Titre | Les effets paradoxaux du transfert des forces de sécurité en Tunisie (juin 1955-mars 1956) | |
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Auteur | Khansa Ben Tarjem | |
Revue | L'année du Maghreb | |
Numéro | no 31, 2024 | |
Rubrique / Thématique | Varia & recherches en cours |
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Résumé |
La Tunisie est le premier pays de l'empire colonial français à connaître une phase d'autonomie interne avant l'indépendance. Celle-ci débute le 3 juin 1955 et s'achève le 20 mars 1956. Cet article vise à analyser le processus de transfert des compétences de maintien de l'ordre durant cette période. Le transfert des pouvoirs de police n'est pas un processus uniforme. Il dépend notamment de la structure de l'État colonisé et des modalités de la décolonisation (le timing, la durée, l'organisation et l'intensité des mouvements de résistance nationalistes). La première partie examine l'organisation du Protectorat et du maintien de l'ordre colonial ainsi que les résistances nationalistes qui se caractérisent par la présence d'un parti hégémonique, le Néo-Destour. Engagé avec d'autres acteurs du mouvement national dans une insurrection armée (1952- 1954), il détient des liens importants avec les combattants nationalistes, dits fellaga. Cette analyse permettra de mieux comprendre les négociations et les enjeux du transfert de l'appareil sécuritaire notamment après la proposition de Pierre Mendès-France, le président du Conseil français, d'entamer des négociations pour une autonomie interne lors de son discours à Tunis le 31 juillet 1954. Durant ces négociations, la France aspire à maintenir des parties importantes de l'appareil sécuritaire sous son contrôle aussi longtemps que possible. La deuxième partie explore cette stratégie. Le gouvernement français impose un transfert progressif et lent des compétences de police. Par ailleurs, il tente de s'approprier indéfiniment les prérogatives de renseignement, de surveillance du territoire et de contrôle des zones frontalières en redéfinissant des missions maintien de l'ordre interne en missions de défense, contrairement à la pratique en métropole.Les termes des accords d'autonomie interne de juin 1955 divisent le mouvement national tunisien déclenchant une guerre fratricide entre les partisans du bureau politique du Néo-Destour dirigé par Habib Bourguiba et ceux du secrétaire général du parti, Salah Ben Youssef. L'issue de cette compétition ne dépend pas uniquement du nombre de partisans, mais également de la capacité à mobiliser des ressources coercitives et des soutiens étrangers, notamment coloniaux et régionaux. Bien qu'ils tiennent les rênes du gouvernement tunisien, les Bourguibistes dépendent de la tutelle et des ressources policières françaises pour réprimer leurs rivaux tout en négociant avec la France les conditions d'émancipation de la Tunisie.Pour expliquer ce paradoxe, cet article avance l'hypothèse que l'opposition yousséfiste au traité d'autonomie interne aurait non seulement contribué au transfert de l'appareil de maintien de l'ordre et mais aussi à l'accélération de l'indépendance. Il examine comment ce transfert n'est pas le seul fait de la puissance coloniale. En effet, les nationalistes se saisissent de ce processus, y résistent et l'exploitent pour redéfinir leur rapport à la domination coloniale et leur place dans le mouvement nationaliste. En instrumentalisant le conflit yousséfiste, les bourguibistes et le gouvernement tunisien réussissent à négocier le soutien français contre leurs adversaires, l'accélération du transfert des pouvoirs de police et la création d'une force armée paralégale, contrôlée par le parti Néo-Destourien. Ils mobilisent ces milices pour éliminer l'opposition yousséfiste, avec la bénédiction et le soutien des autorités françaises. Toutefois, lorsque les négociations pour l'indépendance connaissent des difficultés, Bourguiba agite le risque d'une reprise des violences à l'initiative du Néo-Destour et non plus seulement des yousséfistes. C'est ainsi qu'il utilise les forces de police sous le contrôle du gouvernement tunisien et les milices néo-destouriennes comme moyen de pression pour faire aboutir les négociations. Source : Éditeur (via OpenEdition Journals) |
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Résumé anglais |
Tunisia was the first country in the French colonial empire to experience a phase of internal autonomy before independence. This began on 3 June 1955 and ended on 20 March 1956. The aim of this article is to analyse the process of transferring policing powers during this period. The transfer of police powers was not a uniform process. In particular, it depended on the structure of the colonised state and the terms of decolonisation (the timing, duration, organisation and intensity of nationalist resistance movements). The first part examines the organisation of the Protectorate and the maintenance of the colonial order, as well as nationalist resistance, characterised by the presence of a hegemonic party, the Neo-Destour. Along with other members of the national movement, it was involved in an armed insurrection (1952-1954), and had important links with the nationalist fighters known as the fellaga. This analysis will provide a better understanding of the negotiations and the stakes involved in transferring the security apparatus, particularly after Pierre Mendès-France, the French Prime Minister, proposed opening negotiations for internal autonomy during his speech in Tunis on 31 July 1954. During these negotiations, France sought to keep large parts of the security apparatus under its control for as long as possible. Part Two explores this strategy. The French government imposed a gradual and slow transfer of police powers. At the same time, it is attempting to appropriate indefinitely the prerogatives of intelligence, territorial surveillance and control of border areas by redefining internal policing missions as defence missions, contrary to practice in mainland France.The terms of the internal autonomy agreements of June 1955 divided the Tunisian national movement, triggering a fratricidal war between the supporters of the Neo-Destour political bureau led by Habib Bourguiba and those of the party's secretary general, Salah Ben Youssef. The outcome of this competition depended not only on the number of supporters, but also on the ability to mobilise coercive resources and foreign support, particularly colonial and regional. Although they held the reins of the Tunisian government, the Bourguibists depended on French tutelage and police resources to repress their rivals while negotiating with France the conditions for Tunisia's emancipation.To explain this paradox, this article puts forward the hypothesis that the Yussefist opposition to the internal autonomy treaty contributed not only to the transfer of the law enforcement apparatus but also to the acceleration of independence. He examines how this transfer was not the sole responsibility of the colonial power. Nationalists seized upon this process, resisted it and exploited it to redefine their relationship with colonial domination and their place in the nationalist movement. By exploiting the Yussefist conflict, the Bourguibists and the Tunisian government succeeded in negotiating French support against their adversaries, the acceleration of the transfer of police powers and the creation of a paralegal armed force, controlled by the Neo-Destour party. They mobilised these militias to eliminate the Yusufist opposition, with the blessing and support of the French authorities. However, when the negotiations for independence ran into difficulties, Bourguiba warned that the Neo-Destour party, and not just the Yussefists, might resume the violence. He therefore used the police forces under the control of the Tunisian government and the Neo-Destour militias as a means of exerting pressure to bring the negotiations to a successful conclusion. Source : Éditeur (via OpenEdition Journals) |
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Article en ligne | https://journals.openedition.org/anneemaghreb/13118 |