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Titre Erosion du manteau d'altération et systèmes agraires dans les terres cristallines des régions tropicales. Quelques indices de stabilité du milieu en Inde du Sud
Auteur Yanni Gunnell, Yannick Lageat
Mir@bel Revue Les Cahiers d'Outre-Mer
Numéro vol. 51, no 202, avril-juin 1998
Rubrique / Thématique
Etudes
Page 28 pages
Résumé Une reconnaissance géomorphologique du revers d'aplanissement en roches cristallines du Ghât occidental, entre 12 et 16°N, a permis de s'étonner de la relative stabilité d'un paysage agraire pourtant fortement anthropisé. Le fort gradient climatique d'ouest en est permet de franchir en quelque 70 km une séquence d'isohyètes allant de 6 000 à 600 mm a"1, ce qui garantit des conditions idéales pour mettre en évidence une trame d'équilibres agro-morpho-pédologiques au sein d'un continuum pluviométrique d'une cohérence rare. Ce dispositif offre par ailleurs la possibilité de mettre en perspective cet exemple particulier par rapport à d'autres régions tropicales de socle cristallin, dotées de fourchettes climatiques comparables. L'extrême rareté des formes d'irrégularisation de versants tant multiconvexes, convexo-concaves que multiconcaves en Inde du Sud conduit à s'interroger sur la fra¬ gilisation beaucoup plus poussée du milieu à Madagascar, au Rwanda-Burundi, dans le Brésil atlantique ou en Afrique soudano-sahélienne, dans des domaines de modelé comparable. Cette approche conduit à esquisser une estimation comparée des départs en matière sur les versants, puis permet d'explorer les facteurs qui semblent jouer un rôle majeur dans l'organisation socio-écologique des milieux tropicaux à saisons contrastées. D'une part, bien que détenant le plus grand cheptel bovin du monde, l'Inde humide se distingue par une quasi-absence de saltus parmi les terroirs qui se partagent le paysage. Cette originalité d'une société qui ne consacre guère de surfaces spécifiquement réservée au bétail constitue peut-être déjà un facteur de préservation relative des sols et du manteau d'altération, tant il est vrai que les grandes ceintures d'érosion des sols dans le monde inter-et subtropical sont étroitement corrélées aux domaines de l'élevage. A contrario, les quelques formes de ravinement rencontrées dans la région indienne étudiée sont effectivement liées à des concentrations inhabituelles de bétail. Ensuite, il est permis de se demander si ce n'est pas parce que les conditions du milieu sont au dépari stables, et que les associations sol -modelé garantissent une bonne fertilité chimique et une bonne endurance physique aux agressions pluviales, qu'une société humaine se sédentarise et met en œuvre des efforts de conservation des équilibres acquis (irrigation multiséculaire par tanks, fumure, imbrication agriculture -élevage). En revanche, un milieu morpho-pédologique physiquement fragile et / ou chimiquement infertile, comme cela peut être le cas des sols ferrugineux lessivés de l'Afrique soudano-sahélienne, incitera à des pratiques itinérantes finement adaptées au milieu, bien qu'interprétées comme un manque de maîtrise qui heurte le technocrate. Enfin, tout se passe comme si l'importance du ravinement, et donc des déséquilibres homme-milieu, étaient proportionnels à l'étendue des manteaux kaoliniques hérités et aujourd'hui en situation de rupture par rapport aux conditions bioclimatiques ayant conduit à leur genèse. La part des héritages en Inde du Sud étant particulièrement modeste, on peut y voir ainsi un gage supplémentaire de stabilité vis-à-vis du ravinement.
Source : Éditeur (via Persée)
Résumé anglais Agricultural practices, environmental stability and the erosion of weathering mantles in South India and other tropical regions : a comparative analysis. Though densely occupied by farming communities , the backslope of the Western Ghats (India), between 12 and 16°N, exhibits exceptionally few signs of spec¬ tacular land degradation. The steep annual rainfall gradient from West to East (6000 to 600 mm in 35 miles ) provides an ideal environmental continuum for performing a detailed analysis of existing agro-morpho-pedological interactions and comparing these to other tropical regions with similar natural conditions, such as Madagascar, Rwanda-Burundi, upland Brazil or sudano-sahelian Africa, where soil erosion constitutes a chronic geomorphological nuisance. The comparison between India and the aforementioned regions is approached through reported measurements of soil loss on hillslopes and of river sediment loads. The consistently low values for South India call for a thorough survey of the possible causes for such relative geomorphic stability. Human and cultural factors are discussed. Among these, the absence of extensive cattle farming, in contrast with the Afro-American Tropics, constitutes a fundamental difference in pressure on the land. However, unconventionally, natural factors are given precedence, with a particular emphasis on the occurrence of kaolinitic profiles inherited from previously more humid climates. Indeed, throughout the Tropics, a consistent proportionality appears to exist between the frequency and intensity of gullying, and the area occupied by ferrallitic parent soils which are no longer in biogeographic equilibrium with the climatic conditions which initially presided over their development. The landscape units answering to this description in South India are uncommon, either replaced by large tracts of kaolinite-poor fersialli-tic soils in the dry zone, or still covered by evergreen or moist forest in the humid zone -both situations being adapted to the currently prevailing bioclimatic conditions. Accordingly, this finding raises the hypothesis that it is when environmental conditions are initially stable, and that soil and landform associations ensure good physico-chemical properties, that human communities are more likely to become sedentary and develop land husbandry techniques which aim to preserve the initial ecological balance they have inherited (in South India : water management since the Middle-Ages, manuring, integration of cattle rearing and agriculture). By contrast, physically sensitive and low-fertility environments, such as the extensive plinthic and ferric Luvisol territory of western Africa, will encourage itinerant practices which, though finely adapted to the multiple facets of the landscape, are interpreted by technocrats as indicators of poor levels of control over the ecosystem. These considerations are drawn into a broader discussion on the balance between man and the environment in various regional circumstances as well as in the discourse of developers and planners.
Source : Éditeur (via Persée)
Article en ligne https://www.persee.fr/doc/caoum_0373-5834_1998_num_51_202_3683