Contenu de l'article

Titre Security and religion in democratizing Tunisia: re-enacting surveillance through religious narratives and gendered dynamics
Auteur Fabrizio Leonardo Cuccu, Alessandra Bonci
Mir@bel Revue L'année du Maghreb
Numéro no 31, 2024
Rubrique / Thématique
Varia & recherches en cours
Résumé Malgré un processus de démocratisation entamé en 2011 et souvent qualifié de réussi (Stepan, 2012 ; Freedom House, 2015 ; Bugeja, 2016), jusqu'au récent processus de recul, certaines institutions nationales tunisiennes n'avaient subi que des changements mineurs, voire aucun changement. C'est le cas du ministère de l'Intérieur et de l'ensemble de l'appareil sécuritaire, dont la réforme a souvent été discutée mais jamais mise en œuvre (Grewal, 2018). Cette recherche se concentre sur l'intersection entre l'appareil de sécurité et le contrôle de l'État sur la religion, en examinant le rôle des femmes fonctionnaires travaillant au sein du ministère des Affaires religieuses, appelées wa'ydhat. Dans le cadre de cette recherche, la sécurité est comprise comme consistant en “des engagements quotidiens, routiniers et parfois inconscients” (Ochs, 2011, p. 3) des praticiens du secteur religieux et de la sécurité. L'analyse du travail des wa'ydhat nous permet de mettre en évidence les liens entre les récits locaux et mondiaux de la sécurité, qui soulignent le rôle central des femmes dans la lutte contre le terrorisme en raison de leurs prétendues qualités “pacifiques” inhérentes, et leur rôle réel d'observatrices au sein d'un système de surveillance et de contrôle. Comme l'affirme Moghadam, “en période de consolidation du régime et d'édification de l'État, les questions de genre, de famille et de relations hommes-femmes passent au premier plan. L'État devient le gestionnaire du genre” (1993, p. 94). Cependant, au lieu de produire de nouvelles politiques de genre en conformité avec le nouveau moment historique, la Tunisie reproduit exactement les mêmes débats et les mêmes rôles stéréotypés de genre que ces dernières années.Il est intéressant de noter que le travail des wa'ydhat se situe à l'intersection entre le secteur religieux et le secteur de la sécurité en Tunisie, soulignant le rôle de l'État dans le contrôle des récits et des pratiques religieuses. Afin d'examiner au mieux cette intersection et le rôle des praticiens de la sécurité dans l'élaboration et la réactualisation des mesures de sécurité, nous étudions leur expérience quotidienne et leur compréhension de leur position au sein de l'appareil de sécurité. En nous renseignant sur leur travail quotidien, notre objectif est de mettre en évidence la manière dont “la sécurité nationale délimite l'expérience individuelle” (Ochs, 2011, p. 3), comment le discours national sur la sécurité est reproduit dans la vie de tous les jours et comment, à leur tour, ces pratiques quotidiennes façonnent l'appareil de sécurité. Analyser la dimension “quotidienne” ou “banale” de la sécurité signifie se concentrer sur la manière dont les pratiques de sécurité sont interprétées, adaptées et/ou négociées par différents individus et groupes, à travers le prisme de leurs expériences vécues (Crawford et Hutchinson, 2016, p. 1190). En examinant les pratiques de sécurité reproduites dans le travail des praticiens, nous pouvons déterminer si et comment les récits de sécurité dominants sont adaptés ou plutôt remis en question (Luckham, 2017), et comment la légitimation et les récits des systèmes de sécurité sont compris par des individus et des groupes spécifiques. Alors que les politiques et les pratiques de sécurité sont souvent considérées comme un processus descendant et fortement hiérarchique, l'analyse des pratiques de sécurité au niveau micro implique une compréhension de la construction sociale de la sécurité en tant que processus horizontal. L'establishment politique façonne les pratiques et les récits du gouvernement et de la communauté internationale. Le travail des wa'ydhat est crucial pour comprendre le mécanisme de sécurité en Tunisie aujourd'hui. De plus, la présence des wa'ydhat depuis 2011 s'inscrit dans une dynamique de continuité des politiques sécuritaires avec le régime de Ben Ali. En conclusion, le rôle des wa'ydhat au sein de l'appareil de contrôle et de surveillance en Tunisie se situe à l'intersection entre l'évolution des pratiques de surveillance dans le monde, sous l'égide de la guerre mondiale contre le terrorisme, et l'histoire du contrôle de l'État sur la religion dans le pays, qui remonte aux années de Bourguiba.Cet article se compose de trois sections, en commençant par une vue d'ensemble du débat autour du clivage modérés/radicaux en Tunisie. Cette section est cruciale pour comprendre le contexte sociologique et politique des politiques de sécurité et explique comment la lutte entre les forces dites laïques et les partis religieux a créé une hiérarchie entre l'islam dirigé par l'État et l'islam non dirigé par l'État, sécurisant ainsi la religion. La deuxième partie de l'article montre l'évolution de l'appareil de sécurité dans le cadre du maintien de l'ordre religieux. Enfin, nous présentons le cas des wa'ydhat dans le contexte post-révolutionnaire comme un exemple critique de la sécurisation de l'islam et de la coopération entre la sécurité et la gestion du religieux.
Source : Éditeur (via OpenEdition Journals)
Résumé anglais Despite a process of democratization that started in 2011 and has often been described as successful (Stepan, 2012; Freedom House, 2015; Bugeja, 2016), until the recent backsliding process, some Tunisian national institutions have undergone little or no change. This was the case of the Ministry of Interior and the larger security apparatus whose reform was often discussed but never implemented (Grewal 2018). This research focuses on the intersection between the security apparatus and the state control over religion, examining the role of female civil servants working under the Ministry of Religious Affairs, called wa'ydhat. For the purpose of this research, security is understood as consisting “of everyday, routine, and sometimes unconscious engagements” (Ochs, 2011: 3) of practitioners in the religious and security sector. The analysis of the work of wa'ydhat allows us to highlight the connections between local and global narratives of security, which emphasize the role of women as central in the fight against terrorism due to their purported inherent “peaceful” qualities, and their actual role as watchers within a system of surveillance and control. As Moghadam claims, “at times of regime consolidation and state building, questions of gender, family and male-female relations come to the fore. The state becomes the manager of gender” (1993: 94). However, instead of producing new gender policies in conformity to the new historical moment Tunisia is reproducing the exact same debates and gender stereotyped roles of the past years. Interestingly, the work of wa'ydhat stands at the intersections between the religious and the security sector in Tunisia, highlighting the role of the state in controlling religious narratives and practices. In order to best examine this intersection, and the role of security practitioners in shaping and re-enacting security measures, we investigate their everyday experience and understanding of their position within the security apparatus. By inquiring about their everyday work, our aim is to highlight how “national security delineates individual experience” (Ochs, 2011: 3), how the national discourse on security is reproduced in day-to-day life and how in turn, these everyday practices shape the security apparatus. Analyzing the “everyday” or “mundane” dimension of security means focusing on the way in which security practices are interpreted, adapted, and/or negotiated by different individuals and groups through the lens of their lived experiences (Crawford and Hutchinson, 2016: 1190). With looking at practices of security reproduced in the work of practitioners, we can determine if and how dominant security narratives are adapted or rather challenged (Luckham, 2017), and how the legitimation of systems of security are understood by specific individuals and groups. While security policies and practices are often understood as a top-down and strongly hierarchical process, analyzing security practices at the micro level entails an understanding of the social construction of security as a horizontal process. The political establishment shapes the practices and narratives of the government and the international community. The work of the wa'ydhat is crucial to understanding of the security mechanism in Tunisia today. Furthermore, the presence of the wa'ydhat since 2011 fits into a dynamic of continuity of security policies with Ben Ali's regime. In conclusion, the role of wa'ydhat within the control and surveillance apparatus in Tunisia exists at the intersection between the evolution of surveillance practices worldwide, under the umbrella of the global war on terror, and the history of state control over religion in the country, dating back to the years of Bourguiba. This article consists of three sections, starting with an overview of the debate around the moderate/radical divide in Tunisia. This section is crucial to understand the sociological and political background of the security policies, and explains how the struggle between the so-called secular forces and the religious parties have created a hierarchy between state-led Islam and non-state-led Islam, securitizing religion. The second section of this paper shows the evolution of the security apparatus within a frame of religion policing. Finally, we present the case of the wa'ydhat in the post-revolutionary setting as a critical example of securitization of Islam, and cooperation between security and religious management.
Source : Éditeur (via OpenEdition Journals)
Article en ligne https://journals.openedition.org/anneemaghreb/13245