Contenu du sommaire : Théories en milieu militant
Revue | Sociétés contemporaines |
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Numéro | no 81, 2011 |
Titre du numéro | Théories en milieu militant |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Théories en milieu militant : Introduction - Nicolas Belorgey, Frédéric Chateignier, Mathieu Hauchecorne, Étienne Pénissat p. 5-25
- « Considéré comme l'inspirateur... » : Les références à Condorcet dans l'éducation populaire - Frédéric Chateigner p. 27-59 Depuis les années 1960 en France, les discours publics sur la notion d'éducation populaire identifient presque toujours le Rapport sur l'organisation générale de l'instruction publique de Condorcet (1792) comme l'origine de ce mouvement. On cherche ici à expliquer cette référence en s'appuyant sur un double corpus d'ouvrages sur l'éducation populaire et sur/de Condorcet. L'analyse proposée est à la fois séquentielle, contextuelle, attentive à l'effet des événements et sensible aux formes discursives. Elle illustre et promeut l'étude minutieuse des carrières des références savantes dans les discours militants comme méthode pour faire apparaître des éléments qu'une analyse centrée sur la notion du champ auraient laissés dans l'ombre. On commence par expliquer pourquoi la connexion entre la notion d'éducation populaire et le Rapport de Condorcet n'est fermement établie que dans les années 1960, où elle est promue par Bénigno Cacérès (partie 1). S'ouvre alors une séquence de remise en cause de cette référence : critique historique par d'autres intellectuels de l'éducation populaire, puis réappropriation de Condorcet dans un cadre néo-républicain (années 1980, partie 2). La référence s'installe alors à mi-chemin de la vénération mémorielle et de l'objectivation critique, position moyenne autour de laquelle se dispersent ensuite les références qui se multiplient dans les années 1990-2000, à la faveur de la réouverture incontrôlée d'un espace de discours sur l'éducation populaire. Cette réouverture laisse les auteurs adopter un mode de référence en fonctions de leurs capitaux culturels et politiques (partie 3).
- Trois petits tours et puis s'en va... : Marxisme et programme de Bad Godesberg du Parti social-démocrate allemand - Karim Fertikh p. 61-79 Bad Godesberg (1959) serait pour le marxisme du SPD le moment d'une mort sans phrase dans un programme qui ne fait pas référence à Karl Marx. Cet article s'interroge sur la trajectoire de cette référence savante à Marx au sein du SPD à partir des processus concrets d'écriture de ce célèbre programme. Il identifie une séquence dans ce travail d'écriture : entre mars 1958 (projet de programme de Stuttgart) et novembre 1959 (programme de Bad Godesberg), la référence à Marx est abandonnée. Il s'agit de décrire les mécanismes concrets de cette disparition de Marx et montre qu'elle résulte pour partie des transformations des rapports de force intrapartisans après 1945. La modification de la morphologie du personnel intellectuel « programmateur » et le déplacement concomitant des équilibres intrapartisans la rendent possible. Les « intellectuels » ne sont plus, au contraire des années 1920, les hommes d'État sociaux-démocrates dominants ; le « marxisme » n'est plus la doxa d'une classe dirigeante. La référence à Marx est portée par un groupe d'experts fortement dotés en capital intellectuel, mais marginaux dans l'espace partisan et, à ce titre, incapables de faire officialiser leur compromis programmatique dans la lutte intrapartisane. Cet article constitue donc, tout à la fois, une réflexion sur la genèse des programmes et une révision de l'historiographie faisant de Bad Godesberg une nécessité historique.
- Que faire de la théorie au Parti socialiste ? : La carrière écourtée du marxisme de Convergences socialistes - Karel Yon p. 81-105 L'analyse des reconversions politiques mobilise généralement deux registres : les trajectoires biographiques et les contraintes structurales qui les encadrent. Cet article propose d'explorer une troisième piste : les formes de théorisation mobilisées par les acteurs dans le cours même de leur évolution. On s'interroge ainsi sur les modalités d'évaporation de la référence marxiste dans la trajectoire du groupe « Convergences socialistes » (CS), passé du trotskysme au Parti socialiste en 1986. Pour ce faire, la notion de carrière offre une grille de lecture originale. Plutôt que d'aborder la théorie comme un discours de justification des pratiques, elle permet de la considérer en elle-même comme une pratique. À cette aune, « le marxisme » de C.S. prend successivement trois formes. L'article décrit l'enchaînement de ces séquences, qualifiées de militante-constituante, intellectuelle-distinctive et morale-mémorielle. Souligner le caractère décisif des changements organisationnels dans les transitions d'une forme à l'autre permet de montrer que le marxisme se dissout en même temps que le groupe change de nom : initialement appelé « Convergences socialistes », il est rebaptisé « Jean-Christophe Cambadélis » au cours du chemin.
- La carrière militante de deux références savantes contestées : « eurasisme » et « géopolitique », dans le discours des organisations politiques russes de jeunesse - Véra Nikolski p. 107-127 L'article analyse la référence à deux notions l'« eurasisme » et la « géopolitique » dans le discours des militants d'organisations de jeunesse dans la Russie contemporaine. Partant du constat de la référence à ces notions chez les militants de plusieurs mouvements, il s'attache à en étudier la variété des usages et se propose ensuite de remonter en amont afin de mettre en évidence les étapes antérieures et les conditions de possibilité de cette « carrière militante ». La diffusion des notions au sein des organisations militantes apparaît liée à la trajectoire de leur principal promoteur, l'intellectuel public Alexandre Dugin. D'abord, leur pénétration dans le champ politique est largement tributaire du contexte historique autour de 1991 que l'on peut qualifier comme une « conjoncture fluide » au sens de Michel Dobry, et qui permet à l'outsider qu'est Dugin de convertir ses compétences érudites marginales, acquises au sein des cercles dissidents ésotériques, en capital politique. C'est ensuite parce que ces notions jouent un rôle central dans les « bricolages idéologiques » successifs de Dugin lui permettant de s'ancrer dans le champ politique, puis de se rapprocher du pouvoir, qu'elles se retrouvent dans le discours des deux organisations de jeunesse qu'il contribue à créer le Parti National Bolchevique (NBP) et l'Union Eurasiste de la Jeunesse (ESM). C'est enfin le succès de ces entreprises politiques et le fonctionnement du champ des organisations de jeunesse qui déterminent la diffusion des notions d'eurasisme et de géopolitique dans un large spectre de mouvements. Si les notions s'y retrouvent le plus souvent décontextualisées, et parfois critiquées, elles n'en font pas moins partie désormais du vocabulaire politique courant.
- S'engager par défaut : les jeunes femmes et la cause azerbaïdjanaise en Iran - Gilles Riaux p. 129-149 Á partir d'une approche intersectionniste des mouvements sociaux, l'article présente l'engagement par défaut des jeunes femmes éduquées dans la cause azerbaïdjanaise en Iran, en montrant une rupture dans la composition sociale des cohortes de militantes. La faible présence féminine dans le mouvement est expliquée par la conjonction des rapports de domination internes et externes qui contribuent à faire du mouvement un conservatoire des rapports sociaux de domination. En dépit de cette situation, des jeunes femmes commencent à s'engager dans le nationalisme azerbaïdjanais à partir des années 2000. Leur présence s'explique par la transformation de l'espace des mouvements sociaux sous les réformateurs, et l'attractivité nouvelle qu'y gagnent les mouvements ethniques. Elle est facilitée par la configuration organisationnelle de la mobilisation, qui évite le surgissement de conflits et permet de faire tenir la mobilisation, par la mise en place de formes autonomisées du militantisme, dont celui des jeunes femmes éduquées.
- Enquête sur les lieux de résidence des homosexuels masculins à Paris - Colin Giraud p. 151-176 Cet article explore la problématique des formes de présence homosexuelles en ville sous un angle spécifique et peu investi jusqu'à présent : celui du lieu de résidence des populations homosexuelles. À partir de données quantitatives originales, on se propose de décrire et de comprendre les spécificités de l'inscription résidentielle des gays dans le cas de Paris. Après avoir précisé les problèmes méthodologiques que pose une telle démarche, on montrera l'existence d'espaces résidentiels plus ou moins attractifs pour ces populations et l'on décrira les permanences et les changements en cours depuis une décennie. On soulignera enfin l'influence de l'âge, de la génération et de la position sociale dans l'explication et la compréhension des choix résidentiels des gays parisiens.