Titre | Plaider la « bonne gouvernance sécuritaire » au Maroc : Domestiquer les savoirs de réforme en régime de contrainte consensuelle | |
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Auteur | Irene Lizzola | |
Revue | L'année du Maghreb | |
Numéro | no 31, 2024 | |
Rubrique / Thématique | Varia & recherches en cours |
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Résumé |
Dès la clôture des travaux de l'Instance équité et réconciliation (IER) en 2006, l'établissement d'une « bonne gouvernance sécuritaire » s'érige à leitmotiv des velléités de réforme des institutions sécuritaires. Lors de ce moment charnière, le régime marocain a ouvert à l'externalisation de la production des savoirs de réforme touchant au sécuritaire, par le biais de l'association progressive d'ONG et d'acteurs transnationaux à l'élaboration des politiques publiques en la matière. Si, d'un côté, ce lexique réformiste promeut l'engagement dépolitisé des acteurs et la construction institutionnelle d'une apparence libérale, de l'autre, il constitue un outil dans les mains d'ONG professionnalisées et internationalisées, qui leur permet de garder ouverte la discussion avec les autorités autour de l'enjeu sécuritaire. Le régime, en quête de relégitimation, endosse le discours de la co-production des politiques publiques, à garantir par l'implication de la « société civile ». D'une part, la confrontation entre les acteurs repose sur un consensus qui se traduit par l'alignement commun sur le traitement légaliste et managérial de la réforme du sécuritaire. D'autre part, ce consensus apparait comme étant contraint, au niveau du seuil de critique toléré par les institutions sécuritaires. Ainsi, la confrontation entre les parties s'inscrit dans un régime de contrainte consensuelle. Dans ce registre, le consensus se construit autour de l'obligation réciproque à la validation d'un discours réformiste légaliste et gestionnaire, fortement internationalisé et déconflictualisant les enjeux, qui fédère les parties, ainsi qu'à l'acceptation mutuelle des logiques qui accompagnent la sélectivité partenariale encadrant la participation des acteurs associatifs et transnationaux à la « co-production » de l'action publique. Ici, les différents acteurs jouent avec ces facteurs de contrainte, à partir du moment où chaque partie tire son bénéfice de la participation à la dynamique partenariale. Bien qu'encadrée, celle-ci permet aux acteurs associatifs, transnationaux et institutionnels de se légitimer mutuellement en tant que porteurs des bonnes recettes réformistes.Dans un premier temps, nous allons interroger la construction du discours réformiste relatif à la gestion du sécuritaire, en questionnant l'ancrage de ce dernier dans le vocabulaire de la transitologie. Ici, nous allons nous intéresser à la domestication du concept de « gouvernance sécuritaire », telle qu'elle a été élaborée par le Centre d'études en droits humains et démocratie (CEDHD), en guise d'intermédiaire et de « courtier » chargé de la mise en place du dialogue entre le DCAF (Geneva Center for Security Sector Governance) et les institutions sécuritaires marocaines.Dans un deuxième temps, l'intérêt sera porté pour la mise en lumière du revers de la médaille de la rhétorique de la « co-construction » de la sécurité, prônée par les sécuritaires. Celle-ci s'accompagne de l'établissement de cadres contraints de participation, la sélectivité partenariale à l'œuvre ne permettant qu'une association partielle de la « société civile » souhaitant prendre part à l'action publique en matière sécuritaire. Enfin, nous allons considérer les pratiques de sensibilisation à la réforme de la gouvernance sécuritaire, en soulignant le caractère légaliste, gestionnaire et managérial des discours qui les justifient, et qui en encadrent les réalisations concrètes. Ici, le discours développementaliste, fortement néolibéralisé, s'impose comme la grammaire partagée permettant aux acteurs les plus professionnalisés, internationalisés, et les moins contestataires, de s'investir sur le terrain de l'action publique sécuritaire. Cet article s'appuie sur un travail de terrain réalisé au Maroc entre 2019 et 2022, pour une période discontinue de neuf mois, dans les villes de Rabat et Casablanca, conduit à la fois aux sièges des associations étudiées (CEDHD, FVJ, Institut Prometheus), via la réalisation d'entretiens semi-directifs avec leurs membres fondateur·ices (dont quatre sont mobilisés dans cet article) et la consultation de leurs archives et publications (rapports, études, enquêtes), et, par le biais d'observations non participantes, dans le cadre d'activités (conférences de presse, séminaires), organisées par celles-ci, en partenariat avec les acteurs institutionnels et le DCAF. Le terrain sur place a été complété par des enquêtes ponctuelles menées à distance, notamment en période de crise sanitaire, due à la pandémie de Covid-19 (de mars 2020 à août 2021), qui ont permis la réalisation d'entretiens semi-directifs, la collecte de sources écrites (littérature grise produite par les ONG et leurs partenaires) et le suivi d'activités (conférences, séminaires), diffusées sur les réseaux sociaux des associations. Ces différents matériaux empiriques font l'objet d'une analyse qualitative qui combine l'étude du discours des acteurs, de leurs trajectoires et de leurs pratiques d'engagement (le partenariat, l'enquête associative, la formation, etc.). L'analyse proposée interroge ainsi la construction du dialogue « consensuel », ainsi que les contraintes qui le structurent, entre les acteurs impliqués dans la mise en circulation des savoirs de réforme relatifs à la gouvernance sécuritaire. Source : Éditeur (via OpenEdition Journals) |
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Résumé anglais |
Since the conclusion of the Equity and Reconciliation Commission's work in 2006, the establishment of “good security governance” has become the leitmotif of attempts to reform security institutions. During this pivotal moment, the Moroccan regime opened up the outsourcing of the production of reform knowledge relating to security, through the progressive association of NGOs and transnational actors in the development of public policies. If, on the one hand, this reformist lexicon promotes NGOs' depoliticized commitment and the institutional construction of a liberal appearance, on the other, it constitutes a tool in the hands of professionalized and internationalized NGOs, which allows them to keep the discussion open with the authorities around the security issue. The regime, in search of relegitimization, endorses the rhetoric of co-production of public policies, to be guaranteed by the involvement of the “civil society”.The confrontation between the actors is based on a consensus which results in common alignment on the legalistic and managerial treatment of security reform. However, this consensus appears to be constrained, at the level of the threshold of criticism tolerated by security institutions. Thus, the confrontation between the parties is part of a regime of consensual constraint. In this register, the consensus is built around the reciprocal obligation to validate a legalist and managerial reformist discourse, strongly internationalized and deconflictualizing the issues, which unites the parties, as well as the mutual acceptance of the logics which accompany partnership selectivity governing the participation of associative and transnational actors in the “co-production” of public action. Here, the different actors play with these constraint factors, from the moment when each party benefits from the participation in the partnership dynamic. Although framed, this allows associative, transnational and institutional actors to legitimize each other as bearers of good reformist recipes.Firstly, we will question the construction of the reformist discourse relating to the management of security, by questioning the anchoring of the latter in the vocabulary of transitology. Here, we will focus on the domestication of the concept of “security governance”, as it was developed by the Center for Human Rights and Democracy Studies (CEDHD), as an intermediary and “broker” responsible for the establishment of dialogue between DCAF (Geneva Center for Security Sector Governance) and Moroccan security institutions.Secondly, we will highlight the other side of the coin of the rhetoric of the “co-construction” of security, advocated by the security forces. In fact, this discourse is accompanied by the establishment of constrained participation frameworks, the partnership selectivity at work only allowing a partial association of “civil society” wishing to participate in public security policies.Finally, we will consider the practices of raising awareness of the reform of security governance, emphasizing the legalistic, managerial and managerial nature of the discourses which justify them, and which frame their concrete achievements. Here, the developmentalist discourse, strongly neoliberalized, imposes itself as the shared grammar allowing the most professionalized, internationalized, and least protesting actors to invest in the field of public security policies.This article is based on fieldwork carried out in Morocco between 2019 and 2022, for a discontinuous period of nine months, in the cities of Rabat and Casablanca, conducted both at the headquarters of the associations studied (CEDHD, FVJ, Institut Prometheus), through semi-structured interviews with their founding members (four of whom are used in this article) and consultation of their archives and publications (reports, studies, surveys), and, through non-participant observations, at activities (press conferences, seminars) organized by them, in partnership with institutions and the DCAF. The on-site fieldwork was supplemented by occasional surveys carried out remotely, particularly during the Covid-19 health crisis (from March 2020 to August 2021), which enabled semi-structured interviews to be conducted, written sources to be collected (grey literature produced by the NGOs and their partners) and activities to be monitored (conferences, seminars), broadcast on the associations' social networks. These various empirical materials are the subject of a qualitative analysis that combines the study of actors' discourse, their trajectories and their engagement practices (partnership, associative investigation, training, etc.). The analysis questions the construction of “consensual” dialogue, as well as the constraints that structure it, between the actors involved in the circulation of reform knowledge relating to security governance. Source : Éditeur (via OpenEdition Journals) |
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Article en ligne | https://journals.openedition.org/anneemaghreb/12973 |