Titre | Le secteur de la santé en Algérie entre arabisation, défrancisation et anglicisation | |
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Auteur | Fatima Zohra Chebab, Karim Ouaras | |
Revue | L'année du Maghreb | |
Numéro | no 31, 2024 | |
Rubrique / Thématique | Varia & recherches en cours |
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Résumé |
La question linguistique en Algérie ne cesse d'interpeller la société algérienne, de susciter l'intérêt de la communauté scientifique et d'étonner le regard des observateurs par la complexité et l'instabilité qui la caractérisent. Interminable chantier, comme dans tous les pays du Maghreb, elle évolue au gré des contextes politiques, nationaux et internationaux, constamment changeants. Après de longues décennies de tiraillements idéologiques et de projections, restées inachevées, cette question se pose toujours avec la même acuité en Algérie et obéit encore à des enjeux autres que linguistiques. Le traitement « irrationnel » qui lui est réservé a fini par produire des malaises sociaux handicapants et engendrer des situations de tension dans de nombreux secteurs vitaux en Algérie. Le secteur sanitaire en est un, et pas des moindres, car constituant l'univers francophone par excellence en Algérie, un univers auquel se heurte frontalement la politique de l'arabisation prônée par l'Algérie depuis son indépendance en 1962 et celle de l'anglicisation précipitée qui semble retenir l'attention de l'Algérie post-Hirak, dite « nouvelle ». Espace de rencontre et de conflit linguistique, le milieu sanitaire en Algérie donne à voir une cartographie complexe en termes de pratiques linguistiques où l'on voit se côtoyer un personnel soignant francisant du fait de sa formation, un personnel administratif de plus en plus arabisant – du fait de sa formation aussi – et des patients aux pratiques plurilingues effectives (arabe algérien, berbère et français). Dans cet espace où l'on prodigue soin et conseil, la communication devient de plus en plus difficile et sujette à des malentendus, incertitudes et ambiguïtés. Dans la lignée des rares travaux consacrés aux pratiques langagières en milieu sanitaire, le présent article se donne pour objectif de rendre compte de la complexité de la cartographie linguistique caractérisant la structure hospitalière en contexte algérien. L'étude qu'il porte s'inscrit essentiellement dans le domaine de la sociolinguistique et de l'analyse du discours mais sans perdre de vue les éclairages des Sciences sociales dans leur globalité. Cette étude met l'accent sur les dernières mesures politico-linguistiques imposées à ce secteur et examine l'instabilité de sa praxis linguistique.Les bouleversements politiques qu'a connus l'Algérie ces toutes dernières années ont placé la question linguistique au centre des débats esquivant ainsi les multiples difficultés rencontrées tant à l'échelle nationale qu'internationale. Cette situation a remis en question les statuts des langues nationales et étrangères et a engagé une reconsidération de la primauté des unes par rapport aux autres. D'essence plurilingue à dominante francophone, le milieu sanitaire est de plus en plus exposé au triptyque injonctif « Arabisation, Défrancisation, Anglicisation ». Si d'apparence, les langues en présence en milieu hospitalier algérien évoluent dans une perspective plus ou moins harmonieuse, les enjeux qui les entourent les marquent d'une empreinte conflictuelle pouvant déstabiliser leur fonctionnement effectif consistant à répondre à des finalités d'ordre sanitaire. Révélatrice de tensions et de conflits dans le milieu hospitalier algérien, cette situation commence à inquiéter les professionnels de santé. Basée sur une approche qualitative et compréhensive, la présente étude se propose d'examiner les enjeux qui sous-tendent la nouvelle orientation politique en termes de choix linguistiques prônant substitution de la langue anglaise à la langue française en Algérie. Cette nouvelle donne n'est autre que le fruit des récurrentes tensions diplomatiques entre Alger et Paris, liées essentiellement aux enjeux mémoriels. À défaut de résoudre et assainir objectivement ces dernières, on s'attelle à défranciser et angliciser après avoir tenté d'arabiser. La présente étude tente d'examiner cette nouvelle donne de la politique linguistique en milieu hospitalier algérien et ce à partir de l'analyse des données d'une enquête qualitative menée auprès des acteurs de la santé du Centre hospitalo-universitaire de Mostaganem.L'analyse démontre que l'arabisation de ce secteur puis la volonté de l'angliciser ne sont en réalité qu'une tentative de « défrancisation » d'un secteur francophone par excellence. Ne prenant pas en compte les attentes des professionnels de santé et de la société algérienne dans sa globalité, ces décisions injonctives et coercitives risquent de se heurter encore une fois aux dynamiques du terrain qui obéissent à des logiques complexes. Source : Éditeur (via OpenEdition Journals) |
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Résumé anglais |
The language issue in Algeria continues to engage Algerian society, attracts the attention of many scholars, and astonish observers with its complexity and instability. It is an endless project, as in all Maghreb countries, evolving with constantly changing political contexts. After decades of ideological conflicts and projections which remained unfinished, this issue still constitutes a significant challenge in Algeria, driven by factors beyond linguistic ones. The "irrational" approach to this issue has led to social discomfort and tensions in various vital sectors in Algeria, including the healthcare sector. This sector serves as a space of linguistic encounter and conflict, revealing a complex linguistic cartography where French-speaking healthcare professionals, due to their training, coexist with an increasingly Arabized administrative staff, and patients with effective multilingual practices (Algerian Arabic, Berber, and French). In this space of care and advice, communication becomes increasingly difficult and prone to misunderstandings, uncertainties, and ambiguities.In line with the recent research dedicated to language practices in healthcare spaces, this article aims to examine the complexity of the linguistic cartography characterizing the hospital structure in the Algerian context. Based on sociolinguistic and discourse analysis approaches, this study focuses on the latest political-linguistic measures imposed on this sector and examines the instability of its linguistic praxis.Recent political upheavals in Algeria have placed the linguistic issue at the center of debates, escaping the multiple challenges faced both nationally and internationally. This situation has prompted a reevaluation of the status of national and foreign languages and a reconsideration of their primacy over one another.The predominantly French-speaking healthcare environment, which is inherently multilingual, is increasingly exposed to linguistic injunctive decisions: "Arabization, De-Francization, Anglicization." While, at first glance, the coexisting languages in Algerian hospitals seem to evolve somewhat harmoniously, the surrounding issues mark them with a conflictual dimension that can disrupt their effective functioning in addressing healthcare goals. This situation, revealing tensions and conflicts in the Algerian healthcare setting, is starting to worry healthcare professionals.Based on a qualitative and comprehensive approach, this study aims to examine the underlying issues of the new political orientation in terms of language planning advocating for the substitution of French with English in Algeria. This new direction is a result of diplomatic tensions between Algiers and Paris, primarily related to memorial issues. Failing to objectively resolve these tensions, the authorities have attempted to “de-francize” and anglicize after initially trying to Arabize. It does so by analyzing data from a qualitative survey conducted among healthcare professionals at the University hospital center of Mostaganem.The analysis reveals that the Arabization and subsequent attempts to Anglicize the healthcare sector are essentially efforts to "de-francize" an inherently French-speaking sector. Ignoring the expectations of healthcare professionals and Algerian society, these directive and coercive decisions may once again clash with the social dynamics, which are determined by complex logics. Source : Éditeur (via OpenEdition Journals) |
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Article en ligne | https://journals.openedition.org/anneemaghreb/13078 |