Contenu du sommaire : Santé et travail
Revue | Actes de la recherche en sciences sociales |
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Numéro | no 165, décembre 2006 |
Titre du numéro | Santé et travail |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Santé et travail (2)
- Archivage numérique des Actes de la recherche en sciences sociales - p. 4
- Des morts incompétents - Matthew Desmond p. 8 Malgré le développement récent des recherches sur les organisations à hauts risques et les causes de leurs dysfonctionnements, on sait mal comment celles-ci parviennent à persuader leurs employés de participer à des activités dans lesquelles ils risquent leur vie. Cet article vise à combler cette lacune en analysant la façon dont le Service des forêts des États-Unis (United States Forest Service) amène les pompiers à affronter le risque et la mort. À partir d'enquêtes ethnographiques et d'analyses de documents officiels (notamment des rapports d'accidents mortels), l'article décrit le processus par lequel les pompiers en arrivent à accepter implicitement (mais non sans réticence) les règles tacites de leur organisation et à développer une disposition spécifique à l'égard de la prise de risques : une illusion du libre-arbitre à travers laquelle ils perçoivent la lutte contre le feu comme une activité exempte de danger. Ils apprennent rapidement à ranger leurs coéquipiers tombés dans l'exercice de leur mission dans la catégorie des morts par incompétence. De telle sorte que, si l'on peut raisonnablement supposer que la mort d'un pompier constitue une menace pour l'illusion du libre-arbitre qui caractérise ce corps de métier, c'est en réalité l'inverse qui est vrai.Despite the recent proliferation of research on high-risk organizations, investigating the root causes of organizational breakdown, mistake, and misconduct, social scientists still know very little about the ways high-risk organizations motivate workers to participate in life-threatening activity. This article responds to this significant lacuna by analyzing how the United States Forest Service trains firefighters to conceptualize risk and death. Drawing on intimate ethnographic research and content analyses of official documents (especially fatality reports), it describes the process by which firefighters come tacitly to accept (though not without resistance) the common sense of their host organization and to develop a specific disposition towards risk-taking, the illusion of self-determinacy, through which they view firefighting as an activity void of danger. Firefighters quickly learn to classify fallen crewmembers as the incompetent dead; thus, although one might reasonably assume that the death of a firefighter poses a threat to a firefighter's illusion of self-determinacy, the reverse is actually the case.
- "Parce qu'ils sont plus près du sol" - L'invisibilisation de la souffrance sociale des cueilleurs de baies - Seth M. Holmes p. 28 L'objectif général de cette approche ethnographique est d'explorer les effets de hiérarchisation de l'appartenance ethnique sur la division du travail dans le secteur agricole aux États-Unis et s'attache aux processus permettant à celle-ci d'être normalisée et rendue invisible, malgré les souffrances ainsi engendrées. Cette enquête commence par analyser la façon dont le travail agricole est structuré selon l'appartenance ethnique, et montre ensuite combien cette hiérarchisation est productrice de douleurs et de maladies, en particulier au sein des populations de travailleurs mexicains illégaux.Broadly, this paper explores ethnographically the interrelated ethnicity, labor, and suffering hierarchies in US agriculture as well as the processes by which these become normalized and invisible. The exploration begins by uncovering the structure of farm labor, describing how agricultural work in the US is segregated along an ethnicity-citizenship hierarchy. We will then see ethnographically that this pecking order produces correlated suffering and illness, particularly among the undocumented, indigenous Mexican pickers.
- "Que du sale boulot" - Risques et accidents corporels chez les travailleurs journaliers aux Etats-Unis - Gretchen Purser p. 52 Cet article prend pour objet l'augmentation des risques et l'omniprésence des accidents corporels dans les entreprises de travail journalier aux États-Unis. Loin d'être un domaine exotique de l'économie étasunienne, le secteur du travail journalier est bien établi et il génère annuellement plusieurs milliards de dollars. Et parce qu'il fournit des travailleurs jetables, « juste au bon moment », aux entreprises qui forment le cœur du marché du travail national, il est organiquement lié à celui-ci. Les transformations de ce domaine (couramment appelé « emploi à la demande » ou, de manière moins formelle, « réserve de travail » dans la terminologie du secteur) illustrent deux des changements les plus fondamentaux qu'ont connues les relations du travail contemporaines : l'augmentation de l'emploi précaire, et le recours croissant à des intermédiaires sur le marché du travail. Pendant que la première contribuait à diffuser l'incertitude et l'indécision quant à l'emploi, ce dernier favorisait l'accroissement structurel de l'ambiguïté des relations entre employeur et employé. Ces deux tendances, renforcées par une formation inadaptée et par la non-conformité des équipements de protection, sont une des causes majeures qui expliquent l'existence de conditions de travail particulièrement périlleuses pour les travailleurs journaliers.This article explores the exacerbation of risk and ubiquity of injury within the corporate day labor industry. Far from an exotic outpost of the US economy, this industry is a well-entrenched, multibillion dollar industry that is organically linked to the core of the US –and increasingly global– labor market, supplying “just-in-time,” disposable workers to its leading corporations. Referred to in industry rhetoric as “on-demand staffing” and colloquially as the “labor pool” system, the industry exemplifies two of the most fundamental changes in contemporary employment relations: the rise of precarious employment and the increased use of labor market intermediaries.
- La sécurité au travail accaparée par les directions - Quand les ouvriers du bâtiment affrontent clandestinement le danger - Nicolas Jounin p. 72 À l'encontre du droit de retrait d'une situation dangereuse reconnu aux salariés en 1982, on observe sur les chantiers de gros œuvre un phénomène paradoxal : non seulement des ouvriers prennent des risques pour tenir les cadences, mais ils cachent aux cadres qu'ils prennent des risques, par peur de sanctions. La prise en charge de la sécurité se trouve en effet divisée entre ceux qui la conçoivent et ceux qui l'exécutent : ce sont les cadres qui décident des règles de sécurité que doivent respecter les ouvriers. Les cadres portent dans le même temps les prescriptions de sécurité et les exigences de cadence, potentiellement contradictoires. Dès lors, une reprise en main de leur sécurité par les ouvriers eux-mêmes implique de transgresser ou de contester les règles posées par l'encadrement. Mais une telle éventualité est rendue difficile par le morcellement du collectif de travail résultant de l'externalisation du travail (sous-traitance et intérim).One can see on building sites today a paradoxical phenomenon that goes against the right, granted to waged workers in 1982, to back off from dangerous situations: not only do the workers take risks in order to keep up with the pace of work, but, fearing sanctions, they hide these risks from the management. The management of safety is indeed divided between those who design it and those who execute it: managers establish the safety rules that workers must follow. These rules embody both the safety prescriptions and the pace requirements –that are potentially conflicting with each other. Thus, in order to take their safety into their own hands, workers would have to transgress or contest the rules established by management. But such a possibility is made difficult by the fragmentation of the collective workforce resulting from outsourcing (sub-contracting and interim).
- Ergonomie, productivité et usure au travail - Une décennie de débats d'atelier à Peugeot-Sochaux (1995-2005) - Nicolas Hatzfeld p. 92 Comment les évolutions du travail sont-elles vécues, et comment les salariés réagissent-ils, sous la pression du chômage, aux contraintes d'organisation ? Pour aborder concrètement ces questions, les Comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail offrent des sources précieuses. Dans cette instance proche de la réalité de l'atelier, se confrontent les points de vue divergents de partenaires divers sur les conditions de travail et les modes d'organisation.Dans la Carrosserie de Peugeot-Sochaux au cours des années 1995 – 2005 les représentants ouvriers apportent une attention fine aux transformations techniques d'installation, de mode d'organisation ou de procédé de travail qui suscitent l'inquiétude ouvrière. Les ouvriers âgés, majoritaires, et leurs représentants font feu de tout bois, cherchant à atténuer les cadences, à peser sur l'organisation aussi bien qu'à en faire supporter les effets les plus pénibles à des jeunes, souvent confondus avec les intérimaires. Ce qui renouvelle le souci ouvrier d'articuler les questions d'organisation à la temporalité plus ample des parcours professionnels.Il serait imprudent de généraliser cette relative réactivité syndicale à l'ensemble du monde du travail. Ailleurs, par exemple autour du site de PSA et même en son sein par le bais de l'externalisation juridique de certaines activités, d'autres entreprises mettent en œuvre des relations salariales beaucoup plus brutales.How do workers experience the transformations of work? How do they adapt, under the pressure of unemployment, to organizational constraints? The Hygiene, Safety and Work Conditions Committees are a precious source of information that makes it possible to analyze these issues concretely. Very close to the reality of the shop floor, these institutions provide an arena where the diverging viewpoints of different actors about work conditions and organizational modes are expressed. During the 1995-2005 period, in the Peugeot-Sochaux coachworks, the delegates of the workers paid full attention to the technical transformations of the workshop layout, the organizational mode, or the work process that raise concerns among the workers. The majority of older workers and their delegates fought on all fronts as they sought to slow down the work pace, influence the organizational setup, but also shift the heaviest burdens onto their younger co-workers, often assimilated with interim stand-ins. This situation explains the workers' concern to tackle jointly organizational questions and the wider time-frame of professional trajectories.It would be a mistake to generalize this relative capacity for unionized reaction and to extend it to the whole labour market. Elsewhere, around the PSA corporation for instance or even within it (as a result of the legal outsourcing of some activities), other firms impose much more brutal industrial relations.
- La résistance à la psychologisation des difficultés au travail - Le cas des policiers de voie publique - Marc Loriol, Valérie Boussard et Sandrine Caroly p. 106 La prise en charge psychologique du stress dans les métiers réputés difficiles peut être une aide et une ressource pour les agents confrontés à des tâches pénibles. Mais les discours et pratiques psychologiques sur le stress, défini comme une mauvaise adaptation individuelle à l'environnement, peuvent également conduire à stigmatiser et à culpabiliser celui qui se plaint : s'il ne sait pas gérer son stress, ce n'est pas un bon professionnel ! Si les infirmières ont globalement repris à leur compte cette logique et si les conducteurs de bus sont parvenus, grâce à l'action de leurs syndicats et de psychologues militants, à rejeter cette dimension trop individualisante, les policiers ont préféré une forme de résistance fondée sur la gestion en interne des difficultés. Face à des psychologues peu intégrés au monde policier et proposant une prise en charge standardisée, centrée sur le vécu des émotions, les brigades de police et leur hiérarchie de proximité ont développé des formes de régulation autonome du stress et des situations potentiellement pénibles. Dès lors, le stress et le recours au psychologue apparaissent comme les signes d'une défaillance individuelle et d'une incapacité du groupe et des chefs de brigade à gérer les difficultés. La construction du stress comme caractéristique de quelques individus fragiles participe donc au renforcement du groupe de collègues. Celui-ci est perçu comme seul capable de donner un sens aux activités de travail et de prévenir ou de régler les problèmes, au détriment de ceux qui ne peuvent s'intégrer à lui.The psychological management of stress in occupations that are deemed to be difficult might be a helpful resource for the workers confronted with tiresome tasks. But the psychological discourses and practices relating to stress defined as an individual ill-adaptation to the environment can also lead the victim of stress to develop a feeling of stigmatization and guilt: if she is not able to manage her stress, she is not really professional! While the nurses have been able to build claims on the basis of this logic, and while the bus drivers, assist-ed by their trade unions and by militant psychologists, have been able to reject this overly individualizing dimension, police forces have opted for a form of resistance based on the internal management of difficulties. Confronted with psycho-logists who are not well integrated in the professional police world and who offer a standardized management of stress, centered on actual emotional experience, police squads and their top officers have developed autonomous forms of stress regulation. In this context, feeling stressed and turning to a psychologist for help becomes a sign of individual failure or collective incapacity, indicating that the group and the squad leaders are unable to deal with difficulties. The construction of stress as the characteristic of a handful of fragile individuals therefore contributes to reinforcing the professional group of peers as the only group able to make work-related activities meaningful, and to prevent or deal with problems –with detrimental consequences for those who are not well integrated into it.
- Controverses scientifiques - Bénédicte Reynaud, Philippe Askenazy p. 114,119