Contenu du sommaire : Varia
Revue | Cahiers d'études africaines |
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Numéro | no 171, 2003 |
Titre du numéro | Varia |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Études et essais
- L'événement et la parole : La conception de l'histoire et du temps historique dans les traditions orales africaines : le cas des Nzema - Mariano Pavanello p. 461-481 Les traditions orales (proverbes, formules, récits, etc.) contiennent des éléments qui nous permettent de déchiffrer la conception de l'histoire et du temps historique des sociétés de l'oralité, autrefois dites « sans écriture ». L'auteur a essayé de reconstruire la conception locale de l'histoire des Nzema, société akan du Ghana sud occidental, par l'analyse de proverbes et de récits historiques, en mettant en évidence que l'évaluation de la différence entre divers régimes d'historicité ne peut se faire qu'à travers l'aperception de la différence entre divers régimes rhétoriques. En langue nzema, edwεkε couvre le double champ sémantique de « parole », et donc « narration », et aussi d'« événement ». Il y a deux façons de parler, la première est la manière de parler aux savants et aux anciens : bu εrεlε, battre le proverbe qui, métaphoriquement, signifie aussi dire la vérité (ka nchalε), et la deuxième est la manière de parler par faits, c'est-à-dire raconter (ka edwεkε, dire l'événement, l'histoire). Edwεkε est donc la parole, au sens saussurien du terme, dans la réalité vivante du discours, mais ka edwεkε, raconter, n'est pas automatiquement ka nchalε, dire la vérité. Dire l'expérience ou l'histoire (ka edwεkε) équivaut à dire la vérité (ka nchalε) uniquement dans le cas des anciens et des ancêtres (les deux étant dénotés par le même mot mgbanyima). D'ailleurs ka edwεkε est amaamuo, la coutume, et s'inscrit dans ses procès performatifs au cours du temps, dont le contenu de vérité est donné par les ancêtres. La parole des ancêtres est donc la forme et, en même temps, le contenu du « dire » la condition nécessaire et le fondement explicite du discours sur l'histoire et sur le savoir, mais aussi le fondement de sa clé rhétorique. Par conséquent, le savoir sur le passé n'est ni statique, ni inaltérable, pour la même raison que l'histoire n'est pas réelle, comme nous la concevons en termes d'une succession d'événements au cours d'un temps linéaire.
- « Nos ancêtres les Yoruba... » : Splendeur et misère de la bourgeoisie yoruba du Nigeria - Bernard Müller p. 483-503 Le théâtre traditionnel yoruba (Yoruba Traditional Theatre ou Yoruba Folk Opera) est aujourd'hui en crise. À travers cette situation, c'est la problématique de tout un milieu qui se donne à voir. On passe de 1860 à 1980 de l'ethno-genèse yoruba à un étiolement progressif dont la déroute économique, violence politique et l'émigration constituent quelques traits marquants. Ce processus que d'aucun qualifierait d'« ethno-implosion » peut être décrit comme un moment de recomposition violente du tissu social qui se caractérise par une situation anomique et par une parcellisation des centres de pouvoirs et des foyers de violence. Le consensus qu'espérait susciter la bourgeoisie yoruba autour de la fiction culturelle qui étayait le réseau institutionnel hérité des missions du XIXe siècle s'est dissolu en raison d'une fragmentation sociale extrême causée par une situation économique désastreuse. Qui, aujourd'hui, peut encore, à l'instar de Samuel Johnson (cité en tête de cet article), énumérer les noms et narrer l'histoire des rois yoruba depuis l'origine ? La filiation étant coupée et le projet nationaliste sabordé, les individus qui formaient la bourgeoisie yoruba sont-ils à nouveau condamnés à l'errance ?
- The United States and the Liquidation of European Colonial Rule in Tropical Africa, 1941-1963 - Ebere Nwaubani p. 505-551 Les États-Unis et la liquidation de l'autorité coloniale européenne en Afrique tropicale, 1941-1963. Les États-Unis occupent une place de choix dans la littérature consacrée à la fin du colonialisme en Afrique. Ce pays, dit-on, a facilité le processus en poussant les Européens a de rapides concessions politiques avec les Africains. Ce point de vue a encore du poids aujourd'hui, et il est fréquemment exprimé dans les livres et les cours consacrés à l'histoire de l'Afrique. Peu importe que les prétentions d'un anticolonialisme américain soient fondées non pas sur une étude de sources de première main mais sur des suppositions. Le nombre croissant de documents officiels désormais accessibles à tous plaide en faveur d'une étude empirique d'un sujet intimement lié au discours africaniste sur la décolonisation. C'est exactement l'objectif de cet article qui montre que la perception courante du rôle des États-Unis dans le processus de décolonisation est trompeuse. Les États-Unis, de manière tout à fait évidente, souhaitaient et s'efforçaient de conserver une forte présence européenne en Afrique, même après les indépendances. Cet article explique les raisons de cette attitude et attire l'attention sur certains aspects saillants de la politique américaine envers l'Afrique entre 1941 et 1963 : un parti pris excessif en faveur de l'Europe, le souhait d'exploiter les ressources africaines pour reconstruire l'Europe, et le peu d'importance accordée à l'Afrique dans les calculs stratégiques des États-Unis.
- Deposed Rulers under the Colonial Regime in Nigeria : The Careers of Akarigbo Oyebajo and Awujale Adenuga - Tunde Oduwobi p. 553-571 Dirigeants déchus sous le régime colonial au Nigeria. La carrière de l'Akarigbo Oyebajo et de l'Awujale Adenuga. Les dirigeants traditionnels étaient au centre du système colonial britannique de « gouvernement indirect ». Il s'agissait essentiellement de fonctionnaires qui pouvaient être démis de leurs fonctions par les autorités coloniales pour mauvaise conduite. Dans la société précoloniale yoruba, un dirigeant déchu devait mourir pour éviter qu'il devînt un centre d'opposition face à son successeur. Cela était conceptualisé par la croyance selon laquelle « un roi devait mourir avant que son successeur fût couronné ». Toutefois, le concept ou la notion de mort après déposition fut abrogé sous l'administration coloniale, et le dirigeant déchu devint alors un citoyen ordinaire. Cela créa une situation anormale et suscita des problèmes de légitimité pour le successeur dans la mesure où les dirigeants traditionnels maintenaient leur autorité politique sous le régime colonial. Cet article se penche sur les difficultés provoquées par cette situation à travers la carrière de deux dirigeants déchus dans la société yoruba des Ijebu.
- Quête de notabilité sociale, rémanence autoritaire et démocratisation au Cameroun - Joseph-Marie Zambo Belinga p. 573-589 Les processus de démocratisation initiés dans le continent africain au début de la décennie 1990 furent, eu égard aux paradigmes de liberté et de restauration du respect de la personne humaine qui, entre autres, en constituaient le socle théorique, porteurs au sein des populations africaines sujettes à une infantilisation permanente, d'un espoir considérable. Une frange importante de la population appréhendait ainsi cette nouvelle étape de l'histoire politique des sociétés africaines comme marquant l'avènement d'entités politiques juvéniles caractérisées fondamentalement par la disparition de schémas autoritaires d'organisation et de gestion de la cité et corollairement l'adoption d'un type de gouvernement peu coercitif et davantage promoteur de libertés. Les populations camerounaises ont partagé les mêmes convictions. Mais si la mise en marche de la démocratisation a, sur le plan institutionnel, effectivement contribué à élaguer l'armature coercitive légale au Cameroun, favorisant par le fait même l'érection d'une société légale avec un seuil autoritaire remarquablement amoindri, cette réduction de la portée autoritaire connaît des atermoiements et des tergiversations multiples au niveau des comportements et des pratiques des acteurs sociaux privilégiés, suscitant de ce fait un processus de restauration des pratiques autoritaires. C'est cet ensemble de pratiques visant à réinventer et à pérenniser, sous un registre officieux et symbolique, la logique autoritaire dans un contexte où la rhétorique officielle proclame l'appartenance à une société de liberté que ce travail tente d'analyser.
- Levels of Historical Awareness : The Development of Identity and Ethnicity in Cameroon - Emmanuel YENSHU VUBO p. 591-628 Niveaux de conscience historique. Développement de l'identité et ethnicité au Cameroun. Le développement d'une conscience historique et de l'identité qui en découle tendent à varier selon qu'on se situe au niveau de la communauté locale ou au niveau de l'État-nation qui se forge. Cela a été à la base de la politique identitaire pendant la période coloniale et continue à influer sur celle de la période post coloniale. Il y a contraction évidente entre constructions scientifiques et constructions idéologiques de l'histoire. L'article passe en revue des constructions ou des reconstructions de l'histoire, le développement de l'identité et la politique identitaire dans les communautés kedjom et sawa du Cameroun. L'argument principal est que l'histoire inspire différents types de pratiques à différents niveaux, la politique identitaire n'étant qu'un de ces niveaux. Les traditions historiques au niveau local sont donc essentiellement des traditions qui façonnent l'unité culturelle, psychosociale et politique d'un groupe, tandis que les traditions du niveau régional sont à la base des relations inter-communautaires. Néanmoins, il ne faut pas sous-estimer l'influence du colonialisme et des développements au sein de l'État postcolonial sur la conscience historique. Ces processus sont d'ailleurs à la base des tensions entre groupes ethniques. L'article décrit comment des communautés gèrent le pluralisme identitaire à des niveaux différents selon le sens qu'ils donnent aux traditions historiques et soutient que cela est tout aussi possible dans un État-nation qui réunit diverses communautés historiques. Reste que la durée est un facteur majeur dans la formation de la conscience historique et la gestion du pluralisme identitaire.
- Le développement à l'épreuve des systèmes locaux de relation : Conflits et pouvoirs autour de la construction d'une maternité dans le Maasina (Mali) - Frédéric Le Marcis p. 629-656 Différentes méthodes ont été mises au point pour permettre aux développeurs de comprendre les sociétés dans lesquelles ils travaillent. Ces méthodes ne permettent pas d'accéder aux tensions et aux conflits dont ces projets facilitent pourtant l'expression. À travers l'exploration des coulisses d'un projet de construction d'une maternité dans le Maasina (Mali), le système de relation, dans lequel il s'inscrit, est analysé. La compréhension des blocages et des logiques d'acteurs impliqués dans le projet a nécessité une mise en contexte dynamique des notions de parenté, de statut social et de division du travail. Le cas des rimayޥ et des Nononkooޥ témoigne de l'origine historique des tensions et des conflits. Dans le même temps, l'impact local des politiques nationales et internationales n'est pas négligé. Les rimayޥ occupent un bas statut dans la société peule lié à la condition d'esclave de leurs ancêtres, et les Nononkooޥ parce que le travail de la terre est leur activité principale. Dans le Maasina, les anciens dominés tentent de redéfinir leur place dans la division du travail à travers les négociations concernant la construction d'une maternité. Cette approche implique une enquête de longue durée. L'observation montre que les développeurs sont parfois conscients des tensions et des conflits à l'oeuvre dans le cadre des projets qu'ils mettent en place, mais que les logiques budgétaires, ainsi que la temporalité dans laquelle leurs projets s'inscrivent, ne leur permet pas toujours de prendre en compte.
- L'événement et la parole : La conception de l'histoire et du temps historique dans les traditions orales africaines : le cas des Nzema - Mariano Pavanello p. 461-481
Chronique bibliographique
- Analyses et comptes rendus - p. 657-697