer comment la BNPJ a changé ses modalités et sa stratégie de répression, passant d'une brigade qui avait pour mission le démantèlement des organisations politiques de gauche clandestines à travers la torture et la détention secrète dont le seul objectif est de collecter des informations conduisant à localiser et traquer les militants politiques pour les faire disparaitre, vers une brigade dont la stratégie de répression passe par l'action judicaire, en conduisant des interrogatoires et en dressant des procès-verbaux qui visent à collecter des preuves judiciaires exploitables pendant les procès. Mon propos s'organise en quatre parties. La première montre comment la BNPJ a évolué, d'une police spécialisée seulement dans les affaires relevant de la sûreté d'État à une brigade avec un champ d'intervention beaucoup plus élargi. La deuxième entreprend de décrire comment les pratiques d'arrestation de cette brigade correspondent à un style d'intervention « confrontationnel », caractérisé par la mise en avant de l'autorité policière et l'usage de la force (Maillard et Zagrodzi ; 2017). La troisième partie s'attache à décrire les types de pratiques déployées par cette brigade à l'occasion d'un interrogatoire visant à obtenir des aveux. La dernière partie entend montrer, à travers la constitution des PV, comment la BNPJ procède à une collecte orientée des faits incriminants lui permettant de produire une histoire judicaire cohérente. Source : Éditeur (via OpenEdition Journals) |
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Résumé anglais |
This article looks at the involvement of the Brigade nationale de police judiciaire (BNPJ) in the judicial management of the Moroccan "Hirak" social movement. This protest movement developed in Morocco's Rif region, following the death of a fishmonger crushed by garbage truck compactor while trying to recover his fish goods confiscated by the authorities. The nascent movement denounced the socio-economic and political marginalization of the region and called for far-reaching reforms for the Rif's development. Accused of "undermining state security", the arrested activists, considered to be the movement's leaders, were sentenced to between 5 and 20 years in prison. Based on interviews with pardoned ex-detainees and lawyers, analysis of court documents, reports by the Equity and Reconciliation Commission (IER), and a press review of all media appearances by BNPJ directors, this article examines how this brigade repressed political dissent. As well as its strategy for fulfilling its principal mission of preserving internal security and maintaining political order, a mission it has been fulfilling since its creation. The political change initiated in Morocco by the consensual alternation of power and the establishment of the Equity and Reconciliation Commission (IER) has forced this brigade to reinvent itself. A look at the historical development of this brigade from the late 1990s to the present day shows how it has broadened its scope of intervention, moving from a brigade dealing only with cases linked to state security, mainly dealing with the files of left-wing political opponents, to a brigade including cases of national scope and falling within the scope of the fight against organized crime (terrorism, drug trafficking, etc.). This rearrangement in its structure and operation has enabled the brigade to professionalize its treatment of political cases, orienting its repressive strategy towards the collection of evidence leading to the criminalization of the protest movement. By describing the arrest and interrogation practices of Hirak activists, this article shows how the BNPJ has abandoned the old methods of enforced disappearance, torture and arbitrary detention, to make the law its weapon of repression. The argument I defend consists in showing how the BNPJ has changed its methods and strategy of repression, from a brigade whose mission was to dismantle clandestine left-wing political organizations through torture and secret detention, with the sole aim of gathering information leading to the location and tracking down of political activists in order to make them disappear, to a Brigade whose strategy of repression involved judicial action, conducting interrogations and drawing up reports aimed at collecting legal evidence that could be used during trials. My presentation is divided into four parts. The first shows how the BNPJ has evolved from a police force specializing solely in state security matters to a brigade with a much broader scope of intervention. The second undertakes to describe how the arrest practices of this brigade correspond to a "confrontational" style of intervention, characterized by the foregrounding of police authority and the use of force ( Maillard and Zagrodzi; 2017). The third part describes the types of practices deployed by this brigade during an interrogation aimed at obtaining a confession. The final section shows how the BNPJ collects incriminating facts in a targeted way, through the creation of PVs, to produce a coherent judicial history. Source : Éditeur (via OpenEdition Journals) |
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Article en ligne | https://journals.openedition.org/anneemaghreb/12488 |