Titre | L'officier de police, le checkpoint et l'interrogatoire : les spatialités des performances sécuritaires dans le centre-ville du Caire | |
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Auteur | Laura Monfleur | |
Revue | L'année du Maghreb | |
Numéro | no 30, 2023 Dossier : L'ordre et la force | |
Rubrique / Thématique | Dossier : L'ordre et la force |
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Résumé |
Le renforcement de l'appareil sécuritaire constitue un des éléments de la reprise en main autoritaire dans l'Égypte post-révolution 2011. Analysée de manière institutionnelle dans des travaux en sociologie et sciences politiques, nous supposons que cette reprise en main peut être également étudiée par le bas, à l'échelle de la rue. Cet article propose d'analyser les pratiques des forces de l'ordre selon leurs spatialités dans le centre-ville du Caire. S'appuyant sur une sociologie interactionniste et une géographie attentive à la dimension sensible des espaces, ces spatialités sont reliées à la notion de performances sécuritaires. A travers cette notion, il s'agit de rendre compte de la manière dont les pratiques et dispositifs policiers s'approprient les espaces urbains, constitués alors comme des enjeux de la sécurisation et, en retour, construisent les espaces de la rue et de la place comme des espaces où un ordre spatial sécuritaire s'impose. Nous déplaçons également les analyses des pratiques policières souvent faites en contexte de contestations pour s'intéresser à la manière dont les performances sécuritaires se manifestent au quotidien. Elles contribuent certes à une anticipation des pratiques contestataires mais également à des contraintes pour les pratiques et perceptions quotidiennes des usagers et usagères des espaces urbains. Ces contraintes varient selon les espaces, les temporalités, le rôle des policiers et l'identité affichée ou assignée des citadins et des citadines. Sont ainsi analysées tour à tour trois dimensions spatiales de la police : la localisation des forces de l'ordre, les infrastructures matérielles qui occupent l'espace et permettent un filtrage des mobilités, les représentations spatiales des policiers. Les performances corporelles des policiers passent par leur uniforme, leur geste et leur posture qui les rendent visibles et contribuent à produire des comportements de méfiance et de soupçon de la part des usagers et usagères. Cependant ces performances corporelles varient selon le type des acteurs de la police, témoignant du fait que les acteurs de la sécurité rattachés au ministère de l'Intérieur ne sont pas un bloc monolithique. Les checkpoints produisent un paysage sécuritaire dont les perceptions varient entre tranquillité et familiarité d'un côté et insécurisation et incertitude de l'autre. Le premier type correspond principalement aux checkpoints devant les lieux de culte : les interactions quotidiennes sont plus importantes avec ces policiers, l'emprise spatiale de la présence policière est peu contraignante et n'est expérimentée que lorsqu'on se rend dans les lieux de culte, la raison de leur présence liée au risque terroriste paraît plus légitime. Le deuxième type correspond aux checkpoints autour des institutions politiques et lors des moments d'intensification sécuritaire pour empêcher les manifestations : la distance quotidienne est plus grande avec les policiers qui y sont présents, leur emprise spatiale contraint plus les mobilités et impose parfois des détours, leur rôle est jugé moins légitime et insécurisant. Ainsi, les contraintes liées aux performances sécuritaires varient selon leur rôle, les lieux et les temporalités. Enfin, des performances discursives se manifestent lors des interrogatoires menés par les policiers. Leur fréquence et issue dépendent de certaines caractéristiques des citadins et citadines. A une échelle plus large, cet article montre comment le contexte spatial et politique du centre-ville explique les performances sécuritaires : présence d'institutions à protéger, lieux historiques des contestations, projet d'attractivité touristique. En retour, les performances sécuritaires construisent le centre-ville du Caire comme étant une zone sensible où la présence des policiers, des checkpoints et la réalisation d'interrogatoires sont autant de rappels à l'ordre social, manière de dire à chacun sa place et de qui dispose du pouvoir coercitif mais également à un ordre spatial, manière de signifier à qui appartient le centre-ville.Cette recherche s'appuie sur différentes enquêtes de terrain menées au Caire en 2015 puis entre 2019 et 2021. Des observations des espaces urbains de Wast al-Balad ont permis de faire des relevés systématiques et de produire une cartographie des infrastructures de sécurité et des forces de l'ordre. Une soixantaine d'entretiens ont été conduits auprès de résidents et résidentes et d'usagers et usagères du centre-ville. Ces entretiens portant tout d'abord sur des pratiques quotidiennes – se déplacer, consommer, travailler, se détendre, rencontrer du monde – ont également été l'occasion de travailler sur la manière dont la police est perçue et de collecter des micro-récits sur des situations types avec les officiers de police. Source : Éditeur (via OpenEdition Journals) |
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Résumé anglais |
The strengthening of the security apparatus is one of the elements of the authoritarian takeover in post-revolutionary Egypt in 2011. Analyzed institutionally in works in sociology and political science, we assume that this takeover can also be analyzed from below, at street level. In this article, we propose to analyze the practices of the forces of law and order according to their spatialities in downtown Cairo. Drawing on interactionist sociology and a geography attentive to the sensorial dimension of spaces, these spatialities are linked to the notion of security performance. Through this notion, the aim is to account for the way in which police practices and devices appropriate urban spaces, which are then constituted as issues of securitization, and, in return, construct the spaces of the street and square as spaces where a security spatial order is imposed. We also shift the focus from analyses of police practices often carried out in the context of protests to the way in which security performance manifests itself on a daily basis. They certainly contribute to anticipating protest practices, but they also impose constraints on the everyday practices and perceptions of users of urban spaces. These constraints vary according to space, time, the role of the police and the identity displayed or assigned to city dwellers. Three spatial dimensions of policing are analyzed in turn: the location of law enforcement actors, the physical infrastructures that occupy space and filter mobility, and the spatial representations of police officers. The bodily performance of police officers is reflected in their uniforms, gestures and postures, which make them visible and contribute to the distrust and suspicion of users. However, these bodily performances vary according to the type of police actor, testifying to the fact that the security actors attached to the Ministry of the Interior are not a monolithic block. Checkpoints produce a security landscape whose perceptions vary between tranquility and familiarity on the one hand, and insecurity and uncertainty on the other. The first type corresponds mainly to checkpoints in front of places of worship: daily interaction is greater with these police officers, the spatial hold of the police presence is less constraining and is only experienced when visiting places of worship, the reason for their presence linked to the terrorist risk seems more legitimate. The second type corresponds to checkpoints around political institutions and at times of heightened security to prevent demonstrations: the daily distance is greater with the police officers present there, their spatial hold more restricts mobility and sometimes imposes detours, and their role is deemed less legitimate and insecure. Thus, the constraints linked to security performances vary according to their role, place and time. Finally, discursive performance is also a feature of police encounters. Their frequency and outcome depend on certain characteristics of city dwellers.On a broader scale, this article shows how the spatial and political context of the city center explains its security performance: the presence of institutions to be protected, historical sites of protests, a project to attract tourists. In turn, security performance constructs downtown Cairo as a sensitive zone where police presence, checkpoints and interrogations are all reminders of the social order, a way of telling everyone their place and who has coercive power, but also of a spatial order, a way of signifying to whom downtown belongs.This research is based on various field surveys conducted in Cairo in 2015 and then between 2019 and 2021. Observations of urban spaces in Wast al-Balad enabled systematic surveys to be carried out and a map of security infrastructures and law enforcement agencies to be produced. Around 60 interviews were conducted with residents and users of the town center. These interviews focused primarily on day-to-day practices - getting around, shopping, working, relaxing, meeting people - and also provided an opportunity to work on how the police are perceived and to collect micro-stories of typical situations with police officers. Source : Éditeur (via OpenEdition Journals) |
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Article en ligne | https://journals.openedition.org/anneemaghreb/12519 |