Contenu du sommaire : Regards croisés France-Allemagne

L'immigration joue un rôle essentiel dans la construction de l'identité européenne, une identité encore en devenir, qui se fonde en grande partie sur l'utilité et redéfinit le rapport du citoyen à l'Etat. Car l'immigration nous montre aussi comment l'identité nationale peut se fonder sur des liens transversaux et selon des modèles nouveaux, en même temps qu'elle amène les Etats -notamment la France et l'Allemagne -à reconsidérer la société sous tous ses aspects.

En France , le concept de nation est venu se superposer à un Etat depuis longtemps unifié. l'Allemagne " -c'est-à-dire , jusqu'au XIXe siècle, une mosaïque d'Etats souverains -, a peiné à se définir en tant qu'Etat. D'où les problèmes d'affirmation d'un nationalisme allemand par ailleurs largement influencé par la Révolution française. Il a fallu trouver d'autres éléments unificateurs, comme la généalogie et la culture , qui sont à l'origine du jus sanguinis. De vieux concepts qui peuvent aujourd'hui être abandonnés par une République fédérale aux frontières enfin définitivement acceptées.

Peut-on, dans un pays tel que l'Allemagne, continuera laisser en marge de la vie politique un pourcentage toujours plus élevé de la population ? Peut-on perpétuer les inégalités, dues à la diversité des statuts -citoyens européens , Aussiedler, "étrangers" -, entre les différents groupes d'immigrés ? Ces réalités ont amené la République fédérale à mêler des éléments de droit du sol au droit du sang hérité de son histoire spécifique. Mais la coalition "rouge-verte" au pouvoir depuis 1998 a laissé passer l'occasion de démythifier le débat autour de la question des étrangers , et de rénover suffisamment ses lois pour les adapter à la réalité de l'immigration et de l'Allemagne moderne.

La France , championne du monde de l'intégration , loin devant l'Allemagne ? Le mirage disparaît dès que l'on examine les pratiques en vogue dans nos institutions -qui favorisent ; bien qu'elles s'en défendent ; le communautarisme -et la sous-représentation des Français d'origine maghrébine dans nos différentes assemblées. Plutôt que de choisir des "médiateurs" il faut élire de vrais responsables politiques. Et distinguer représentation politique et gestion de la "dangerosité" liée a l'immigration.

En 1997, dans le Bade-Wurtemberg , une jeune enseignante allemande de confession musulmane refuse d'abandonner le port du foulard en classe et se voit interdire l'accès à l'enseignement. C'est le point de départ d'un long débat national qui dépasse les questions de la neutralité dans l'enseignement et des droits individuels. De quelque côté du Rhin qu'on se trouve , que l'on se réfère aux valeurs républicaines ou à la Loi fondamentale, il n'y a pas de réponse simple à la "question du foulard".

Amorcée à la même période qu'en France , l'immigration en Allemagne y soulève les mêmes questions. Discriminations, repli identitaire, chômage, échec des jeunes générations... Le bilan de l'intégration est loin d'être positif. Mais les problèmes ne sont pas toujours là où on les attendait ; les acteurs de l'intégration tirent les leçons du passé et tentent, avec chacun leur méthode, de trouver des solutions satisfaisantes.

Face à la frustration grandissante des populations qui frappent à la porte de l'Union, il est temps de repenser la citoyenneté européenne et la nature des rapports qui nous lient aux pays d'où sont issus de nombreux immigrés. En cela, il serait souhaitable de s'inspirer du système d'intégration économique mis en place entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique, afin que les échanges soient réellement équitables. Il est surtout urgent d'admettre que l'Europe est déjà une société métissée, et qu'elle peut justement en tirer sa force.

La liberté de circulation est un droit "naturel" qui ne doit pas dépendre des Etats , même si la liberté de s'installer, elle, relève du droit positif adopté dans chaque pays. C'est cette possibilité de s'installer qui doit donc faire l'objet d'un débat démocratique dans les pays d'immigration. Par ailleurs, dans l'Union européenne, rien ne dit que les perspectives démographiques et économiques è court terme vont provoquer mécaniquement un recours à la main-d'œuvre étrangère... Un tour du monde iconoclaste des idées reçues concernant les migrations.

Les politiques d'aide au retour mises en place depuis les années soixante-dix sont essentiellement le fait des pays d'immigration européens, qui se distinguent à l'exception des pays scandinaves, par des pratiques souvent autoritaires, fondées sur l'idée que le migrant a vocation à rentrer chez lui. Or les différentes législations, en particulier en France, ont toujours eu un impact marginal, quelle que soit la formule -rapatriement humanitaire, aide à la réinsertion, codéveloppement... Elles relèvent trop des institutions et autres accords bilatéraux et ne prennent pas suffisamment en compte la réalité des migrants et des pays de départ.