Contenu du sommaire : Territoires sorciers
Revue | Cahiers d'études africaines |
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Numéro | no 189-190, 2008 |
Titre du numéro | Territoires sorciers |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Claude Fay (1949-2008) - Jean-Loup Amselle p. 7-10
- La sorcellerie envers et contre tous - Christine Henry, Emmanuelle Kadya Tall p. 11-34
Justice coloniale et nouveaux cultes anti-sorcellerie
- Motive Rather than Means. Legal Genealogies of Witch-Killing Cases in Kenya - Katherine Angela Luongo p. 35-57 Motif plutôt que moyen : généalogies juridiques d'affaires de meurtres de sorciers au Kenya. Cet article retrace la généalogie des demandes en justice et des demandes reconventionnelles liées à la sorcellerie au Kenya à l'époque coloniale. En s'appuyant sur les minutes des procès conservés dans les Archives du ministère kenyan des Affaires juridiques ainsi que sur les comptes rendus de la Cour Suprême du Kenya et de la Haute Cour d'Appel pour l'Afrique orientale, cet article montre que les demandes en justice et les demandes reconventionnelles ont contribué à une définition juridique plus précise de la « sorcellerie » et à l'élaboration de concepts essentiels au jugement des crimes capitaux. Cet article traite d'affaires de meurtre dans lesquelles la sorcellerie n'est pas présentée comme le moyen mais comme le motif du meurtre jugé et comme un espace central où se heurtent les notions de « coutumes » et de « crime ». Dans ces procès, le sorcier supposé ne passe pas en jugement pour sorcellerie ni pour un crime commis par le truchement de la sorcellerie, mais il est la victime du meurtre jugé. De même, le défendeur n'est pas jugé pour un meurtre commis par le biais de la sorcellerie mais pour un meurtre motivé par la sorcellerie, utilisée à ses dépens par la personne décédée. Ainsi, la sorcellerie peut être utilisée soit comme une stratégie de défense soit comme un moyen pour les juges de considérer de nouvelles normes de « raisonnabilité » dans certains contextes locaux. Les accusations et contre-accusations remettent ainsi en question non seulement des notions essentielles comme celles de « victime » et de « meurtre » mais aussi des concepts juridiques clés tels que la « provocation » et la « préméditation ».
- Sorcellerie et contre-sorcellerie. Un réajustement permanent au monde : Les Manjak de Guinée-Bissau et du Sénégal - Maria Teixeira p. 59-79 Les Manjak, qu'ils soient dans leurs royaumes d'origine en Guinée-Bissau, en milieu migrant au Sénégal ou en Europe, ont un système d'explication de l'infortune au sein duquel s'affrontent ou collaborent différents sorciers, contre-sorciers et puissances invisibles. Le bëpene est un autel de lutte contre la sorcellerie organisé en confrérie et très ancien, tandis que le kasara est un culte collectif apparu il y a environ un siècle. Aujourd'hui, ces deux instances s'entraident et se complètent pour lutter contre la sorcellerie, qu'elle soit intrafamiliale, entre Manjak ou bien extérieure à la communauté. Ce système ne cesse de se renforcer et de se développer par la multiplication de nouveaux autels. Les forces en présence restent équilibrées et permettent à la société d'affronter les nouveaux types d'infortunes et d'attaques sorcières sans les éradiquer définitivement. En effet pour les Manjak, la vie sans le mal serait d'un grand ennui et n'aurait plus aucun sens. Quelle est l'éthique sorcière à l'oeuvre dans cette société ? Quelles en sont les conséquences ? Telles sont les questions auxquelles cet article répond, en analysant la corporéité des sorciers, des anti-sorciers et leurs pouvoirs.
- Motive Rather than Means. Legal Genealogies of Witch-Killing Cases in Kenya - Katherine Angela Luongo p. 35-57
Les religions universalistes face au schème sorcellaire
- Problématiques de la magie-sorcellerie en islam et perspectives africaines - Constant Hamès p. 81-99 Les bases historiques de la magie-sorcellerie en islam se sont constituées en trois étapes. L'Arabie des origines a fourni les outils magiques usuels de protection, guérison, divination, qui ont été intégrés et légitimés par l'institution islamique. À partir des IXe-Xe siècles, l'introduction et la domination de la pensée ésotérique hellénistique (gréco-irano-indienne) sont venues bouleverser les cadres généraux de l'intervention magique : les déterminations astrologiques ont régné en maître dans la conception et l'élaboration des pratiques talismaniques. Rudement ébranlé par l'offensive hellénistique, l'islam a progressivement réagi et, dans le domaine de la magie-sorcellerie, a porté son effort sur l'évacuation et la condamnation du cadre astrologique et sur son remplacement par des données intrinsèquement islamiques. Conceptuellement, la notion coranique de sihr (magie-sorcellerie), condamnée religieusement, reste très peu opérante, à cause d'une absence totale de définition et de délimitation. En revanche, l'analyse des procédés magiques s'est développée et des auteurs comme Ibn Khaldûn ont repris et précisé des distinctions correspondant amplement à celles faites bien plus tard, par exemple, par Evans-Pritchard. Du côté de l'Afrique, la recherche dans ces domaines reste inhibée et a certainement devant elle des perspectives considérables de découverte (données manuscrites et de terrain).
- Le sorcier, le visionnaire et la guerre des Églises au Sud-Bénin - Christine Henry p. 101-130 On s'interroge sur le rôle joué par les nouvelles Églises au Sud-Bénin dans l'inflation contemporaine du recours à la sorcellerie pour expliquer les événements. Dans la première partie de cet article, est esquissée une histoire de la manière dont les conceptions magico-religieuses de cette région ont été traitées par le christianisme. Dans la deuxième partie, sont décrits les différents traitements qu'une Église particulière, celle du Christianisme Céleste, met en oeuvre pour prévenir la sorcellerie, lutter contre les sorciers ou guérir leur victimes. Les moyens thérapeutiques qu'emploie cette Église sont critiqués par les responsables des Églises évangéliques et pentecôtistes qui accusent les chrétiens célestes de « syncrétisme ». Ce conflit entre les Églises évangéliques/pentecôtistes et les Églises indépendantes africaines n'est pas propre au Bénin, mais caractérise toutes les régions christianisées d'Afrique. La troisième partie de cet article discute la manière dont certains auteurs tentent de rendre compte de cette querelle.
- Witchcraft, Blood-Sucking Spirits, and the Demonization of Islam in Dogondoutchi, Niger - Adeline Masquelier p. 131-160 In this article, I discuss how the spread of Islam in the town of Dogondoutchi, Niger has profoundly transformed the local imaginary, helping fuel perceptions of witchcraft as a thoroughly Muslim practice.? I suggest that it is because witchcraft is seen as a hallmark of tradition that Muslims, despite their claim to have embraced modernity, are accused of being witches.? For a small minority unconvinced of the superiority of Islam over local religious traditions, witchcraft offers a convenient means of demonizing Muslims and a powerful commentary on the ways that the globalizing impact of Islam has supposedly transformed local modes of sociality and kinship as well as forms of wealth production and consumption.
- Sorcellerie et délivrance dans les pentecôtismes africains - Sandra Fancello p. 161-183 Le discours sur la sorcellerie s'impose comme une réalité quotidienne de la vie sociale et des rapports humains, y compris dans le milieu urbain des sociétés africaines contemporaines. Si le champ de l'imaginaire sorcellaire s'amplifie en milieu urbain, la famille et les proches demeurent traditionnellement considérés comme la source principale du pouvoir sorcier. La perception de la sorcellerie comme composante de la modernité urbaine africaine accompagne l'explosion des pentecôtismes indigènes. La contribution active du pentecôtisme au phénomène de la sorcellerie, par la diabolisation des esprits païens, ancêtres et génies protecteurs, entretient un vaste marché de la guérison, manne des guérisseurs traditionnels ainsi que des églises indépendantes, prophétiques et pentecôtistes. La délivrance se présente alors comme une libération de la souffrance et du mal qui passe par l'exorcisme, l'éradication.
- Problématiques de la magie-sorcellerie en islam et perspectives africaines - Constant Hamès p. 81-99
Rumeurs et chasse aux sorciers
- Les rétrécisseurs de sexe. Chronique d'une rumeur sorcière - Jean-Jacques Mandel p. 185-208 Dans la rue, sur un marché, un inconnu, un « sorcier », vous touche et immédiatement votre sexe disparaît. Il y a juste dix ans cette rumeur terrible traversa l'Afrique de l'Ouest à la vitesse d'un cyclone et fit les mêmes ravages : près de trois cents morts, plus de trois mille blessés, victimes expiatoires de la vindicte populaire. La peur des « réducteurs de sexe » plongea tour à tour les États traversés dans un chaos indescriptible. Et, dans un décor de crise économique mâtinée de séquelles de guerre régionale, la peur de l'Autre trouva sa vraisemblance et sa justification dans la montée du nationalisme sur fond d'accroissement des inégalités sociales. Question : comment une rumeur locale peut-elle devenir l'expression sanglante d'une angoisse globale ? Retour en 1997 à Bamako. Analyse d'un fait divers avec policiers et magistrats, témoins et victimes, médecins et psychiatres.
- Déchirures et rumeurs : La chasse au sorcier et l'héritage idéologique de la révolution socialiste au Mozambique (Muidumbe, 2002-2003) - Paolo ISRAEL p. 209-236 En 2002-2003, une crise liée à des accusations de sorcellerie eut lieu à Muidumbe, district du nord du Mozambique et berceau de la lutte de libération nationale. Des lions attaquaient et dévoraient les paysans dans les zones de production agricole, chaque nouvelle d'une attaque déchaînant une chasse au sorcier meurtrière dans les villages « communaux ». Les rumeurs qui alimentaient la violence concernaient notamment l'existence d'une société secrète ? sur le mode de celles documentées ailleurs en Afrique pendant la période coloniale ?, se déguisant à l'aide de peaux et pattes et tuant pour enlever et revendre des organes. La crise donna lieu à une ébauche d'émeute politique, dans laquelle des jeunes s'en prirent à l'ordre constitué, mettant en scène des inversions symboliques. Il est possible de relier cette crise à des phénomènes sociaux plus larges, telles que les rumeurs globales concernant zombies, vampires et le trafic d'organes ; l'émergence de nouveaux paradigmes locaux de la sorcellerie ; le « malaise d'émasculation » des jeunes générations dans le contexte néo-libéral. Dans la lecture que je fais de cette crise, elle renvoie à l'articulation locale du projet révolutionnaire de construction de la nation socialiste mozambicaine, à la formation historique des subjectivités de ses pionniers, et notamment à l'incorporation de dispositifs idéologiques paradoxaux.
- Les rétrécisseurs de sexe. Chronique d'une rumeur sorcière - Jean-Jacques Mandel p. 185-208
Maraboutage et sentiment d'envie
- Attachement, blocage, blindage : Autour de quelques figures de la sorcellerie chez les marabouts ouest africains en région parisienne - Liliane Kuczynski p. 237-265 Venus dans les villes françaises dès les années 1970, les marabouts ouest-africains y ont trouvé un cadre propice aux pratiques de divination et de recours contre l'infortune qui étaient les leurs dans les villes africaines. La plupart d'entre eux ont tenté de faire de cette activité leur gagne-pain, en touchant parfois très volontairement une clientèle multiculturelle. L'objet de cet article est d'analyser le champ des compétences qui leur sont prêtées à Paris et l'évolution des schémas explicatifs du malheur qu'ils proposent à leurs consultants. À côté de leur rôle de devin et d'intercesseur, c'est celui d'écouteur et de conseiller qui apparaît de plus en plus nettement.
- Actualité de la sorcellerie aux Antilles - Christiane Bougerol p. 267-281 Deux enquêtes menées à la Guadeloupe auprès de jeunes gens ont permis de constater que la croyance dans la sorcellerie est aussi souvent ancrée chez eux que chez leurs aînés. La persécution magique est attribuée à la « jalousie », l'envie en fait. Cet affect a pour expression concrète la surveillance qui se manifeste avec force dans les relations de proximité ; il conduit à des dérapages dans l'interaction dont le plus grave est la persécution magique. L'auteure compare divers traits de la sorcellerie antillaise, africaine et européenne (en Mayenne) ; notamment les règles qui régissent les imputations de sorcellerie, le statut plus ou moins officiel de cette croyance, la communication avec les autres sur le sujet.
- Attachement, blocage, blindage : Autour de quelques figures de la sorcellerie chez les marabouts ouest africains en région parisienne - Liliane Kuczynski p. 237-265
Les enfants-sorciers d'Afrique centrale
- Magali - Geneviève N'Koussou p. 283-296 Magali est une jeune enfant d'origine congolaise qui s'auto-déclare sorcière, peu de temps après son arrivée en France, après avoir rejoint sa mère avec qui elle n'a jamais véritablement vécu. Cette étude de cas est rapportée par la médiatrice ethno-clinicienne appelée à son chevet lors de son hospitalisation pour tenter de démêler l'écheveau de son histoire.
- Le monde à l'envers : Enfance et kindoki ou les ruses de la raison sorcière dans le bassin du Congo - Patrice Yengo p. 297-323 L'apparition des enfants-sorciers dans le bassin du Congo autour des années 1980 est un fait marquant des mutations de l'entreprise sorcière, traduisant une inversion de l'imputation qui s'oriente maintenant dans le sens des vieux contre les jeunes. Signe des temps de la « ré-évangélisation » menée par les campagnes pentecôtistes dans une société où la diabolisation de la sorcellerie sert désormais de capteur des tensions sociales, elle n'en reste pas moins le révélateur d'une crise profonde des structures de la parenté. En réactualisant le conflit entre les aînés et les cadets, la sorcellerie trouve, dans la conjonction des effets pervers de la globalisation et de la crise récurrente de l'État postcolonial, les (idéo)-logiques de sa nouvelle formulation.
- La violence de l'imaginaire des enfants-sorciers - Joseph Tonda p. 325-343 Cet article s'efforce de montrer, à travers l'exemple des enfants-sorciers de Kinshasa*, comment les discours fondés sur la croyance ne cessent d'induire, d'une part, le travestissement du réel et l'aveuglement des sujets sociaux, et, d'autre part, des pratiques d'autodestruction de ces mêmes sujets. Il se construit sur une double hypothèse : la première postule que ce mécanisme paradoxal trouve son efficacité dans le fait que le contexte des sociétés d'Afrique centrale, travaillées en profondeur par les effets de la « conversion négative » aux fétiches communs à Dieu, au Diable et à la sorcellerie, dont les politiques d'ajustement structurel des années 1980 et leurs effets délétères ont considérablement exaspéré la puissance, intensifie l'indiscernabilité de la créance matérielle et de l'imaginaire sorcellaire, diabolique et divin. La seconde, apparemment contradictoire, soutient que l'efficacité de ce mécanisme est liée à la déconnexion de la créance matérielle et de l'imaginaire par le même contexte. Les deux hypothèses se conjuguent pour rendre raison du fait que des sujets soumis ou assujettis à la violence de l'imaginaire d'une croyance ou d'une foi, dans un contexte caractérisé par les excès de l'emballement de l'histoire, sont aveuglés et se constituent en sujets excédés, sortant d'eux-mêmes, et travaillant à leur propre destruction.
- Magali - Geneviève N'Koussou p. 283-296
Commérage
- Le pasteur et le gendre de la sorcière - Camille Adébah Amouro p. 345-351
Chronique bibliographique
- Analyses et comptes rendus - p. 353-382